Les déterminants de la pratique de la planification familiale
ETAT DES CONNAISSANCES ET PROBLEMATIQUE DE REGULATION DES NAISSANCES
Ce chapitre aborde les questions générales de l’étude, fait l’état des lieux des connaissances sur les problèmes de populations, soulève la problématique du défi de la maitrise de la fécondité dans un contexte de pauvreté en spécifiant le cas tchadien, et s’ouvre sur les modèles théoriques qui rendent compte des faits.
Etats des connaissances
Avec Aktouf, la revue de la littérature, c’est le moment de « faire l’état des connaissances sur le sujet » (1987: 22). Ainsi, la revue critique de la littérature nous a permis de nous repositionner et d’insérer notre étude dans un argumentaire scientifique constructeur. L’approche littéraire est orientée sur trois (3) axes principaux. Il s’agit, d’abord, de passer en revue les écrits sur les perceptions et représentations sociales, culturelles et religieuses en relation avec la fécondité, ensuite de poser la problématique du lien entre la pauvreté et la fécondité et, enfin l’attitude et le comportement des hommes en matière de prise de décision de planification familiale.
Fécondité sous les contraintes sociales et culturelles
La nécessité de comprendre la place des pesanteurs socioculturelles sur la fécondité dans les pays sous-développés en général et en Afrique subsaharienne en particulier a amené la communauté scientifique à réaliser plusieurs recherches. Ce qu’on peut appeler le modèle explicatif dit traditionnel. Deux concepts paraissent clairement relever de la dimension culturelle : la religion et les mœurs (Théré et Rohsbasser, s.d.). Ce dernier est cependant très large. Toutefois, nous disons avec les moralistes classiques que les mœurs font référence à « la manière bonne ou mauvaise dont vit une personne » (Furetière 1690 dans spector 2005). Cette notion s’étend à l’idée de « socialisation », d’« historisation » et de « politisation ». Le concept de religion quant à lui est « un ensemble de croyances et de rites en lequel communient des individus qui y découvrent un sens surnaturel aux questions que pose l’existence » (Levy, 2005: 17). Désapprouvés avec force par la modernité comme aliénantes et néfastes aussi bien pour Les déterminants de la pratique de la planification familiale Thèse de Doctorat au Tchad à partir de la population Ngambaye de Ngourkosso Population Développement et Santé NERADE Giscard Université Cheikh Anta DIOP de Dakar Page 15 l’individu que pour la société, les religions (Levy, 2005) les mœurs, loin de disparaitre, s’affirment aujourd’hui avec une vigueur renouvelée. Moheau estime au contraire que les religions assurent la cohésion sociale et l’existence de la société (Moheau, 1778). Des travaux traitant des croyances et de la reproduction humaine, figure la contribution de Jean-Marc Ela dans l’ouvrage collectif, La Sociologie des Populations (Gérard et Piché, 1995). Ela montre que les analyses menées ont permis d’apprécier la complexité des facteurs liés au phénomène de la fécondité. Autour de la reproduction humaine s’articule un ensemble de représentations collectives, des croyances et des mythes, des symboles et des rites. Pour ce faire, l’auteur s’interroge est ce, en l’absence de la prise en compte de cet environnement, les actions en vue de la maitrise de la fécondité porteront-elles des fruits. L’élément le plus intéressant est que cet auteur a pu relever la dimension représentationnelle de la fécondité très présente en Afrique. S’inscrivant dans la même logique, Jean-Aimé Dibakana aborde dans l’Etat face à la santé de la reproduction en Afrique noire : exemple du Congo-Brazzaville, les «effets du transfert d’un modèle thérapeutique de l’Occident à l’Afrique, de sa réappropriation, de sa réinterprétation par la société d’accueil » (Dibakana, 2003 : 12). Pour lui, les composantes de la santé de la reproduction à savoir la planification familiale, le suivi prénatal, l’accouchement, la lutte contre les IST, etc. s’inspirent d’une vision occidentale de la santé et s’articule surtout autour de la biomédecine. Or, les cultures africaines