Le rôle des caractéristiques personnelles
Nous discutons ici des quatre variables liées aux caractéristiques personnelles de l’utilisateur à savoir l’innovativité d’usage, les usages quotidiens de services mobiles, la recherche d’interaction sociale et le besoin de déconnexion avec le smartphone.
Les effets de l’innovativité d’usage
Les résultats nous ont permis d’identifier trois effets de l’innovativité d’usage sur les autres variables du modèle.
L’innovativité d’usage a un effet positif sur les usages de SMOORIL. Ces résultats sont conformes à ceux identifiés dans la littérature (Ha et al., 2010 ; Shih et Venkatesh, 2004 ; Shih et al., 2013). Dans le champ du tourisme, Wang, Xiang et Fesenmaier (2014b) montrent que les personnes qui ont tendance à essayer de nouvelles applications mobiles au quotidien se
traduisent par des usages plus fréquents de services mobiles touristiques (Wang, Xiang et Fesenmaier, 2014b). Nos résultats valident ainsi l’effet de cette variable sur les usages du smartphone dans le domaine touristique.
L’innovativité d’usage a un effet positif sur l’usage quotidien du smartphone. Comme pour la relation précédente, le résultat est conforme à la littérature (Ha et al., 2010 ; Shih et Venkatesh, 2004 ; Shih et al., 2013). En outre, nous notons le fort pouvoir explicatif de l’innovativité d’usage qui explique près de 70 % de la variance des usages quotidiens.
L’innovativité d’usage a un effet négatif sur le besoin de déconnexion avec le smartphone.
L’effet négatif exercé par l’innovativité d’usage sur le besoin de déconnexion montre qu’un individu enclin à essayer différentes façons d’utiliser la technologie sera moins affecté par ce besoin de déconnexion. Ainsi, plus l’innovativité d’usage est forte, moins le touriste aura envie de délaisser son smartphone au cours du séjour.
Les effets des usages quotidiens du smartphone
Les usages quotidiens du smartphone exercent une influence positive sur les usages de SMOORIL. Ce résultat confirme ceux des études qualitatives récemment menées sur le sujet (Wang, Xiang et Fesenmaier, 2014a,b). D’après Wang, Xiang et Fesenmaier (2014b), les usages quotidiens de services mobiles créent un « effet d’entraînement » (spillover effect) sur les usages touristiques. Cet effet d’entraînement résulte du fait que les personnes continuent à garder leurs habitudes telles que consulter leurs mails ou leurs réseaux sociaux numériques depuis leur téléphone au cours du séjour touristique. Notre résultat montre que cet effet est présent même lorsque les usages étudiés ne sont pas ceux du quotidien.
Les caractéristiques contextuelles
Les trois caractéristiques contextuelles sont discutées à savoir, l’expérience avec la destination, l’utilisation d’autres supports d’informations et l’utilisation de technologies complémentaires.
Les effets de l’expérience avec la destination
L’expérience avec la destination exerce une influence positive sur les usages de SMOORIL. Comme nous l’avons évoqué dans le deuxième chapitre, il existe deux approches contradictoires en ce qui concerne l’effet de l’expérience avec la destination. En effet, pour certains auteurs le fait d’avoir déjà visité une destination entraîne un comportement de recherche d’informations plus important (Coupey, Irwin et Payne, 1998 ; Fodness et Murray, 1998) alors que pour d’autres auteurs l’effet est inverse (Gursoy et McCleary, 2004 ; Rao et Sieben, 1992). Les résultats de notre recherche confirment la proposition selon laquelle l’expérience avec la destination a un effet positif sur les usages de SMOORIL. Ces résultats indiquent que la recherche d’informations est plus importante lorsque l’on a déjà visité la destination. Lors d’une première visite, le touriste peut se contenter de découvrir la destination par la promenade, en découvrant la destination au travers de la marche (Ladwein, 2003). Lors d’une nouvelle visite, le touriste ayant déjà découvert une partie du territoire, cherche à explorer des lieux encore non-visités qui sont généralement moins visibles ou moins accessibles. Le touriste est donc amené à chercher des informations de manière plus active. Les services mobiles offerts par son smartphone vont ainsi constituer une source d’informations pertinente tout au long de ses pérégrinations.
