Les dépressions des latitudes tempérées

CYCLE DE VIE 7

Caractéristiques des dépressions en phase mature

Les dépressions des latitudes tempérées sont en phase mature lorsque leur creusement prend fin. Cet instant correspond typiquement aux phases IV des modèles conceptuels. Le développement des outils numériques a permis de suivre avec précision la trajectoire du centre des dépressions et de décrire leur structure d’un point de vue lagrangien (Carlson, 1980; Browning, 1994). Cette approche lagrangienne a mis en évidence trois courants d’aircohérents dominant la dynamique associée à la dépression : la bande transporteuse d’air chaud, la bande transporteuse d’air froid et l’intrusion sèche.
La bande transporteuse d’air chaud (WCB pour Warm Conveyor Belt en anglais) est située à l’est du centre dépressionnaire devant le front froid (en bleu clair sur Fig. 1.3).
Elle transporte l’air chaud et humide des basses latitudes jusqu’aux plus hautes latitudes.
Lors de ce transport, l’air subtropical s’élève en altitude depuis les basses couches de la troposphère (∼900 hPa) jusqu’au niveau de la tropopause (∼300 hPa ; e.g., Madonna et al., 2014). En se condensant, l’air soulevé forme une bande nuageuse large (Browning, 1971; Harrold, 1973) sous laquelle peuvent apparaître des vents forts et cohérents, appelés « courants-jets de basse couche » (Browning et Pardoe, 1973), ainsi que d’intenses précipitations (e.g., Browning, 1999; Pfahl et al., 2014). Deux branches se constituent dans le flux de sortie de la WCB suivant la dynamique en haute troposphère (en blanc sur Fig. 1.3). La première branche, située dans les plus hautes couches (Martínez-Alvarado et al., 2014b), est contrainte de suivre le flux anticyclonique du courant-jet d’altitude. Elle peut s’étirer sur près de 3000 km et est facilement reconnaissable sur les images satellites dans les canaux associés au visible et à l’infrarouge (WCB1 sur Fig. 1.4). La deuxième branche de la WCB s’enroule cycloniquement autour du centre dépressionnaire (WCB2 sur Fig. 1.4).
La bande transporteuse d’air froid (CCB pour Cold Conveyor Belt en anglais) est un courant d’est situé le long du flanc nord du front chaud (en vert sur Fig. 1.3). Relativement stable en altitude par rapport à la WCB, la CCB transporte de l’air froid en bassetroposphère (∼850 hPa). Dans le cas d’une dépression très creusée, cet air froid s’enroule autour du centre dépressionnaire en longeant le front occlus (Carlson, 1980). La CCB s’aligne alors avec les vents cycloniques et les renforce, notamment dans le cadran sud du centre dépressionnaire.
L’intrusion sèche (DI pour Dry Intrusion en anglais) est un courant d’air sec originaire de la haute troposphère située à l’avant de la tête nuageuse, au sud-ouest du centre de la dépression (en rouge sur Fig. 1.3). La DI plonge jusque dans les moyennes couches de la troposphère (∼700 hPa) en suivant le flux cyclonique de grande échelle (Browning, 1997; Raveh-Rubin, 2017). Elle crée ainsi une région libre de nuage au-dessus du secteur froid, aussi appelée « ciel de traîne », très distincte sur les images satellites (zone noircie située entre la tête nuageuse et la WCB sur Fig. 1.4). Des nuages bas de type cumulus ainsi que des rafales de vent peuvent se former en-dessous de l’intrusion sèche par instabilité convective (Raveh-Rubin, 2017).
Dans certaines tempêtes intenses de type Shapiro-Keyser, un courant jet d’occlusion (SJ pour Sting Jet en anglais ; en bleu foncé sur Fig. 1.3) peut se former depuis la moyenne troposphère et rejoindre les vents forts qui accompagnent le front occlus. Il s’y crée alors des rafales pouvant dépasser les 40 m s−1 (e.g., Browning, 2004; Smart et Browning, 2014).

