LES DETERMINANTS DE L’ENGAGEMENT ENTREPRENEURIAL

LES DETERMINANTS DE L’ENGAGEMENT ENTREPRENEURIAL

Débat théorique sur les déterminants de l’engagement entrepreneurial

Comme l’a si bien fait apparaître la revue conceptuelle, l’engagement entrepreneurial n’est rien d’autre que l’engagement de l’entrepreneur à poursuivre l’exploitation de son entreprise malgré l’adversité. L’engagement entrepreneurial tel qu’étudié ici, se demarque des études des motivations entrepreneuriales ou du déclenchement par rapport au temps qui les sépare de la création. En effet, pendant que les études de motivation entrepreneuriale et de déclenchement se situent en amont de la création, l’engagement entrepreneurial, lui, se situe en aval. Quoi qu’il en soit, au regard de la taille des entreprises africaines en général et sénégalaises en particulier, la personne de l’entrepreneur a toujours focalisé toute l’attention de par le rôle qu’il joue. L’étude du succès entrepreneurial a evolué selon plusieurs périodes caractérisées chacune par une école. La question d’engagement entrepreneurial a fait l’objet de beaucoup de contreverses. Selon que l’on est personnaliste, culturaliste ou sociologue, etc. Les orientations stratégiques des PME sont souvent moins formelles que celles des grandes entreprises et reposent plus sur l’intuition de leurs gestionnaires que sur une analyse rigoureuse des forces du marché (Julien & al., 2005; Spence, 2007). Les différentes théories mobilisées ici seront successivement développées dans les paragraphes qui suivent. Il s’agit de la théorie de la personnalité, de la théorie du comportement, de la théorie de la structure, de la théorie de la culture et de la théorie de la nécessité et de la précarité. 

Théorie de la personnalité

Jusqu’à la fin des années 1980, les recherches ont mis en avant que les facteurs psychologiques et les traits de personnalité de l’entrepreneur étaient les seuls facteurs déterminants de la réussite ou de l’échec d’une entreprise nouvellement créée (Mc Clelland, 1961 ; Brockhaus et Horwitz, 1986; Gartner, 1988 ; Shaver et Scott, 1991). 51 Pour les tenants de la théorie de la personnalité ou les personnalistes, la forte propension entrepreneuriale s’explique par la présence, dans certains groupes ethniques, d’une plus grande proportion d’individus possédant les caractéristiques personnelles appropriées à la carrière entrepreneuriale. Ces caractéristiques comprennent l’âge, l’éducation, les ressources financières, les valeurs ainsi que l’expérience de travail. L’éducation et les valeurs peuvent être le résultat de l’appartenance à un groupe ethnique qui valorise l’acquisition de connaissances et/ou la progression individuelle, mais peuvent aussi être le résultat d’un investissement personnel ou familial (Filion & al., 2007). Selon les tenants de cette approche par les traits de personnalité, il semble impossible de trouver chez un seul individu toutes les qualités que l’on exige de lui pour réussir (Fonrouge, 2002 ; Bayad, Boughattas et Schmitt, 2006, 2007). Sexton et Bowman (1985), Brockhaus et Horwitz (1986), Stevenson et Jarillo (1990), Baron (1998) ainsi que Lorrain et Dussault (1998) affirment d’ailleurs que les traits de personnalité et les motivations ne discriminent pas les entrepreneurs qui réussissent de ceux qui échouent. 2.1.2. Théorie du comportement Dans les années 1990, les recherches se sont orientées vers la définition des entrepreneurs par ce qu’ils font, c’est-à-dire par leurs actions et leurs comportements plutôt que par leurs traits personnels. L’approche comportementaliste a ainsi vu le jour (Verstraete, 1999, Schmitt, 2003). Elle suggère que, ce sont les compétences qui constituent les meilleurs prédicteurs de la performance des entrepreneurs (Chandler et Jansen, 1992 ; Herron et Robinson, 1993). La mobilisation de cette théorie nous parrait indispensable parce que l’engagement entrepreneurial est une décision qui entre dans le cadre d’un comportement ; lequel comportement peut être la résultante d’une expérience ou d’une formation.