Les effets de l’utilisation d’autres supports d’informations (hors Internet)
L’utilisation d’autres supports d’informations (hors TIC) exerce une influence positive sur les usages de SMOORIL. Nous avons été confrontés pour cette variable au même problème que dans le cas de l’expérience avec la destination à savoir deux approches contradictoires. La première approche soutient que l’utilisation des TIC est préférée à l’utilisation d’autres supports d’informations (Jacobsen et Munar, 2012) alors que d’après Brown et Chalmers (2003), les touristes qui utilisent les SMOORIL combinent généralement l’utilisation du smartphone avec d’autres supports tels que des cartes, des guides touristiques, etc. L’utilisation d’autres supports d’informations combinés aux usages de SMOORIL indique donc un comportement de recherche d’informations important. Ces résultats confirment le travail ethnographique de Brown et Chalmers (2003) et sont concordants avec notre recherche exploratoire. Un touriste qui cherche à obtenir une grande quantité d’informations sur la destination va utiliser les ressources disponibles de manière à optimiser sa collecte d’informations.
Les effets de l’utilisation de technologies complémentaires
L’utilisation de technologies complémentaires n’exerce pas d’influence sur les usages de SMOORIL. Les résultats de la modélisation par équations structurelles ne nous ont pas permis de valider cette proposition de recherche. Ce résultat n’est pas conforme à la littérature sur la diffusion des usages qui montre que l’utilisation de technologies complémentaires a un effet positif sur l’utilisation d’autres technologies (Shih et Venkatesh, 2004 ; Shih et al., 2013). Pour Vitalari, Venkatesh et Gronhaug (1985), l’utilisation de technologies similaires peut entraîner une compétition ou une complémentarité entre les usages notamment grâce au phénomène d’apprentissage. Dans le contexte de notre recherche, la durée d’un séjour touristique est généralement trop courte pour que ce phénomène d’apprentissage soit à l’oeuvre. L’absence de relation entre ces deux variables peut indiquer que les touristes font usage de leur smartphone pour des usages spécifiques qui sont propres aux caractéristiques de cette technologie à savoir son ubiquité. Cette caractéristique n’étant offerte par aucune des autres technologies étudiées du moins en ce qui concerne la plupart des services étudiés dans cette recherche, nous pouvons conclure des usages indépendants des autres technologies.
Les conséquences des usages de SMOORIL sur l’expérience touristique, une mesure de la mobilité potentielle physique
En nous appuyant sur le cadre conceptuel du comportement de mobilité du consommateur, nous avons considéré que la mobilité virtuelle effective (les usages de SMOORIL) avait un effet sur la mobilité physique potentielle. Notre recherche a mesuré la mobilité physique potentielle comme une des conséquences des usages de SMOORIL sur l’expérience touristique. Nous justifions ce choix en précisant que le touriste qui utilise son smartphone obtient des informations et acquiert des connaissances qui vont lui permettre de découvrir et de naviguer physiquement dans l’espace géographique de la destination. Les conséquences des usages de SMOORIL mesurent la mobilité potentielle physique du consommateur. Les différentes variables identifiées montrent comment les usages de SMOORIL (mobilité effective virtuelle) affectent la perception de l’espace géographique et des lieux d’interactions physiques. Un touriste qui va chercher des activités depuis son smartphone va ainsi améliorer sa connaissance de l’espace géographique, autrement dit améliorer son potentiel de mobilité physique. C’est à partir de ce potentiel qu’il va décider ou non s’il souhaite se rendre sur place pour pratiquer une de ces activités.