La bande transporteuse d’air chaud

Généralités

Comme décrit précédemment, les bandes transporteuses d’air chaud sont des régions nuageuses étendues à l’est du centre dépressionnaire des dépressions des latitudes tempérées. Elles constituent en des courants d’air cohérents de 1 à 2 km d’épaisseur s’élevant depuis les basses couches situées à l’avant du front froid de surface associé aux dépressions (Harrold, 1973). Ces courants d’air subissent typiquement une élévation d’environ 600 hPa en 48 h (Wernli et Davies, 1997) sans toutefois dépasser le seuil des 50 hPa h−1 (Browning, 1986). L’étude sur plus de trois décennies des WCB a montré que leur formation est plus fréquente en hiver qu’en été, notamment à l’ouest des bassins océaniques entre 25◦ et 50◦ de latitude (Madonna et al., 2014). Ces régions correspondent aux principales sources d’humidité en basse couche, nécessaires à la formation des WCB (Pfahl et al., 2014).
Les bandes transporteuses d’air chaud font l’objet d’une attention particulière car elles concentrent en leur sein de nombreux processus diabatiques à l’origine de précipitations et de vents localement intenses, comme détaillé par la suite.

Processus diabatiques

Les processus diabatiques réunissent l’ensemble des processus physiques au cours desquels un échange de chaleur s’effectue entre le volume de fluide dans lequel ils se déroulent (ici l’air) et l’environnement extérieur. Dans le cas des cyclones extra-tropicaux, les processus diabatiques principalement étudiés sont les divers changements de phase de l’eau, les effets radiatifs des nuages et les flux entre l’océan et l’atmosphère.
Dans les WCB, les processus diabatiques dominants sont le dégagement de chaleur issu de la condensation et de la déposition de vapeur d’eau se produisant lors des ascendances lentes de grande échelle (e.g., Joos et Wernli, 2012; Chagnon et al., 2013; MartínezAlvarado et al., 2014b). C’est ce que montrent Joos et Wernli (2012) par exemple, grâce à des bilans lagrangiens effectués le long d’un ensemble de trajectoires identifiées comme appartenant à la WCB de leur cas d’étude. Les processus de condensation et d’évaporation prédominent dans les basses couches jusqu’à environ 650 hPa, produisant un pic de chauffage de 2 K h−1 vers 800 hPa (courbe violette dans Fig. 1.5a). Un second pic de chauffagerésultant de la production de neige par déposition a lieu dans les plus hautes couches, vers 550 hPa (courbe rouge dans Fig. 1.5a). Le premier et le second pics de chauffage coïncident respectivement avec les contenus maximaux en eau liquide et en glace identifiés dans l’approche climatologique de Madonna et al. (2014). Cette étude montre que les trajectoires des WCB subissent généralement un chauffage dépassant les 20 K durant leur ascendance.

Ascendances convectives

Les WCB ont longtemps été considérées comme de lents courants d’air cohérents d’échelle synoptique s’élevant obliquement au-dessus du secteur chaud associé aux dépressions des latitudes tempérées. Cette vision classique est cependant remise en question au début des années 1990 par Neiman et al. (1993). Ces auteurs soupçonnent la présence d’ascendances convectives au sein des WCB à partir d’observations in-situ. Des études récentes, exploitant des simulations pour lesquelles la convection est représentée explicitement, ont suggéré l’existence d’ascendances de méso-échelle s’élevant à plus de 50 hPa h−1 au sein des WCB et le long des fronts froids de surface associés (e.g., Martínez-Alvarado et al., 2014b; Rasp et al., 2016; Oertel et al., 2019).
Oertel et al. (2019) ont montré que ces ascendances rapides peuvent être le produit d’une intense activité convective dans les WCB. Le dégagement de chaleur qui en résulte, plus important au cœur des ascendances convectives qu’au sein des ascendances lentes de grande échelle, crée des anomalies de PV sous la forme de dipôles horizontaux de méso-échelle centrés autour de l’ascendance convective (Oertel et al., 2020). En effet, la modification du PV à l’échelle synoptique est dominée par le gradient vertical du chauffage diabatique au cours des ascendances obliques de la WCB (e.g., Wernli et Davies, 1997). Ce n’est plus le cas lors d’ascendances isolées de méso-échelle où la contribution du gradient horizontal du chauffage diabatique sur le profil du PV dans l’atmosphère n’est plus négligeable, comme pour des situations orageuses en Allemagne (Weijenborg et al., 2015,2017).