Théorie de la structure

Selon les structuralistes, l’attrait de l’environnement stimulerait à la création d’entreprise. Cela implique l’existence des mesures facilitatrices ou de conditions souples de création d’entreprises. Nous mobilisons la théorie de la structure dans cette etude parce qu’un environnement favorable à l’entrepreneuriat ne saurait etre sans effet sur l’engagement de l’entrepreneur. Par exemple, la prise de mesure d’assouplissement des taxes peut significativement influencer l’engagement des entrepreneurs envers leurs entreprises. Un bon système judidiciaire peut aussi influencer très significativement la décision de continuer 52 l’exploitation d’une entreprise. L’accompagnement des entrepreneurs par l’Etat ne laisserait pas indifferents les entrepreneurs.

Théorie de la culture

Les tenants de la théorie culturelle ou approche par la culture justifient la propension à entreprendre par rapport à la culture et expliquent la forte propension des individus à l’entrepreneuriat par l’influence des valeurs culturelles de leur communauté d’appartenance. En fait, la culture dominante dans une société ou un groupe ethnique explique les variations dans la propension entrepreneuriale (Roy, 1998). Pour Gordon Redding (1993), les conditions culturelles constituent, pour les sociétés asiatiques, le moule dans lequel sont coulées les capacités de chacun. Chez les Chinois d’outre-mer, « la propriété jouit d’un grand prestige, alors que le salariat est jugé dévalorisant ; ce sont les riches (donc les entrepreneurs) qui peuvent réaliser de la façon la plus éclatante, l’idéal moral de la société, le besoin de prendre soin d’autrui et de gagner ainsi le respect de leurs semblables ». Ces valeurs propres à l’éthique confucéenne amplifient la capacité de la société chinoise à produire des entrepreneurs. Hofstede (1994) cité par Kamavuako-Diwavova (2009) a montré, à travers ses recherches, qu’il existe une corrélation entre la culture nationale ou régionale et certaines mesures de l’entrepreneuriat (innovations nationales, le taux de création des nouvelles entreprises). A partir d’une grille instrumentale, il décrit quatre dimensions qui permettent de différencier les cultures nationales d’entreprises. Dans la première dimension, ce sont les relations entre les individus (individualiste/ collectiviste). Dans des sociétés individualistes, chaque individu entretient des liens lâches avec les autres (il veille à ses propres intérêts et à ceux de sa famille immédiate). A l’opposé, dans les sociétés collectivistes, les liens entre individus sont plus forts (l’individu est soumis aux intérêts collectifs et reçoit en retour la protection du groupe en cas de menace). Plus une société devient riche, plus elle évolue vers l’individualiste (Hofstede, 1994) cité par Levy-Tadjine (2004). Certains auteurs ont observé que les caractéristiques culturelles de certains groupes ethniques stimulent des styles individuels d’expression entrepreneuriale, alors que d’autres favorisent des styles collectifs (Filion & al., 2007). Il est souvent admis que le système socioculturel des pays 53 africains, à l’instar de celui des pays asiatiques et des pays arabophones, serait plus collectif (communautaire) que les systèmes occidentaux (Ponson, 1995 ; Warnier, 1995 ; Hernandez, 1997 ; Kandem, 2002). Une illustration de cette thèse est fournie, entre autres, par les travaux de Boubacar Diakité (2004) qui résume l’esprit d’entreprise du peuple « peul ». Dans les pays africains, la description du collectivisme s’apparente très explicitement au « tributariat » que Wague (1998) présentait en soulignant l’importance communautaire sur l’entrepreneur. « Dans les pays africains, l’individu existe en raison de son appartenance à une communauté. Il en est de même de l’entrepreneur. A la différence notable que celui-ci a la capacité d’être mieux doté économiquement et, de ce fait, il acquiert un pouvoir d’action et donc une marge de liberté par rapport à l’individu ordinaire. Cependant, il est sous la pression économique de sa communauté. Celle-ci est régie par les droits et obligations qui s’imposent à chacun de ses membres. L’entrepreneur subit des obligations de redistribution plus accentuées », obligations qui passent par l’embauche des membres de la communauté. Tsika (1995) souligne ainsi que les entrepreneurs africains « éprouvent d’énormes difficultés à desserrer l’étau du tributariat, terme par lequel on désigne une sorte d’impôt de reconnaissance sociale qui s’impose à eux, c’est-à-dire un ensemble de transferts contraignant et de tous ordres en direction du groupe familial ou plus largement lignagé. Quand le sujet ne parvient plus à s’acquitter de ces obligations communautaires et traditionnelles, il est alors sujet à la sanction constituée par l’absence de la reconnaissance de son statut, de sa position sociale et de son rang familial et se place sous la menace d’une pression magico-religieuse qui peut aller jusqu’à en faire la victime de faits de sorcellerie ». La deuxième dimension est la distance hiérarchique : elle mesure le degré d’acceptation des inégalités par les membres de la société. Une forte distance hiérarchique traduirait les sociétés qui acceptent les inégalités physiques, intellectuelles entre les classes sociales. La réduction de ces inégalités renvoit à une situation de faible distance hiérarchique. La troisième dimension est le contrôle de l’incertitude c’est-à-dire l’inquiétude des membres face à des situations inconnues ou incertaines. Un fort contrôle de l’incertitude, c’est se prémunir contre l’incertain, avoir une vision de l’avenir, limiter l’impact des catastrophes. Dans des sociétés à faibles contrôle de l’incertitude, les individus ne se sentent pas très menacés par l’avenir inconnu et déploient peu de dispositifs institutionnels pour tenter de les maîtriser. 54 La quatrième dimension oppose les sociétés « masculines » aux sociétés « féminines ». Dans les sociétés masculines les rôles des deux sexes sont nettement différenciés (l’homme doit être fort, s’imposer et s’intéresser à la vie matérielle, tandis que la femme est censée être plus modeste, tendre et plus concernée par la qualité de la vie). Les sociétés féminines permettent par contre aux deux sexes de jouer des rôles identiques. Pour les auteurs qui s’inscrivent dans cette approche, elle serait propice à l’éclosion d’aspirants entrepreneurs, une culture caractérisée selon Mueller et Thomas (2000) et Shane (1992) par : – une faible distance hiérarchique (car tout le monde peut entreprendre, riche ou moins riche) ; – un fort individualisme (cf. le besoin d’auto-réalisation, intérêt personnel) ; – une forte masculinité (cf. l’entrepreneuriat c’est plus l’affaire des hommes) ; – une faible maîtrise de l’incertitude (on prend le risque malgré tout vs risque calculé).