Les effets perçus de la dimension sociale de l’expérience touristique sur la satisfaction avec les SMOORIL
Les effets perçus de la dimension sociale de l’expérience touristique influencent négativement la satisfaction avec les SMOORIL. En nous basant sur la littérature, ce résultat apparaît comme contre-intuitif et contradictoire avec la littérature. En effet, si les usages de SMOORIL affectent positivement les effets perçus de la dimension sociale de l’expérience touristique, alors cette variable devrait influencer positivement la satisfaction avec les SMOORIL à l’instar des travaux sur la diffusion des usages Shih et Venkatesh, 2004 ; Shih et al., 2013.
Plus les touristes utilisent des SMOORIL, plus ils perçoivent un effet positif de ces usages sur la dimension sociale de l’expérience touristique. Cependant, le fait de percevoir que ces usages contribuent à améliorer cette dimension de l’expérience touristique les amène à dégrader leur satisfaction avec les services mobiles. Ce résultat met en évidence un paradoxe des usages de SMOORIL. Ainsi même si touristes perçoivent que les usages de SMOORIL affectent positivement la dimension sociale de l’expérience touristique, il existe une volonté chez l’usager de ne pas utiliser ce canal pour stimuler les interactions sociales. Ainsi moins l’effet perçu sur la dimension sociale est important, plus le touriste sera satisfait des SMOORIL dont il a fait usage.
D’après Jansson (2007), l’utilisation du smartphone au cours d’un séjour touristique peut contribuer au phénomène de « décapsulation ». Ce phénomène résulte de comportements quotidiens qui sont répétés lors d’un séjour touristique et contribuent à faire perdre son côté extraordinaire à l’expérience touristique et à le rapprocher de son quotidien (Cohen et Cohen, 2012). Le touriste a donc conscience que si le smartphone peut faciliter les interactions sociales, il existe un risque de dégrader son expérience touristique.
Les effets perçus de la dimension sociale de l’expérience touristique sur la satisfaction avec les SMOORIL
Les effets perçus de la dimension découverte de l’expérience touristique influencent positivement la satisfaction avec les SMOORIL. Ce résultat est conforme à l’hypothèse de recherche. Il confirme les résultats de l’étude exploratoire ainsi que ceux de la théorie de la diffusion des usages Shih et Venkatesh, 2004 ; Shih et al., 2013 puisque les effets perçus affectent positivement la satisfaction. En ce qui concerne les recherches dans le champ du tourisme, cela confirme que les usages de SMOORIL contribuent à mieux connaître une destination (Saari, Yoo et Tussyadiah, 2008 ; Tussyadiah et Fesenmaier, 2009 ; Wang, 2010) et améliorer la satisfaction (Wang, Xiang et Fesenmaier, 2014b).
Cette première sous-section nous a permis de discuter des résultats du modèle et de les confronter avec les hypothèses de recherche et la littérature. Nous allons maintenant passer à la discussion qui aborde la comparaison des modèles des différents SMOORIL à savoir les Services Mobiles d’Orientation, d’Organisation et de Recherche d’Activités Localisées.
La comparaison des usages selon la catégorie de services, une mesure de la mobilité virtuelle effective
Nous avons souhaité examiner s’il existait des différences en comparant trois modèles en faisant varier la variable centrale, celle des usages. Les trois modèles testés ont été un premier modèle uniquement avec les usages de services mobiles d’orientation, un deuxième avec les services mobiles d’orientation et un troisième avec les services mobiles de recherche d’informations localisées. Nous discutons des résultats où l’on constate des différences (tableau 4.21).
Les effets de modération liés à l’intensité et à la variété des usages de SMOORIL
L’intensité et la variété des usages de SMOORIL ont été identifiées comme modérateurs du modèle causal.
Le rôle modérateur de l’intensité d’usages de SMOORIL
Le rôle modérateur de l’intensité d’usages peut notamment être traduit par les différences significatives entre les coefficients structurels des deux groupes d’utilisateurs (faible vs élevée).
Une faible intensité d’usages de SMOORIL s’explique par le comportement d’usage quotidien de services mobiles. Ainsi nous retrouvons l’effet d’entraînement identifié par Wang, Xiang et Fesenmaier (2014b) qui implique que les comportements quotidiens d’usage du smartphone se confirment au cours d’un séjour touristique.