LES DESINENCES PERSONNELLES
Nous étudierons ici les désinences personnelles d’un point de vue morphologique. Les accords entre le sujet et son verbe ne seront pas analysés. Rappelons seulement que, dans les textes anciens, on rencontre, à côté de l’accord habituel d’un sujet pluriel inanimé avec un verbe singulier, un verbe au pluriel, et même un sujet animé pluriel avec un verbe au singulier180 . Nous nous pencherons sur chacune des formes que prennent les désinences personnelles, sur la place qu’elles occupent aux temps composés, ainsi que sur leur absence dans certaines occurrences.
Allomorphes de désinences
Les désinences personnelles présentent parfois des variantes. Ces variations de forme n’étant pas liées à des variations de sens, il s’agit d’allomorphes181 . Pour mémoire, voici les désinences de l’indicatif en moyen perse182 : Singulier Pluriel 1 re personne -am, -ēm -ēm, (-om) 2 e personne -ē, (-ēh) -ēd 3 e personne -ēd / ø -ēnd 5.1. Les désinences personnelles de l’indicatif en moyen perse
Première personne du singulier
Les allomorphes de la première personne du singulier se rencontrent principalement dans les textes judéo-persans. Seules quelques vocalisations en /-im/ sont à remarquer dans les ouvrages en écriture arabe, encore n’apparaissent-elles nulle part dans notre corpus. Lazard183 en relève une dans un des manuscrits du Tārīx-i Tabarī, et une autre dans le Tafsīr d’Isfarāyinī. Plus intéressantes sont les deux formes enclitiques du verbe « être » en um qu’il cite184 , car elles rejoignent les graphies du judéo-persan. Pour les textes judéo-persans, la désinence de première personne du singulier est l’un des éléments permettant de définir leur provenance. Selon le tableau de Shaked185, on trouverait -wm dans le Fars et la région de Boukhara, et les deux désinences -wm et -’m dans le Khouzistan. Voici la situation pour notre corpus : aucune occurrence de première personne du singulier dans JP5 ; -wm dans JP1, JP2, JP4 et TE2 186 ; cooccurrence de -wm et -m dans JP3 et TE1 (hors du Khouzistan, ce qui en cela contredit l’isoglosse établie par Shaked187). Ainsi dans JP3, la première personne du singulier apparaît orthographiée -wm dans 13 cas et -m dans 7, parfois avec le même verbe et à peu de lignes d’écart : ngryšt krdm, « j’examinai » (JP3 H, 5), et ngryšt krdwm, « j’examinai » (JP3 H, 8). L’écriture -wm peut correspondre à une prononciation /-om/ ou /-um/, que la voyelle soit longue ou brève188. Il est aussi possible que la graphie -m puisse recouvrir une désinence /-ŏm/ ou /-ŭm/ puisqu’en judéo-persan, les voyelles brèves ne sont pas toujours écrites avec une mater lectionis. Comment alors connaître la prononciation de ces deux graphies -wm et -m ? Certaines désinences sont vocalisées189, même s’il faut rester prudent avec les vocalisations190. Ainsi dans TE1 , la première personne du singulier est vocalisée par un ḥolam malē dans xw rdwom, « j’ai mangé » (TE1 17, 6), et dans deux passages traduits de l’hébreu : gwš’hwom, « j’ouvre » (TE1 138, 9) ; w-brwbnwom, « et je balaie », repris dans la marge par by rwbwom, « je balaie » (TE1 140, 14)191 . Pour TE2 , on trouve une fois la vocalisation /u/ (avec un šuruq192) dans ’wrwum, « j’apporte » (TE2 177, 34), dans une traduction. Dans les autres passages de TE2 , Gindin relève d’autres occurrences avec vocalisation en /o/ et souligne qu’elles apparaissent toutes aussi dans des traductions de l’hébreu, à l’exception d’une seule193 . Par ailleurs, une unique occurrence présente une vocalisation en /-am/ : nyšystam, « je suis assis » (TE1 8, 29), mais au regard du contexte, il semble que ce soit une erreur du scribe pour l’infinitif nyšysta n, « s’asseoir » 194. Le fait que la forme soit vocalisée pourrait aussi montrer que le scribe était dérouté par ce phonème vocalique dans la forme verbale qu’on lui dictait, même s’il ne vocalise pas uniquement des formes qui lui paraissent anormales. De même pour prmwdam (TE2 183, 22), la forme verbale est en réalité prmwd, « il ordonna », à laquelle est attaché l’enclitique personnel de première personne du singulier : cette forme est donc à traduire « il m’ordonna » et non « j’ordonnai ». Gindin souligne la présence de /-am/ dans TE2 pour l’enclitique personnel mais n’en a trouvé aucune occurrence pour la désinence195. Cela confirme alors que dans TE, la désinence de première personne du singulier ne serait jamais à lire /-am/. On peut s’étonner de trouver cette désinence en -wm, qu’elle soit à prononcer /-om/ ou /-um/ 196, dans TE1 qui présente pourtant une langue très proche de celle des ouvrages en écriture arabe. Mais il y a un parallèle possible avec les formes enclitiques du verbe « être » en um. Cette lecture en /um/ à la place de l’habituelle /am/ se rencontre donc aussi dans les textes du nord. On peut alors se demander d’où vient ce timbre. En moyen perse, nous avons la terminaison -am (-ēm dans les textes manichéens)197. Comme le propose Gindin198, cette voyelle d’arrière pourrait être due à l’influence de la nasale. Elle s’est d’ailleurs conservée en kâboli199 .