La théorie de la nécessite et de la précarité

Dans leur étude intitulée « création par nécessité et précarité : la face cachée de l’entrepreneuriat », Fayolle et Nankara (2010) montrent que des individus en l’absence d’alternatives réalistes sont contraints de se lancer dans la création d’entreprise. Ces types d’entrepreneuriat sont liés à des aspirations, à des motivations et à des facteurs qui orientent le comportement humain (Acs, 2006 ; Hessels & al. 2008). L’entrepreneuriat d’opportunité relève de facteurs « pull » tels que l’autonomie, l’indépendance, la liberté, l’argent, le défi, le statut social ou encore la reconnaissance (Carter & al., 2003 ; Wilson & al., 2004). L’entrepreneuriat de nécessité est lié à des facteurs « push » comme le chômage, le licenciement ou la menace de perdre son emploi (Thurik & al., 2008). Durant leurs enquêtes ils recueillent ces propos : « ce sont des personnes qui sont face à une difficulté immédiate de pérennisation de ressources, qui ne trouvent pas d’emploi et qui sont obligées, par dépit, de créer une structure. Mais ce ne sont pas forcément des éléments favorables à la réussite d’une entreprise, surtout quand c’est fait dans cet esprit-là. Donc on est dans l’urgence et la précipitation. Et dans la précipitation, rien de bon » ou encore « j’ai eu beaucoup d’entrepreneurs précaires que j’ai senti ‘poussés’ pour créer leur entreprise car ils n’ont pas d’autres choix… pour eux, entreprendre c’est juste s’immatriculer comme s’ils fuyaient la réalité »; « quand il y a un licenciement, tout se déclenche derrière, le couple va mal, on commence à avoir des problèmes d’argent, les gens ne sont pas bien dans leur peau, etc.». 

Les différents facteurs de l’engagement entrepreneurial

Le souci d’identification des déterminants de l’engagement entrepreneurial a mobilisé plusieurs chercheurs. Leurs propositions, opposées ou complémentaires peuvent être regroupées en plusieurs catgories. Dans le cadre de la présente étude, trois, qui semblent les plus pertinentes ont été retenues. Il s’agit de la psychologie de l’entrepreneur, des facteurs environnementaux et des contraintes économiques. Le choix de ces variables se justifie par le fait qu’ils intègrent les éléments de profil de l’entrepreneur, les conditions financières indispensables à tout projet d’entreprise et l’environnement dans lequel l’entrepreneur se déploie. 