fixent sur la santé de la reproduction un ensemble de prescriptions qui n’a rien de semblable avec celles d’inspiration biomédicale. La non appropriation, selon l’auteur, est due au fait que la santé de la reproduction dépasse le strict cadre de la médecine pour poser la question de la liberté et de la responsabilité individuelle et collective dans les comportements sexuels et reproductifs. Un réexamen des politiques en Afrique subsaharienne révèle la lenteur du progrès, tout d’abord en raison des programmes mal conçus ou inappropriés qui sont proposés (Adepoju, 1994). Ainsi, les tentatives pour résoudre les problèmes de populations ont rencontré un succès limité à cause de leur conception inadaptée et cela parce qu’on n’a pas suffisamment pris en compte le caractère central de la famille dans les comportements observables. Les déterminants de la pratique de la planification familiale Thèse de Doctorat au Tchad à partir de la population Ngambaye de Ngourkosso Population Développement et Santé NERADE Giscard Université Cheikh Anta DIOP de Dakar Page 16 La réalité montre que « la famille étendue tente de se maintenir ». De façon directe ou indirecte, les décisions concernant la procréation et la production sont en grande partie celles de la famille. La disposition d’une main d’œuvre familiale nombreuse est une nécessité économique (Guillaume et Vimard, 1994) surtout pour les familles en milieu rural. Elle favorise le maintien de la famille étendue. Même dans le processus de modernisation, les familles et ménages étendus subsistent (Baya, et Laliberté, 2007). Plusieurs facteurs expliquent la persistance de la famille large en Afrique sub-saharienne. Il s’agit, entre autres, du besoin de main d’œuvre, de l’entraide familiale, du prestige, etc. Il est évident qu’une main d’œuvre nombreuse contribuerait à une production importante mais n’apporterait pas une croissance économique conséquente au niveau global. Ce constat économique n’empêche pas la famille élargie de perdurer. C’est donc une sorte de cercle vicieux en marche. Adepoju (1997: 16) précise que « l’omniprésence de l’influence de la famille dans la vie quotidienne des Africains quel que soit leur rang social et économique, représente un défi » qui exige non seulement la reconnaissance de son caractère dans les politiques de populations mais dans l’élaboration des programmes de développement. Pour Sadik (1989), les explications basées sur la culture et l’économie pour justifier le taux élevé de fécondité en Afrique persistent. Dans la catégorie des recherches orientées sur la culture, Michel Fontaine trouve normal l’existence des facteurs socioculturels. Il les considère comme faisant partie du « système de vie en collectivité » (Fontaine, 1995: 319). Face à cet état de choses, sa principale question était « compte tenu des difficultés d’intégrer l’approche « soins de santé primaires » dans une politique de santé, quel que soit son contexte socioculturel, existe-il des déterminations susceptibles d’en favoriser la réalisation et si oui quels sont-ils et sont-ils transposables d’un milieu à un autre ? » (Idem., Fontaine, 1995). A cette série de questions Michel Fontaine répond qu’il n’est plus possible d’aborder les problèmes de santé dans les pays en voie de développement exclusivement en termes médicaux car « Les efforts entrepris dans ce domaine seront toujours décevants aussi longtemps que la santé ne sera pas perçue comme partie intégrante du développement social économique et culturel» (Ibid)
Pauvreté et fécondité en Afrique au sud du Sahara
