Les dermites de contact allergiques des pieds
Aspects épidémiologiques
Notre avons recensé 39 cas de dermites de contact allergique des pieds soit une fréquence hospitalière de 1%. Au Sénégal, il n’existe pas d’études centrées sur les dermites de contact allergique des pieds ce qui rend difficile la comparaison de cette pathologie. Ce taux est inférieur aux autres études réalisées, notamment à Londres 196 cas de DC des pieds aux chaussures sur une période de 13 ans ,en Inde 155 cas (24,22%) de DC des pieds aux chaussures sur une période d’un an [51] et au Nigéria, 136 cas (25%) ayant consulté en dermatologie avaient une DC des pieds aux chaussures .Ceci est lié essentiellement à la courte durée de notre étude. Ces différentes études montrent une prévalence élevée de la DC aux chaussures. Cette dermite de contact est une réaction d’hypersensibilité́ retardée à médiation cellulaire secondaire à l’application sur la peau d’une substance exogène. Elle évolue en deux phases : – Phase de sensibilisation : Cette phase peut durer de quelques jours à plusieurs années. Le produit sensibilisant exogène est le plus souvent un haptène, c’est-à- 38 dire une substance non immunogène par elle même, qui pénètre dans la peau, où elle s’associe à une molécule porteuse pour former un couple haptène-protéine qui constitue l’allergène complet. L’allergène est pris en charge par les cellules de Langerhans (cellules dendritiques) de l’épiderme. Les cellules de Langerhans traversent la membrane basale, et migrent à travers le derme vers la zone paracorticale des ganglions lymphatiques. Pendant cette migration, elles subissent une maturation qui les rend capable d’activer des lymphocytes T « naï s ».Ces lymphocytes T prolifèrent et se différencient alors en lymphocytes « mémoires » circulants. Cette première phase est cliniquement asymptomatique. – Phase de déclenchement : Elle survient chez un sujet déjà sensibilisé, 24 à 48 heures après un nouveau contact avec l’antigène. Des lymphocytes T mémoire portent à leur surface des molécules qui favorisent leur extravasation dans la peau. Ces lymphocytes reconnaissent l’allergène présenté à ce niveau par les cellules de Langerhans. Ils prolifèrent et sécrètent des cytokines qui recrutent des cellules inflammatoires. Les kératinocytes et les cellules endothéliales sont également activées. Les cytokines pro inflammatoires sont produites au tout début de la réaction, interleukine (IL)-1, TNF (facteur de nécrose tumorale)-alpha, suivies de la production de cytokines qui régulent négativement les phénomènes inflammatoires (IL-10). L’eczéma de contact est une réaction de type Th1, associée à la production d’IL-2 et d’interféron gamma [34]. La DCA des pieds peut survenir dans les deux sexes. Les femmes étaient les plus touchées dans notre série avec 23 cas (59%). Ces résultats sont similaires à ceux rapporter dans la littérature, notamment en Indonésie (68,8%) [16,43], en Inde (61,93%) [7] et au Brésil (65%) [29]. Cette situation peut être expliquée par le fait que les femmes utilisent une plus grande variété de types de chaussures, les exposant ainsi à un plus grand nombre d’allergènes [30]. Dans notre étude, nous pensons que ces facteurs auraient pu contribuer à la fréquence plus élevée de femmes dans le groupe. La majorité des patients atteints de DCA des pieds dans notre série appartenait au groupe d’âge des 20 à 60 ans, avec une moyenne d’âge de 40,62 et une médiane de 39 45 ans .Nos résultats sont similaires aux études antérieures notamment en Indonésie où la tranche d’âge des 21-50 ans représentait 57,8% [43] et en Australie qui retrouvait la tranche d’âge des 20 à 60 ans comme étant la plus touchée par la DCA des pieds [18]. Cette prévalence élevée chez adulte jeune pourrait être liée au fait qu’à cet âge, les individus sont actifs, influencés par la mode ce qui justifie l’achat de plusieurs modèles de chaussures et sont donc plus vulnérables de développer une DCA des pieds. Cependant les DCA peuvent s’observer à tout âge. Les patients allant de 3 à 76 ans, ont été affectés par la DCA des pieds. Ceci rejoint les résultats d’une étude Australienne dont les extrêmes d’âge étaient de 3 à 78 ans [18]. Les patients étaient en activité professionnelle dans 26 cas soit 66,6 % dont des commerçants dans 7 cas soit 18% et des femmes de ménages dans 6 cas soit 15%. Dans 17 cas soit 43,6%, les patients marchaient entre 10-30 min/ jour et marchaient pieds nus dans 