La psychologie de l’entrepreneur

Shaver (1995) a toujours présenté l’entrepreneur comme un être dont un certain nombre de mythes entoure la figure. L’un de ces mythes est de considérer l’entrepreneur comme un individu très confiant, qui a le goût du risque et qui résiste facilement à l’incertitude (Rahim, 1996; Simon & al., 2002; Simon & al., 2000). Les différents travaux sur les facteurs de la psychologie des entrepreneurs influençant leur engagement entrepreneurial ont abouti à l’identification de plusieurs caractéristiques dont : la confiance en soi (Simen et Diouf, 2014 ; St Jean et Jacquemin, 2007 ; Rahim, 1996 ; Simon & al., 2000 ; Simon & al., 2002), l’autonomie (Hernandez, 2016), la prise de risque (St Jean et Jacquemin, 2007 ; Rahim, 1996 ; Simon & al., 2000 ; Simon & al., 2002), la passion (Adie, 2015 ; Fisher, 2011 ; cardon & al., 2009 ; Chen & al., 2009)

L’attitude face au risque

La détermination du dirigeant désigne la volonté de prendre des risques et d’être proactif, et indique l’engagement à la croissance (McCelland, 1961 ; Morris et Sexton, 1996). Selon Volle (1995), le risque consiste en la perception d’une incertitude relative aux conséquences potentiellement négatives associées à une alternative de choix. Dans un contexte organisationnel, le lien entre tolérance au risque et performance a déjà été étudié. Les résultats montrent un lien positif (Aaby et Slater, 1989) même si toutes les études ayant postulé ce lien ne sont pas concluantes (Halikias et Panayotopoulou, 2003). En effet, la performance, qu’elle soit mesurée de manière objective ou subjective, est nécessairement médiatisée par des choix ou des comportements des dirigeants, et pas directement par leur personnalité. Selon les études de cas de seize micro-entreprises de Perren (2000), la prédisposition à prendre des risques est 56 un facteur déterminant de la volonté du propriétaire exploitant d’obtenir les ressources matérielles, financières et incorporelles nécessaires à la croissance de l’entreprise pour dépasser le stade de micro-entreprise. Selon Basly (2006), les propriétaires dirigeants sont plus à même de prendre des décisions risquées, car ils profitent, seuls, des gains générés alors que le risque de faillite est aussi supporté par les créanciers. Les entreprises contrôlées par le propriétaire poursuivraient un comportement maximisateur de profit et seraient plus favorables à la prise de risque pour des bénéfices élevés sur une courte période (Katz et Niehoff, 1998). Or, certains auteurs (Reijonen et Komppula, 2007 ; Messaoudi et Binkkour, 2016) ont trouvé que le niveau d’endettement bancaire est négativement corrélé avec l’aversion au risque du dirigeant.

Table des matières

INTRODUCTION GENERALE
PREMIERE PARTIE : ENGAGEMENT ENTREPRENEURIAL : FONDEMENTS
THEORIQUES ET EMPIRIQUES, REALITES EN CONTEXTE DU SENEGAL
Chapitre 1 : APPROCHE CONCEPTUELLE DE L’ENGAGEMENT ENTREPRENEURIAL
1.1. Le concept d’engagement
1.2. Le concept d’entrepreneuriat
1.3. Le concept d’engagement entrepreneurial
Chapitre 2 : ETAT DE L’ART SUR LES DETERMINANTS DE L’ENGAGEMENT
ENTREPRENEURIAL
2.1. Débat théorique sur les déterminants de l’engagement entrepreneurial
2.2. Les différents facteurs de l’engagement entrepreneurial
2.3. Les résultats des études empiriques
Chapitre 3 : L’ENTREPRENEURIAT AU SENEGAL
3.1. L’entrepreneuriat au Sénégal : histoire et faits
3.2. Regard critique des solutions aux difficultés des entrepreneurs au Sénégal
DEUXIEME PARTIE : APPROCHE EMPIRIQUE DES DETERMINANTS DE L’ENGAGEMENT ENTREPRENEURIAL
Chapitre 4 : CHOIX METHODOLOGIQUES, COLLECTE ET TRAITEMENT DES DONNEES
4.1. Epistémologie de la recherche
4.2. Démarche de collecte et de traitement des données
Chapitre 5 : PRESENTATION DES RESULTATS DE l’ETUDE
5.1. Les statistiques descriptives
5.2. Résultats économétriques
Chapitre 6 : INTERPRETATION ET DISCUSSION DES RESULTATS DE l’ETUDE
6.1. Interprétation des résultats
6.2. Discussion des résultats
CONCLUSION GENERALE
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXES

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