La question du rapport entre la fécondité et l’amélioration des conditions de vie des populations est au cœur de presque tous les questionnements sur la population. Le but recherché par les politiques est de limiter les naissances pour faciliter le développement ou la simple possibilité d’espacement des naissances donnée aux couples comme facteur de promotion humaine et de libération de la femme. Il est bien difficile d’avoir une position tranchée sur cette problématique. Plusieurs auteurs ont abordé cet aspect du sujet. L’Afrique est un continent qui se caractérise par une fécondité extrêmement forte et un taux de prévalence contraceptive extrêmement faible (Banque Mondiale, 1995). La croissance démographique rapide exacerberait les carences constatées au niveau des services de santé de base, en particulier lorsque l’économie se développe lentement ou les revenus sont en baisse. L’article 68 du plan d’action de la conférence de Bucarest en 1974 dispose que « Le développement économique et social est un facteur déterminant pour la solution des problèmes démographiques » (Verriere, 1978: 12). Dans la suite de cette idée J. Vallin parlant de la politique tunisienne de la population montre que les résultats à long terme sont autant conditionnés par un développement économique, social et culturel harmonieux, que par un programme démographique bien organisé. (Vallon, 1976: 561-589). Ainsi, les programmes de planification familiale ne sauraient se limiter à l’offre des services de contraception. Elles doivent, résolument, faire partie des politiques dites de « changement social » (Op.cit., Locoh, 1992: 25). En plus de l’interaction pauvreté-fécondité comme facteur de la croissance démographique en Les déterminants de la pratique de la planification familiale Thèse de Doctorat au Tchad à partir de la population Ngambaye de Ngourkosso Population Développement et Santé NERADE Giscard Université Cheikh Anta DIOP de Dakar Page 20 Afrique noire, Benoît Ferry et al considèrent les composantes, éducation et santé, mais aussi les obstacles économiques et institutionnels (Ferry et al, 2007). Selon ces auteurs, l’une des explications de la forte fécondité en Afrique sub-saharienne est le sous-développement. Dans leur analyse spatiale de la question, ils confirment que le développement socio-économique est un élément fondamental dans les baisses de fécondité. Mais qu’est-ce que la pauvreté pour agir sur la santé reproductive ? L’élaboration d’une définition de la pauvreté qui soit précise mondialement reconnue est une tâche difficile à laquelle se heurtent constamment les organismes gouvernementaux et non gouvernementaux ainsi que les agences qui travaillent dans le développement ou les services sociaux (Hulse, 2008). La notion de pauvreté peut se définir de plusieurs façons. Elle peut être définie ici comme l’état de qui ne possède ni fortune ni bien matériel; l’absence de ressources et de revenus suffisants pour maintenir des conditions de vie saines; l’insatisfaction d’un ou plusieurs besoins humains de base – nourriture, vêtements, logement, eau potable, services de santé, accès à des installations sanitaires adéquat (Op.cit., Hulse, 2008). L’Afrique abrite un nombre important de personnes qui se trouvent dans cette définition, c’est-à-dire des individus vivant en deçà du seuil de pauvreté, dans la dépossession psychologique, sociale et politique (Friedmann et Sandercock 1995 :15). Il est souvent difficile d’établir une différence entre les causes de la pauvreté et ses conséquences. C’est pourquoi Galbraith disait qu’elles s’exacerbent l’une et l’autre (Galbraith, 1965). La forte fécondité amenuise les possibilités d’arriver à une croissance économique et sociale. En même temps la précarité sociale et économique agit sur la reproduction humaine. A ce niveau il importe d’énoncer la distinction entre la pauvreté transitoire et la pauvreté structurelle (Dubois, 1998). Une distinction apparait fréquemment entre pauvreté transitoire et pauvreté structurelle. La première se situe dans le court terme et demeure essentiellement le fait de phénomènes d’origine politique (guerre), sociale (conflits, perte d’emploi) ou proprement internes au ménage (drames familiaux, cycle de vie, etc.). La pauvreté structurelle, quant à elle, résulte, par contre, soit d’une insuffisance de développement collectif qui fait que l’on ne peut avoir Les déterminants de la pratique de la planification familiale Thèse de Doctorat au Tchad à partir de la population Ngambaye de Ngourkosso Population Développement et Santé NERADE Giscard Université Cheikh Anta DIOP de Dakar Page 21 accès à un certain nombre de services sociaux (c’est