26 cas soit 62%. Le niveau socio-économique était bas dans 17 cas soit 43,6 % et moyen dans 22 cas soit 56,4 % ce qui justifie la non réalisation chez tous nos patients des patchs tests de la batterie standard européenne (BSE). Des antécédents d’atopie personnels ont été noté chez 20 de nos patients soit 51 % et des ATCDS familiaux d’atopie ont été noté chez 12 patients soit 31%. Nous avons retrouvé avec un lien statistiquement très significatif (P<0,001) et un OR =5, ce qui explique que les atopiques sont plus susceptibles de développer une dermatite de contact allergique des pieds. Ceci a été observé chez 30% des patients de la série par Rehber au Pakistan[39,43]. Des équivalents d’atopie ont été noté chez 18 patients soit 46 %, ces signes pouvaient coexister chez le même patient. Ils sont repartis comme suit : – Rhinite allergique dans 18 cas soit 46 %. – Conjonctivite allergique dans 12 cas soit 31 %. – LCCET dans 7 cas soit 18 %. – Asthme dans 3 cas soit 7,7 %. 40 Une étude milanaise a essayé de comprendre la relation entre la dermatite atopique et l’eczéma de contact [34]. Bien que la physiopathologie de la DA et de la DCA soit distincte, ils partagent des points d’intersection qui se chevauchent dans les voies structurelles et immunologiques. Par exemple, la barrière épidermique défectueuse des patients atopiques facilite l’entrée des irritants et des allergènes potentiels. De ce fait, une pénétration accrue de l’allergène peut conduire à la présentation de l’antigène et à la sensibilisation, favorisant ainsi le développement de la DCA lors d’expositions ultérieures. En outre, la colonisation bactérienne importante des patients atteints de DA active les cellules inflammatoires qui participent également au renforcement de la sensibilisation de contact et de la DCA [34,62]. L’aggravation durant les saisons d’été et de mousson a été observée dans 6 cas soit 15,4% comme reporté dans deux études, une Indienne et une Pakistanaise, où le climat dans ces deux pays est similaire au nôtre [4, 16, 43,54]. Ceci pourrait s’expliquer par le climat chaud et humide du Sénégal. En effet, la saison chaude favorise macération, transpiration, friction et une meilleure dissolution des allergènes qui est propice au déclenchement de la dermatite de contact [49,61]. Un de nos patients a rapporté une aggravation de sa DCA des pieds en saison sèche, nous pensons que ceci serait en rapport avec l’état de la peau qui devient déshydratée et craquelée en cette période d’autant plus que notre patient était atopique. Notre étude a révélé que les sandales en caoutchoucs représentaient 34 % (n=13) des types de chaussures portées ce qui est en accord avec les résultats d’une étude Indonésienne où les sandales en caoutchoucs représentaient 50,7% des chaussures portées [16]. Au Sénégal, les chaussures en caoutchouc sont peu coûteuses et constituent la majorité des chaussures des personnes à faible revenu, et sont aussi très souvent utilisées pour les ablutions. 41 Les facteurs climatiques favorisent ainsi la transpiration et la dissolution des produits chimiques contenus dans les chaussures ce qui contribue à la DCA des pieds
Les aspects cliniques
La DCA des pieds, est un problème chronique. Elle peut être assez grave engageant le pronostic vital (DHB, sepsis) et fonctionnel (chronicité, récidive, altération de la qualité de vie, insomnie) et justifier une consultation précoce ou se limiter à quelques lésions cutanées sans retentissement jugulée par une automédication et ainsi retarder la prise en charge par un médecin [5,51]. Dans notre étude, la maladie évoluait de 1 mois jusqu’à 20 ans et chez environ 16 cas soit 41 %, elle évoluait entre 2 mois et 1 ans. Les habitudes socioculturelles dans notre contexte représentées par un recours en première intention à de la médecine traditionnelle serait en partie responsable du retard de la consultation Nos patients ont utilisé des plantes traditionnelles dans 6 cas soit 15,4%, ceci pourrait être une source d’aggravation de la maladie avec un risque d’infection, de sensibilisation immunoallergique et de toxidermie. Ceci a été observé également dans une étude au Nigéria [39] où les habitudes socioculturelles sont similaires aux nôtres. Le prurit était le maître symptôme chez tous nos patients. Ces résultats ont été rapportés au Pakistan [43]. Les autres symptômes incluent une douleur dans 3 cas soit 7,7 %, ainsi qu’une hyperhidrose dans 8 cas soit 20,5 %. Nous avons noté un polymorphisme lésionnel avec une prédominance de lésions érythémato-squameuses dans 30 cas soit 77%, d’une lichénification dans 21 cas soit 54%. Des vésicules ont été notées dans 18 cas soit 46%, un érythème dans 16 cas soit 41%, une dyshidrose dans 8 cas soit 20,5 % et une fissure dans 6 cas soit 15,4 %. Le type des lésions dépend du stade de la maladie. Au stade du début, les patients présentent un érythème diffus, des vésicules, un œdème ou une dermatite 42 papuleuse squameuse. Une fissure, ainsi qu’une lichénification qui témoigne d’une longue durée d’évolution avant le traitement, se développent à mesure que la maladie devient chronique [51]. Les lésions sont généralement secondairement infectées, dans notre étude, une surinfection a été notée dans 11 cas soit 28 %. D’autres complications telles qu’une DHB, une lymphangite, une adénite lymphatique, une thrombophlébite et une néphrite peuvent se développer [51,55], ce qui n’était pas le cas chez nos patients. L’atteinte du dos du pied était la plus fréquente chez 92 % (n=36) des patients, en effet ces données sont conformes à la littérature avec une atteinte du dos du pied dans 47,6 % dans une étude Indonésienne [16]. Ceci s’explique par le fait que cette zone est le plus en contact avec les chaussures et où la couche cornée est plus fine. Les zones avec moins de contact, telles que les espaces inter-orteils, ou celles avec une couche cornée plus épaisse comme les talons sont généralement épargnées [25,30]. Le plus souvent, les lésions débutent à la face dorsale des gros orteils et s’étendent progressivement vers les autres orteils pour ensuite atteindre l’ensemble du dos des pieds. L’atteinte est classiquement bilatérale et symétrique [61]. En effet, l’atteinte était bilatérale dans 37 cas soit 95 % et symétrique dans 25 cas soit 64 % dans notre série. La majorité des cas (23 cas) soit 59% avaient une atteinte des pieds sans affecter aucune autre surface corporelle. Ceci a également été rapporté dans une étude Indienne [7]. Les éruptions à distance sont relativement fréquentes, tout particulièrement en phase aiguë. Les mains en sont les lieux privilégiés [39]. Ainsi, dans notre étude, on retrouvait une autre localisation dans 16 cas soit 41 % réparties comme suit : – mains dans 8 cas soit 20,5 %. – jambes dans 4 cas soit 10,3 %. – cou dans 3 cas soit 7,7 %. – chevilles dans 1 dans soit 2,6 %.
Les aspects étiologiques
Les patch-tests avec la BSE permettent de détecter jusqu’à 80% des allergènes des DC aux chaussures [27]. L’ajout de la batterie spéciale chaussures augmente le rendement [16]. Cette dernière n’est pas disponible au Sénégal. L’habitude de chaussage au Sénégal est généralement de nature avec des sandales et des souliers portés parfois sans chaussettes favorisant ainsi le contact direct de la peau avec les composants des chaussures augmentant ainsi le risque de développer une DCA des pieds. La plupart des chaussures sont confectionnées de façon empirique, traditionnelle et dans la plupart dans l’informel ce qui explique un peu les difficultés observées dans la qualité de la production, l’indication des composants des chaussures car la connaissance de ces derniers pourrait être utile pour l’éviction allergique. Les patch-tests avec la batterie standard européenne ont été demandés dans 39 cas de DCA du pied. Ils ont pu être réalisés dans 17 cas soit 43,5% à cause de leur coût onéreux. Ils étaient positifs dans 13 cas soit 76,4 % et négatifs dans 4 cas soit 23,5 %. Sept patients étaient positifs à plus d’un allergène soit 53,8%. Les patchs tests avec la BSE ont permis de confirmer l’allergie retrouvée par les patchs tests aux produits personnels (chaussures). Ils ont ainsi confirmé l’allergie au caoutchouc en étant positifs au thiuram mix dans 3 cas et à IPPD dans 1 cas. Un certain nombre d’additifs pour le caoutchouc, y compris les thiurames, les benzothiazoles, les carbamates, les dérivés de paraphénylènediamine, les thiourées et les composants de résines, ont été identifiés comme allergènes dans les séries d’essais sur chaussures [13, 28, 33, 40, 50,63]. Dans une étude réalisée en 2001- 2004 sur le groupe nord-américain sur la dermatite de contact, les produits chimiques contenant du caoutchouc constituaient les allergènes les plus courants des chaussures, qui comprenaient un mélange de carba, un mélange de thiurame, un mercaptobenzothiazole, un mélange de mercapto, un mélange de