Le point de départ de ce travail de thèse repose sur deux constats. Le premier est un constat du quotidien : bien qu’il soit encore peu fréquent de croiser des femmes conductrices de deuxroues motorisés (2RM) sur nos routes françaises, leur nombre est visiblement de plus en plus important et elles sont de plus en plus visibles. Le second constat est scientifique : les travaux de recherche consacrés à l’étude des conducteurs de 2RM ne tiennent pas ou très peu compte des différences de sexe et ne permettent pas de savoir si les femmes conductrices de 2RM ont la même accidentalité que les hommes ou les mêmes comportements routiers. Seule une étude (Fradet & Goffard, 2009) dont les résultats publiés en 2009 ont été relayés par la presse spécialisée, a montré que les femmes ont pris une place croissante parmi les conducteurs de 2RM , notamment au sein de la communauté motocycliste conduisant de grosses cylindrées (MTT). Ainsi, le nombre des femmes motocyclistes a doublé en dix ans, passant de 5% des conducteurs de MTT en 2002 à 10% en 2012 (ONISR, 2015).
Malgré cela, depuis l’apparition des premiers groupes de motocyclistes dans les années 70 et encore de nos jours, l’image de la femme en 2RM se limite souvent à montrer une femme sexy, type pin-up, parfois même vulgaire, chevauchant une motocyclette de façon suggestive, ou passagère d’un homme. Une simple recherche par mot clé « femme » et « moto » sur un moteur de recherche internet ou la lecture de magazines spécialisés (les publicités en particulier) montrent combien l’image de la femme dans ce milieu reste primaire et cantonne la femme à un rôle d’objet sexuel servant à valoriser un produit, un évènement ou un usager.
Aujourd’hui, il n’est pas rare d’entendre encore des motocyclistes parler de leur compagne en la qualifiant de « sac de sable » leur servant à avoir plus de grip sur la route, ou que les femmes motocyclistes sont des « garçons manqués avec du poil aux pattes » ou des lesbiennes…
Devant le nombre croissant de femmes choisissant de se déplacer en 2RM, notamment dans les grandes agglomérations (Fradet & Goffard, 2009), il semble qu’une évolution se soit mise en marche, et que les femmes commencent à être considérées comme des usagères de 2RM à part entière, notamment par certains assureurs et équipementiers, qui s’aperçoivent qu’un marché nouveau s’ouvre à eux. Ce progrès social est à la fois bon pour l’image et bon pour le business.
Ces constats ont conduit à un questionnement plus large : malgré l’augmentation du nombre d’usagères de 2RM et le fait que nos sociétés modernes semblent commencer à les tolérer et à les reconnaître dans le milieu très masculin de la motocyclette, pourquoi le nombre de publications et d’informations à leur sujet n’augmente-t-il pas ? Ce questionnement nous a conduit à chercher à quantifier et à comparer les hommes et les femmes conducteurs de 2RM. Nous tenterons également de mettre en évidence les différences entre hommes et femmes dans l’accidentalité et les comportements, tout en prenant en compte les stéréotypes de sexe qui y sont associés, et ce, en nous basant sur différentes méthodes d’études. Nous avons situé nos recherches dans une perspective sociologique et psychosociale et avons cherché, à travers d’approches pluri-méthodologiques, à apporter des éléments de connaissance pour mieux comprendre les comportements et les pratiques des conducteurs et conductrices de 2RM français.
Dans un premier temps, nous fixerons le cadre théorique de ce travail de thèse, en analysant l’accidentalité routière en France, et plus spécifiquement celle des usagers de 2RM, en axant nos données sur les différences hommes-femmes. Nous définirons également les concepts de sexe, de genre et de stéréotypes de sexe. Dans un deuxième temps, nous définirons les contours de ce travail de thèse par l’annonce de la problématique et de nos hypothèses de recherche.
Enfin, dans un troisième temps, nous décrirons les quatre études empiriques qui ont été réalisées :
1. L’élaboration d’un outil destiné à évaluer les comportements à risque accidentels déclarés chez les conducteurs de 2RM, et son application aux motocyclistes afin de faire ressortir les différences hommes-femmes en termes de comportement à risque ;
2. Les différences de prises de risque en fonction du sexe et de la conformité aux stéréotypes de sexe des motocyclistes, en tenant compte de leurs motivations à conduire une motocyclette et de la perception de leur propre prise de risque ;
3. Les stéréotypes de sexe associés à la conduite d’une motocyclette (chez les adolescents);
4. Les types de motocyclettes comme révélateurs des comportements à risque chez les hommes et les femmes.
Définition des deux-roues motorisés
Avant tout, il semble nécessaire de rappeler quels sont les modes d’accès à la conduite d’un deux-roues motorisé, et quels sont les différents types et catégories de deux-roues motorisés circulant sur les routes françaises. Tout au long de ce travail, nous parlerons essentiellement des véhicules d’une cylindrée supérieure à 50 cm3 . Parmi ces véhicules, les motocyclettes légères et scooters légers (MTL) ont une cylindrée comprise entre 50 et 125 cm3 et les motocyclettes dites « lourdes » et scooters « lourds » ont une cylindrée supérieure à 125 cm3 (MTT). Ces deux-roues peuvent être conduits sous certaines conditions de permis :
➤ Le permis A1, permet de conduire des motocyclettes légères (MTL), jusqu’à 125 cm3 et 11 kW (15CV), à partir de 16 ans.
➤ Le permis A2, permet de conduire des motocyclettes, avec ou sans side-car, d’une puissance n’excédant pas 35 kW (47,6 CV), à partir de 18 ans.