le cas des pays du Sud), soit d’une longue tradition de pauvreté tout au moins relative, qui fait que l’on ne connaît pas l’utilisation de certains types de biens ou de services (Dubois, 1998). Le manque tel que présenté dans la pauvreté structurelle crée un mécanisme de maintien dans l’état, même s’il y a existence de service. C’est ce que Dubois appelle « culture de la pauvreté ». Le Bras H s’oppose à l’idée selon laquelle une fécondité élevée compromet la croissance économique. Pour lui « c’est au contraire le développement qui entraine une baisse de la fécondité » (Le Bras dans un entretien accordée à la revue Sciences Humaines, 50, Mars 1995). Cette position est partagée par Alain Prual qui soutient que la fécondité élevée est largement la conséquence de la pauvreté (Jaffré, Y et al, 2009). Dans la même idée le ministre algérien de population et de la santé (qui parlait au nom des 77) fait remarquer que « le développement est le meilleur contraceptif ». (Lamri, 1995: 85). Cette position était déjà défendue à la Conférence mondiale des Nations Unies sur la population de Bucarest en 1974 par les tenants de la transition démographique sous l’effet du développement économique et social. Pour eux, « la meilleure pilule est le développement ». En brandissant la croissance démographique comme frein au développement, les vraies causes de la pauvreté, essentiellement l’injustice (Op.cit., Lamri, 1995), sont occultés. Il est vrai que les regards souvent tournés sur le seul facteur croissance démographique passent sous silence certaines causes. Toutefois, une croissance non maitrisée de la population peut aussi constituer un frein pour le développement. La problématique de la justice sociale est aussi une dimension importante dans les questions de population car les injustices sont assez flagrantes. Elles frappent spécialement les femmes pauvres des campagnes en matière d’offre de services de santé en général et de la planification familiale en particulier. Les femmes en Afrique et dans les pays du Tiers-Monde sont sujettes à des discriminations profondes. Le terme « discrimination à l’égard des femmes» vise toute distinction, exclusion ou restriction fondée sur le genre qui a pour effet ou pour but de compromettre ou de détruire la reconnaissance, la jouissance ou l’exercice par les femmes, quel que soit leur état matrimonial, sur une base d’égalité entre hommes et femmes, des droits humains et des libertés fondamentales dans les domaines politique, économique, social, culturel et civil ou dans tout autre domaine. (Cook, 1997, p.189 cité par Maitrayé, Les déterminants de la pratique de la planification familiale Thèse de Doctorat au Tchad à partir de la population Ngambaye de Ngourkosso Population Développement et Santé NERADE Giscard Université Cheikh Anta DIOP de Dakar Page 22 Navsharan et Palmieri, 2009). Cette « discrimination à l’égard des femmes » se traduit par l’adultère, la dot, les crimes d’honneur et le viol qui continuent à être nourris par des idées préconçues au sujet des identités morales des femmes au sein de la famille. Pour ce faire, l’émancipation de statut de la femme est une dimension particulièrement essentielle quand on veut parler de la santé reproductive puisque c’est la femme qui porte la grossesse et en subit les effets dans le temps et dans sa vie quotidienne. L’émancipation de la gent féminine soulève le problème de » justice de genre ». Elle est entendue comme la suppression – ou au besoin des mesures pour corriger – les inégalités entre femmes et hommes qui résultent de la subordination des femmes aux hommes. Ces inégalités peuvent se loger dans la distribution des ressources et des opportunités qui permettent aux personnes de construire un capital humain, social, économique et politique. Elles peuvent aussi se loger dans des conceptions de la dignité humaine, de l’autonomie personnelle et des droits qui nient aux femmes leur intégrité physique et la capacité de faire des choix sur la façon de vivre leur vie. (Op.cit, Maitrayé, Navsharan et Palmieri, 2009: 112).
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