dialkylurées et un mélange de caoutchouc noir [33,64]. Les thiourées, accélérateurs chimiques utilisés dans la production de néoprène et de caoutchouc mousse, sont une cause 44 fréquente de dermatite de contact [19,33,46,50]. Un mélange de caoutchouc noir dénommé IPPD ou (isopropyl-phénylphénylènediamine) est retrouvé dans les patchs tests avec la BSE et teste la paraphénylènediamine qui est un antioxydant lié utilisé dans la fabrication du caoutchouc noir ou gris [36,63]. L’allergie au cuir a été confirmée par la positivité des patchs tests avec la BSE au bichromate de potassium dans 2 cas. Le bichromate de potassium est un chrome hexavalent. Il est considéré comme un agent tannant servant à transformer la peau animale essentiellement putrescible en un produit imputrescible, souple et résistant. La transpiration joue un rôle important dans le largage de ces sels. Dans le cas d’une sensibilisation, il sera donc indispensable d’éviter les situations favorisant l’hypersudation [61]. Le « cuir tanné végétalement » peut également être source de sensibilisation (surtout cuirs à semelles). Cependant, l’allergène responsable n’a pas encore été identifié. Ces cuirs sont en général moins souples, moins résistants et moins élastiques [61]. Chez un patient ayant une DCA des pieds au cuir, les patchs tests avec la BSE étaient positifs à la lanoline. Cette dernière étant utilisé pour lustrer le cuir, lui apporter souplesse, brillance et protection. Les patchs tests réalisés avec la BSE, ont montré une allergie aux métaux dans 6 cas soit 46,2 %(Nickel dans 5 cas soit 38,4 % et le cobalt dans 1 cas soit 7,7%). La DCA des pieds aux métaux pourrait s’expliquer par la présence de plusieurs ornements au niveau des sandales portées par les patientes. Une étude réalisée en Inde [48,54] a montré une sensibilité au nickel de 16,5% chez les patients ayant une DCA des pieds. Fisher et al.14 [23] ont également trouvé que la dermatite de chaussure chez les patients a été causée par le sulfate de nickel métallique présent dans les boucles de chaussures, Œillets ou autres accessoires de chaussures. Dans une étude israélienne [23], 24 sur 58 patients ayant une DCA des pieds aux chaussures avaient un patch test positif au Nickel (12%). Le contact prolongé avec le métal associé à la transpiration et à la friction sont des facteurs contributifs [50]. 45 Nous avons retrouvé des patchs tests avec la BSE positifs à la néomycine, paraben, baume du Pérou, quaternum 15, lyral, agents utilisés comme substances actives, conservateurs et parfums dans les médicaments et les cosmétiques [10,32] ceci peut être lié au traitement symptomatique des dermatoses des pieds que les malades ont reçu . Et cette situation peut rendre possible une sensibilisation préalable (ATB, antifongique, produits cosmétiques…). Les patchs tests avec les produits personnels (chaussures suspectées) ont été réalisés chez 38 patients ayant une DCA des pieds, un patient ayant refusé. Les patchs tests avec les produits personnels (chaussures) étaient positifs dans 26 cas soit 68,4 %. Ils étaient négatifs dans 12 cas soit 31,6%. Les réactions négatives des patchs tests avec les produits personnels n’éliminent pas formellement une allergie de contact aux chaussures /chaussettes parce qu’il peut exister un biais des types de chaussures apportés par le malade. Nous avons également réalisé un patch test aux chaussettes chez deux patients qui s’est avéré négatif. Notre étude a révélé que le caoutchouc, était la matière de la chaussure responsable du plus grand nombre de cas de DCA des pieds avec 16 cas soit 42% dans notre série. L’incidence de la sensibilité au caoutchouc a tendance à augmenter [11,56]. Le caoutchouc était la matière la plus responsable de DCA des pieds en Indonésie dans 43,7% [16]. Freeman et ses collaborateurs [18] ont constaté que le caoutchouc étaient l’allergène le plus répandu, 43% des patients ayant réagi positivement au mélange de mercapto, de mercaptobenzothiazole ou de thiurame. Le caoutchouc était le composant de chaussure responsable de 55,2% d’une DCA dans une étude Brésilienne [30]. L’allergie au caoutchouc des chaussures peut provenir de l’élastique présent dans la tige des chaussures, des adhésifs pour caoutchouc, des doublures de chaussures ou des semelles intérieures en caoutchouc [18] et les composés de caoutchouc continuent à être considérés comme une cause commune de la dermatite de la chaussure [56].
I-Introduction |