Impacts sur la dynamique

Il est désormais connu que le dégagement de chaleur dû à la condensation et à la déposition de vapeur d’eau lors des lentes ascendances obliques de grande échelle modifie la structure du PV dans toute la troposphère au sein de la WCB (cf. sous-section 1.2.2).
L’étude climatologique menée par Madonna et al. (2014) sur le profil moyen de PV au sein des WCB dans l’Atlantique nord en période hivernale confirme que les anomalies négatives de PV créées au dessus de la région de chauffage maximal renforcent la circulation anticyclonique en haute couche. Les anomalies positives de PV créées sous la région de chauffage maximal renforcent quant à elles la circulation cyclonique en basse couche. Schemm et Wernli (2014), entre autres, sont allés plus loin dans l’interprétation des interactions entre les dipôles verticaux de PV créés diabatiquement au sein des WCB et la dynamique des dépressions des latitudes tempérées. Leur étude d’une simulation idéalisée d’une dépression montre que des anomalies positives de PV (signe + rouge sous la région de chauffage maximal en rouge dans Fig. 1.7) sont capturées par la CCB (flèche bleue dans Fig. 1.7) lors du croisement avec la WCB (flèche verte dans Fig. 1.7) puis advectées jusqu’au centre de la dépression, participant ainsi au creusement de cette dernière. Les anomalies négatives de PV (signe − bleu au-dessus de la région de chauffage maximal en rouge dans Fig. 1.7) renforcent la circulation anticyclonique en altitude, en sortie de WCB. Cela a pour effet d’accentuer les vents du courant-jet d’altitude (flèches jaunes dans Fig. 1.7) et de gonfler ainsi la dorsale en aval. Ce mécanisme a été trouvé pour d’autres dépressions (e.g., Pomroy et Thorpe, 2000; Grams et al., 2011; Chagnon et al., 2013).

Objectifs de la thèse

Les études antérieures ont démontré l’importance des WCB sur la dynamique d’altitude aux latitudes tempérées et le rôle clé du dégagement de chaleur comme processus diabatique principal dans ces ascendances lentes de grande échelle. Pour la plupart, ces études se sont appuyées sur une analyse lagrangrienne des champs de vent issus de modèles de grande échelle pour lesquels la convection est paramétrée. Très récemment, des études sur quelques cas de WCB ont remis en question ces résultats. Elles ont révélé la présence d’ascendances convectives grâce à des simulations résolvant la convection et, pour une des études, grâce à des observations. Ces études ont également discuté de leur impact sur la dynamique d’altitude. La fréquence des ascendances convectives dans les WCB et leur impact restent cependant des questions ouvertes.
Le but principal de cette thèse est de répondre à ces deux questions en exploitant des observations à fine échelle d’un nouveau cas de WCB, celle de la tempête Stalactite observée pendant NAWDEX. L’analyse des observations s’appuie sur des simulations résolvant la convection combinées à des outils de trajectoires lagrangiennes et d’identification d’objets.
Le premier objectif est de caractériser les ascendances convectives dans la WCB associée à la tempête Stalactite. Il s’agit d’abord de vérifier si des ascendances rapides sont présentes en son sein. Il s’agit ensuite de caractériser la nature et l’organisation de ces ascendances. Il s’agit enfin de discuter de la concomitance de la convection organisée et de bandes de PV positif et négatif. Ces questions sont traitées dans le chapitre 3.
Le second objectif est d’examiner l’impact de la convection sur la dynamique d’altitude. Si le cas d’étude reste le même, c’est la circulation de sortie de la WCB de la tempête Stalactite qui est examinée. Il s’agit d’abord d’analyser les observations de fine échelle de la structure dynamique de la circulation de sortie de la WCB en altitude. Il s’agit ensuite d’identifier l’origine des masses d’air traversant cette circulation de sortie. Il s’agit enfin d’expliquer son intensification par la chaleur dégagée par la convection. Ces questions sont abordées dans le chapitre 4.

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