Deuxième personne du singulier
Prononciation de cette désinence
Pour la deuxième personne du singulier, la question de sa prononciation se pose. Le judéo-persan présente de nouveau une vocalisation, en /-ī/ avec un ḥirik malē, uniquement dans TE1 : rnjhi y, « tu souffres » (TE1 15, 24) ; nhi y, « tu places » (TE1 15, 26 vocalisation en /o/ et souligne qu’elles apparaissent toutes aussi dans des traductions de l’hébreu, à l’exception d’une seule193 . Par ailleurs, une unique occurrence présente une vocalisation en /-am/ : nyšystam, « je suis assis » (TE1 8, 29), mais au regard du contexte, il semble que ce soit une erreur du scribe pour l’infinitif nyšysta n, « s’asseoir » 194. Le fait que la forme soit vocalisée pourrait aussi montrer que le scribe était dérouté par ce phonème vocalique dans la forme verbale qu’on lui dictait, même s’il ne vocalise pas uniquement des formes qui lui paraissent anormales. De même pour prmwdam (TE2 183, 22), la forme verbale est en réalité prmwd, « il ordonna », à laquelle est attaché l’enclitique personnel de première personne du singulier : cette forme est donc à traduire « il m’ordonna » et non « j’ordonnai ». Gindin souligne la présence de /-am/ dans TE2 pour l’enclitique personnel mais n’en a trouvé aucune occurrence pour la désinence195. Cela confirme alors que dans TE, la désinence de première personne du singulier ne serait jamais à lire /-am/. On peut s’étonner de trouver cette désinence en -wm, qu’elle soit à prononcer /-om/ ou /-um/ 196, dans TE1 qui présente pourtant une langue très proche de celle des ouvrages en écriture arabe. Mais il y a un parallèle possible avec les formes enclitiques du verbe « être » en um. Cette lecture en /um/ à la place de l’habituelle /am/ se rencontre donc aussi dans les textes du nord. On peut alors se demander d’où vient ce timbre. En moyen perse, nous avons la terminaison -am (-ēm dans les textes manichéens)197. Comme le propose Gindin198, cette voyelle d’arrière pourrait être due à l’influence de la nasale. Elle s’est d’ailleurs conservée en kâboli199 .
Deuxième personne du singulier
Prononciation de cette désinence
Pour la deuxième personne du singulier, la question de sa prononciation se pose. Le judéo-persan présente de nouveau une vocalisation, en /-ī/ avec un ḥirik malē, uniquement dans TE1 : rnjhi y, « tu souffres » (TE1 15, 24) ; nhi y, « tu places » (TE1 15, 26 et 15, 36) ; čydi y, « tu as coupé » (TE1 17, 37) et nyši y, « tu vois » (TE1 137, 14). Cette vocalisation est à comparer avec celle des textes en écriture arabe où l’usage200 est de transcrire le yā de désinence par un /ē/. En moyen perse, la désinence est en /-ē/201 et, selon Pisowicz202, l’évolution du phonème /ē/ vers /ī/ n’a lieu qu’après le XIIIe siècle, et encore n’est-il réalisé que dans une partie du domaine ; en témoigne l’actuelle distinction ē/ī du dari et du tadjik. Mais ces occurrences en /-ī/ se rencontrent dans TE1 , qui, nous l’avons déjà souligné, émane du nord-ouest et est très proche de la langue des ouvrages en écriture arabe (nord-est). Il faudrait alors peut-être supposer que la désinence de deuxième personne du singulier est déjà devenue /-ī/, au nord-est également. Cela expliquerait aussi le fait que Meier203 trouve des rimes de cette terminaison avec des mots en /-ī/ et non avec ceux en /-ē/. On comprendrait enfin pourquoi en dari et en tadjik, alors que la distinction ē/ī s’est conservée dans d’autres mots, la désinence de deuxième personne est en /-ī/ : le changement phonétique aurait eu lieu avant que les autres /ē/, soit évoluent vers /ī/, soit se conservent, selon les dialectes.