Les déterminants du maintien de l’effort physique

Les facteurs centraux

La diminution de la capacité à produire une force peut également s’expliquer par des facteurs dont l’origine est située en amont de la jonction neuromusculaire (Gandevia, 2001).
La découverte de ces facteurs centraux remonte aux travaux princeps d’Angelo Mosso (1891).
Cet auteur a évalué la force volontaire produite par les muscles fléchisseurs du doigt en mesurant la hauteur de déplacement d’un poids de trois kilos soulevé toutes les deux secondes. Mosso souligna une baisse de performance musculaire plus rapide après une période de deux heures d’enseignement magistral comparativement à une condition contrôle où la performance était évaluée au repos (sans charge cognitive préalable). Ces résultats suggéraient que la période d’enseignement influençait négativement la performance motrice et que l’origine de cette altération pouvait se situer au niveau du système nerveux central (figure 2). Charles Reid (1928) a ensuite confirmé ces hypothèses. En stimulant électriquement les muscles fléchisseurs du doigt immédiatement après l’arrêt de l’effort (sur une tâche motrice identique à celle utilisée par Mosso), ce dernier observa que les sujets étaient en mesure de soulever le poids à des hauteurs supérieures à celles enregistrées au moment de l’épuisement. Comme la stimulation électrique du nerf moteur des fléchisseurs du doigt n’impliquait pas le système nerveux central, ce résultat indiquait que l’altération de la performance pouvait en partie dépendre de facteurs centraux (figure 2).

Les facteurs centraux et périphériques interagissent

Les facteurs centraux et périphériques impliqués dans le maintien de l’effort ont étédissociés au sein de la littérature afin de distinguer les origines de la fatigue neuromusculaire. Toutefois, il est désormais avéré qu’au cours de l’effort physique, ces facteurs interagissent.
La manière dont se comporte le muscle dépend non seulement de ses propriétés intrinsèques et de la façon dont il est simulé, mais aussi de systèmes de rétroactions qui influencent son rendement (Gandevia, 2001).
L’existence d’un réseau de fibres nerveuses afférentes assure une communication entre les composantes périphérique et centrale. Ce réseau d’informations constitué de cinq types de fibres (Ia, Ib, II, III et IV) permet notamment au système nerveux central de surveiller l’activité musculaire au cours de l’effort (Blain et al., 2016). Plus précisément, les fibres de type III transmettent principalement des informations mécaniques associées à la contraction musculaire lorsque les afférences de type IV sont liées aux altérations métaboliques (Kaufman & Rybicki, 1987). Les afférences de type III et IV contribuent aussi à la perception de la douleur (Enoka & Duchateau, 2016). Elles sont en effet sensibles aux stimuli nociceptifs associés à une concentration élevée de métabolites (Kaufman & Rybicki, 1987). Des sous populations de récepteurs au sein de ces groupes de fibres seraient responsables des sensations de douleur et de fatigue (Pollak et al., 2014). Ces informations, transmises jusqu’au système nerveux central, pourraient notamment atteindre les centres de perception de la douleur et de la température au niveau du thalamus (Craig, Bushnell, Zhang, & Blomqvist, 1994) mais également le cortex prémoteur (Craig, 1995), le cortex cingulaire antérieur (CCA) (Craig, 2002 ; 2004), le cortex somatosensoriel (Almeida, Roizenblatt, & Tufik, 2004 ; Craig, 1995) ou encore le cortex préfrontal (CPF) (Craig, 2002 ; Pires et al., 2011).