➤ Le permis A, permet de conduire des motocyclettes, avec ou sans side-car, de toutes puissances, à partir de 24 ans.
Par ailleurs, le permis B, à partir de 18 ans, permet de conduire des motocyclettes légères (MTL) à la condition que le conducteur soit titulaire du permis B depuis deux ans au moins et après avoir suivi une formation de 7 heures.
Il n’y a, à ce jour, aucune classification-type des deux-roues motorisés selon leur usage et leurs spécificités techniques, bien que certaines études françaises et européennes (Cestac & Delhomme, 2012a; Roynard & Martensen, 2013; Ruscher, 2002) les aient divisés en 6 catégories : scooters, basiques, sportives, GT-routières (grand tourisme), customs et trails. On ne retrouve pas ici la catégorie « roadster » qui est la catégorie la plus répandue aujourd’hui sur les routes françaises après le scooter ? En 2012, les scooters représentaient 36,4% des deux-roues motorisés en circulation en France, et les roadsters 13,2% (SOeS, 2013b, p.2). Les roadsters sont souvent classés dans la catégorie des basiques, puisqu’ils s’en approchent esthétiquement, ou bien des sportives, puisque leurs moteurs sont très similaires. Ce même constat peut être fait pour la catégorie des trails. Ruscher (2003) et Van Elslande (2015), qui s’intéressent aux comportements routiers des motocyclistes, ont également utilisé une classification en 6 catégories où les trials/cross/enduro (motos dédiées à la conduite hors route) sont manquants. Le Ministère de l’Environnement, de l’Energie et de la Mer différencie 8 catégories, en dissociant bien les Basiques des Roadsters, mais en dissociant également les GT des Routières, qui ont pourtant des usages et des spécificités proches (SOeS, 2013b).
Nous avons choisi de diviser les motocyclettes en 8 catégories distinctes (Figure 1), en fonction de leur usage et de leurs spécificités techniques et dynamiques (Cestac & Delhomme, 2012a; “Motocyclette,” 2017; Roynard & Martensen, 2013; Ruscher, 2003; SOeS, 2013b; Van Elslande, 2015b) :
• Scooter : 2 ou 3 roues. Il s’agit d’un véhicule sur le lequel le conducteur est assis, jambes jointes, et dont les pieds reposent sur un plancher. Ce véhicule est conçu pour circuler sur de courtes à moyennes distances, en agglomération et espace péri urbain. En 2012, les Scooters représentaient 36,4% du parc 2RM circulant (SOeS, 2013b) ;
• Basique (ou utilitaire) : cette motocyclette, dont le moteur est apparent, est généralement de petite ou moyenne cylindrée. Elle fait partie des motocyclettes les moins chères du marché, et elle est destinée à un usage et un entretien économiques. Ces véhicules sont très utilisés en moto-école et par les professionnels, en agglomération et zone péri-urbaine. Ils sont maniables et peu coûteux. En 2012, les Basiques représentaient 6,8% du parc 2RM circulant (SOeS, 2013b) ;
• Custom (et chopper) : le conducteur est assis, dos droit, voire reculé, avec les jambes en avant (surtout le cas sur les choppers). Cette motocyclette a un moteur apparent et elle est essentiellement utilisée en agglomération et espace péri-urbain. En 2012, les Customs représentaient 6,2% du parc 2RM circulant (SOeS, 2013b) ;
• Trail : bien que plutôt faites pour se déplacer sur route, ces motocyclettes peuvent aussi circuler sur des chemins. A l’apparence « baroudeuse » (position haute, moteur apparent, réservoir de grande capacité), ces motocyclettes sont dérivées des motos utilisées en rallye type « Paris-Dakar ». Elles sont très prisées par les individus vivant en milieu péri-urbain. En 2012, les Trails représentaient 10,9% du parc 2RM circulant (SOeS, 2013b) ;
• Routières et GT (Grand Tourisme) : Le conducteur est assis en position proche de la verticale sur une selle confortable. Ce véhicule totalement caréné afin de protéger au mieux le conducteur, est conçu pour voyager sur moyennes et longues distances (équipé d’un réservoir de grande capacité et de coffres de rangement). En 2012, les Routières/GT représentaient 13,6% du parc 2RM circulant (SOeS, 2013b) ;
• Roadster : cette motocyclette non carénée est souvent munie d’un moteur venant de motocyclettes sportives. Son rapport poids/puissance est élevé. La position semi-droite et le manque de protection au vent destinent ce véhicule à un usage urbain et périurbain. En 2012, les Roadsters représentaient 13,2% du parc 2RM circulant (SOeS, 2013b) ;
• Sportive (super et hyper-sport) : la position du conducteur est couchée, proche du réservoir, pieds en arrière, pour une meilleure aérodynamique. Ces motocyclettes carénées à l’apparence de motocyclettes de compétition sur circuit, sont petites et légères, faites pour la vitesse. Elles sont peu maniables (rayon de braquage limité) et relativement inconfortables (selles peu molletonnées). En 2012, les Sportives représentaient 4,7% du parc 2RM circulant (SOeS, 2013b) ;
• Moto cross/trial/enduro : motocyclettes légères et peu fragiles, faites pour le loisir et la compétition, ces motocyclettes ne sont pas toutes homologuées pour circuler sur la voie publique. Le nombre de véhicules de cette catégorie est difficile à évaluer dans la mesure où toutes ne sont pas immatriculées.
1. Introduction générale |