Les deux cas d’étude vue d’ensemble

Les deux cas d’étude vue d’ensemble

La reconnaissance des dommages écologiques des marées noires questionne deux dimensions. Il s’agit, d’une part, d’explorer le dommage écologique : quel est-il ? Qui en sont victimes ? Comment le définir ? Etc. Nous explorons les atteintes à partir de la dégradation des attachements multiples entre l’homme et le littoral. Il s’agit, d’autre part, d’analyser les actions engagées par certains acteurs pour susciter l’évolution des dispositifs de gestion vers l’octroi d’un statut juridique aux dommages écologiques, permettant leur prise en compte plus complète en matière de réparation des pollutions et de prévention. Cette problématique suppose d’analyser des éléments de connaissance de natures diverses et dont l’existence temporelle est variable. Elle croise deux questionnements distincts en sciences sociales – une approche de sociologie pragmatique d’un côté (principalement inspirée de Thévenot, 2006), une approche de sciences de gestion de l’autre (Mermet et al., 2005). L’analyse est conduite sur deux cas d’étude qui, éloignés de trente ans, doivent être remis en contexte pour porter un regard pertinent sur les deux. Pour mettre en cohérence ce matériau riche, varié, complexe, nous avons choisi d’écrire des récits des deux cas d’étude, les marées noires de l’Amoco Cadiz et de l’Erika, du naufrage du navire jusqu’à la clôture juridique de l’affaire. Ces récits très détaillés et comportant de nombreux verbatims (Bouteloup, 2008), ont permis d’étudier les deux cas au regard du double questionnement ci-avant. Ce chapitre 3 propose une vue d’ensemble de chaque cas. Les présenter en parallèle permet de donner à voir des similitudes dans le déroulement des affaires, que nous discuterons. Ces similitudes structurent les chapitres suivants, dans lesquels nous présenterons les résultats de notre recherche.

Synopsis des deux cas d’étude

Le pétrolier Amoco Cadiz, d’une superficie équivalente à trois terrains de football, navigue sous pavillon libérien entre Raso Tanura (Arabie Saoudite) et Rotterdam en passant par la route du Cap. Il transporte 220 000 tonnes de brut acheté par la société Shell. Au matin du 16 mars 1978, le navire, malmené par la violente tempête, se trouve en difficulté au large de l’île d’Ouessant : le gouvernail ne répond plus et le pétrolier commence une lente dérive vers la côte qui durera plusieurs heures. L’intervention du remorqueur Pacific, demandée tardivement et encore retardée par les négociations financières, compliquée par les conditions extrêmement difficiles et la préparation insuffisante de l’équipage du pétrolier, échoue. L’énorme masse de 334 mètres de long et 51 mètres de large s’éventre vers 22h sur les hauts fonds rocheux, à quelques encablures de Portsall. Pendant la nuit, l’urgence du sauvetage de l’équipage mobilise d’abord les équipes de secours. L’ « odeur écoeurante » de mazout réveille les habitants de Portsall et des environs jusqu’à Lorient, qui s’inquiètent tout d’abord de leur chaudière avant d’apprendre à la radio l’échouage du pétrolier. La plus grande marée noire jamais due à un échouement de pétrolier a commencé. En l’espace de deux semaines, Le navire se vide complètement. Plusieurs centaines de tonnes de pétrole par heure s’échappent des cuves éventrées et viennent engluer les rochers : 75 000 tonnes s’évaporent, 85 000 restent à la mer, 65 000 viennent recouvrir 360 km d’un littoral parmi les plus beaux et les plus naturels d’Europe. Tout le littoral Nord breton, du Conquet à Bréhat, offre « un spectacle accablant » ; « la mer est foutue », affirment les pancartes plantées sur les sites.

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La Marine nationale française adresse une mise en demeure à la société Amoco l’enjoignant de faire disparaître le pétrole ou d’en assurer la responsabilité ; le Préfet maritime des Côtes du Nord prend un arrêté similaire. La société répond qu’elle ne dispose pas des moyens humains et techniques suffisant pour assurer le nettoyage et demande au Gouvernement français d’en assurer la mise en œuvre : « les frais raisonnables des actions raisonnables convenus d’un commun accord entre les propriétaires et le gouvernement français seront acceptés par les propriétaires ». Le nettoyage commence tout de suite par les habitants de Ploudalmézeau Portsall et des environs, puis prend de l’ampleur et s’organise peu à peu après les premiers moments de tourmente. Un travail qui paraît bien dérisoire : les habitants et les bénévoles pataugent dans la « masse visqueuse », avec pelles et seaux, rarement avec toutes les protections nécessaires ; les agriculteurs utilisent leur tonne à lisier pour pomper le pétrole et sont vus comme les premiers sauveurs de la situation grâce à l’efficacité un peu meilleure – mais toute relative – de leur équipement. De nombreux bénévoles affluent de toute la France pour contribuer aux actions de nettoyage et de sauvetage des oiseaux et découvrent à cette occasion le phénomène des marées… Cet élan de solidarité engendre des nécessités de gestion accrues, en termes d’organisation du travail et de protection sanitaire des personnes.

 

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