L’activation des fibres de type III et IV au cours de l’effort jouerait ainsi un rôle non négligeable dans sa régulation. L’influence de ces feedbacks d’origine musculaire sur le système nerveux central lors de l’effort a en effet été démontrée par un certain nombre d’études impliquant des groupes musculaires spécifiques (Bigland-Ritchie, Dawson, Johansson, & Lippold, 1986 ; Gandevia et al., 1996) ou le « corps entier » (Amann, Proctor, Sebranek, Pegelow, & Dempsey, 2009). L’augmentation du niveau de fatigue périphérique et de la concentration en métabolites musculaires induirait une stimulation des afférences de type III et IV qui limiterait l’activation volontaire. Même si la compréhension des mécanismes associés est encore incomplète, cet effet pourrait s’expliquer par l’implication de régions corticales en amont du cortex moteur ou une diminution de l’excitabilité du cortex moteur et des motoneurones spinaux (Gandevia et al., 1996 ; Martin, Weerakkody, Gandevia, & Taylor, 2008 ; Sidhu et al., 2017 ; Taylor, Butler, & Gandevia, 2000). En régulant l’activité musculaire, les afférences III et IV permettraient de limiter l’accumulation du niveau de fatigue périphérique sous un niveau seuil (Amann et al., 2011 ; Blain et al., 2016). Les feedbacks provenant des afférences de type Ia et Ib pourraient également être à l’origine d’une modulation de la fréquence de décharge des motoneurones. Les fibres afférentes de type Ia, faciliteraient l’excitabilité motoneuronale lorsque les fuseaux neuromusculaires sont activés alors que les fibres de type Ib, sensibles aux variations de tensions musculaires, pourraient jouer un rôle inhibiteur sur les motoneurones (Gandevia, 2001). Cette régulation de la commande centrale à l’exercice témoigne ainsi d’une interaction permanente entre l’environnement musculaire et le système nerveux central par le biais d’un réseau afférent susceptible de projeter jusqu’à des structures cérébrales supérieures.
La commande motrice pourrait aussi être limitée par des décharges corollaires provenant de l’activation du cortex moteur. Des stimuli, appelés « feedforwards », associés à l’activation de la commande motrice seraient transmis au niveau du cortex somatosensoriel (Enoka & Stuart, 1992 ; Gallagher et al., 2001) pour prédire les conséquences sensorielles attendues de l’effort (McMorris et al., 2018). Ces stimuli permettraient de renseigner l’individu sur la perception de l’effort (Bigliassi, 2015 ; De Morree, Klein, & Marcora, 2012).
Le concept de tolérance sensorielle « limite » à l’effort suggère que ces décharges corollaires (« feedforwards ») puissent s’ajouter à la somme d’activités afférentes pour limiter l’exercice une fois le seuil sensoriel atteint.
L’ensemble de ces éléments soulignent que les facteurs centraux et périphériques impliqués au cours d’une tâche fatigante ne doivent pas être appréhendés indépendamment mais bien comme des mécanismes interagissant dans un objectif de régulation de la commande centrale au cours de l’effort (Taylor, Amann, Duchateau, Meeusen, & Rice, 2016). Cette régulation semble impliquer des voies neuronales (Hureau, Romer, & Amann, 2018) et des structures corticales, notamment dans la manière d’intégrer et d’interpréter les stimuli sensoriels d’effort (McMorris et al., 2018 ; Tanaka & Watanabe, 2012). Afin d’investiguer ces mécanismes et plus largement l’endurance des participants, la littérature scientifique a recours à l’utilisation de tâches que l’on qualifie de « fatigantes ». Ces tâches seront abordées dans la partie suivante.

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LES TÂCHES FATIGANTES : UN MOYEN D’INVESTIGUER LE MAINTIEN DE L’EFFORT

Au sein de la littérature scientifique, différents types de tâches permettent d’investiguer la capacité des participants à résister à la fatigue. Afin de quantifier l’endurance des participants, les tâches de type « temps-limite » peuvent être utilisées (Abdelmoula, Baudry, & Duchateau, 2016 ; Angius, Santarnecchi, Pascual-Leone, & Marcora, 2019 ; Bigland Ritchie,Furbush, & Woods, 1986 ; Blanchfield, Hardy, De Morree, Staiano, & Marcora, 2014 ; Duchateau, Balestra, Carpentier, & Hainaut, 2002 ; Gerodimos, Karatrantou, Psychou, Vasilopoulou, & Zafeiridis, 2017). Ces tâches permettent d’atteindre l’épuisement des participants et révèlent le niveau d’endurance en examinant la durée de maintien de l’effort pour une intensité donnée. Sur ce type de tâches, les tâches continues (e.g., Abdelmoula et al., 2016) sont à distinguer des tâches intermittentes (e.g., Bigland-Ritchie et al., 1986a).
Les tâches de maintien de force isométrique conduites jusqu’à épuisement sont représentatives des tâches continues et largement utilisées au sein de la littérature scientifique (Cogiamanian, Marceglia, Ardolino, Barbieri, & Priori, 2007 ; Cruz-Montecinos et al., 2018 ; Gerodimos et al., 2017 ; Matkowski, Place, Martin, & Lepers, 2011 ; Radel, Tempest, Denis, Besson, & Zory, 2017). Cogiamanian al. (2007) et Cruz-Montecinos et al. (2018) ont par exemple mesuré le niveau de force maximale des fléchisseurs du coude des participants, avant de leur demander de maintenir un niveau de force correspondant à 35% ou 50% de MVC jusqu’à éspuisement. Ces tâches permettaient ainsi de tester l’effet de différentes manipulations expérimentales sur l’endurance des participants. De plus, Gerodimos et al. (2017) ont indiqué que les mesures relevées au cours de ce type de tâches étaient particulièrement reproductibles. Ces efforts isométriques peuvent aussi être réalisés à « niveau éléctromyographique constant » (e.g., à 40% de l’activité EMG maximale) pour que l’exercice soit effectué à « décharge motoneuronale » constante (e.g., Place, Matkowski, Martin & Lepers, 2006). Les tâches continues jusqu’à épuisement peuvent également être conduites lors d’exercices de type « corps entier » au cours de tâches de course ou de cyclisme. Par exemple, Angius et al., (2019) ont demandé aux participants de maintenir un effort de cyclisme le plus longtemps possible à 70% du pic de puissance maximale préalablement mesuré.
Dans ces travaux de thèse, des contractions isométriques conduites à intensité constante et jusqu’à épuisement ont été utilisées. Cette modalité d’exercice présentait l’avantage de réduire un maximum les mouvements de tête et de limiter le niveau de sudation, qui influencent grandement la qualité d’enregistrement de l’activité cérébrale, particulièrement en éléctroencéphalographie (Perrey & Besson, 2018). Aussi, comme ces efforts localisés sollicitent moins le système cardiovasculaire que les exercices dynamiques « corps entier », ils semblaient moins susceptibles d’évoquer différents types d’affects qui pourraient venir interférer avec l’utilisation parallèle des manipulations cognitives envisagées (e.g., anxiété liée à des intensités supérieures au premier seuil ventilatoire, Ekkekakis et al., 2011).
Au cours des tâches intermittentes, il peut être demandé aux participants de répéter des contractions musculaires sous-maximales entrecoupées de périodes de repos plus ou moins longues jusqu’à épuisement (e.g., contractions répétés de 6 secondes conduites à 50% de MVC et entrecoupées de 4 secondes de récupération, Bigland-Ritchie et al., 1986a). Lorsque le sujet n’est plus en mesure de fournir le niveau de force requis pour maintenir la contraction pendant le temps défini, il atteint la limite de son endurance (Bigland-Ritchie et al., 1986a). Les tâches intermittentes peuvent aussi être conduites sur des exercices de type « corps entier » (Grossl, de Lucas, de Souza, & Guglielmo, 2012 ; Ohya, Yamanaka, Ohnuma, Hagiwara, & Suzuki, 2016). Le protocole intermittent proposé par Grossl et al. (2012) consitait par exemple à effectuer jusqu’à épuisement, 5 minutes de cyclisme à une intensité sous-maximale donnée (en l’occurence à l’état stable maximal de lactatémie) entrecoupées d’une minute de récupération.
Les tâches sollicitant des efforts à intensités maximales sont aussi utilisées pour investiguer l’endurance des participants. Ces tâches impliquent généralement la réalisation de contractions volontaires maximales répétées (dont le nombre est préalablement défini) et entrecoupées de courtes périodes de récupération (Ciccone et al., 2019 ; Liu, Zhang, Yao, Sahgal, & Yue, 2005 ; Montenegro et al., 2015 ; Taylor, Allen, Butler, & Gandevia, 2000 ; Vargas et al., 2018). L’endurance des participants est observée au travers de leur capacité à résister à la perte de force induite par la répétition des efforts. Liu et al. (2005) ont par exemple observé qu’après la réalisation de 100 contractions maximales volontaires (d’une durée de 2 secondes et entrecoupées d’une seconde de récupération), la force de préhension des fléchisseurs des doigts avait diminué de 40% à la fin de la tâche fatigante. L’effort de type « contre la montre » est aussi utilisé au sein de la littérature pour mesurer l’endurance des participants (Amann et al., 2009 ; Blain et al., 2016 ; Ducrocq, Hureau, Meste, & Blain, 2017).
L’individu doit parcourir une distance donnée (e.g., 5km) le plus rapidement possible en régulant le niveau d’intensité fourni dans le but de réaliser la meilleure performance possible.
La performance réalisée révéle ainsi le niveau d’endurance du participant.
Enfin, les tâches « à perception d’effort constante » ont fait leur apparition au cours de ces dernières années afin d’investiguer l’endurance des participants. Les tâches à intensité perçue constante définissent une perception d’effort (e.g., RPE 13 sur l’échelle 6-20 de Borg ; Deshayes, Clément-Guillotin, & Zory, 2019) que les participants doivent maintenir au cours de l’exercice. Cette méthode a été utilisée sur des exercices de type « corps entier » (Deshayes et al., 2019a ; Roussey et al., 2018) ou lors de contractions isométriques (Keller et al., 2018) pour fournir un indicateur de performance concernant l’endurance des participants (i.e., temps de maintien ; Deshayes et al., 2019a ou puissance développée ; Roussey et al., 2018)

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