Les définitions de la violence conjugale
Le terme violence peut revêtir plusieurs sens différents et s’appliquer à tant de situations que sa définition constitue un défi pour ceux qui étudient 1 ‘une ou l’autre de ses formes. La difficulté que représente la défmition du comportement violent est reliée notamment à l’existence de points de vue culturels variés selon lesquels certains actes sont ou ne sont pas acceptables (Gelles, 1997). Gelles (1997) souligne à la fois cette difficulté et l’importance pour tout chercheur qui s’engage dans une étude sur la question, de bien préciser le sens qu’il donne à la violence: «One of the earliest and most enduring problem in the field of child abuse, wife abuse and family and intimate violence has been to develop useful, clear, and acceptable definitions of «violence» and «abuse .» .
Comme tous les autres concepts, celui de violence conjugale évolue en fonction des valeurs sociales, des normes et des rôles sociaux (Turgeon, 1995). Les écrits des trente dernières années sur la question témoignent de cette évolution et révèlent la difficulté que représente sa définition. Non seulement y retrouve-t-on une variété de conceptions, mais également des désaccords quant aux comportements que le terme devrait englober (Gauthier, 1998). On reproche à certains spécialistes d’inclure dans leur définition de la violence conjugale des comportements que d’autres estiment peu ou pas violents (Turgeon, 1995). Cette controverse sur la définition a vraisemblablement remplacé celle portant sur les statistiques qui avait marqué les premières études (Turgeon, 1995; Cantin,1995).
Si la plupart des personnes impliquées dans 1′ étude du phénomène reconnaissent et intègrent maintenant à leur définition les différentes formes sous lesquelles la violence conjugale peut se manifester (Larouche, 1993 dans Laughrea et al., 1996), il existe, selon Cantin (1995), une conception populaire du terme, dans laquelle celui ci paraît associé uniquement à l’idée de brutalité et de force physique. Dans cette perspective, l’appellation ne devrait pas être utilisée pour désigner des voies de fait mineures ainsi que les manifestations de violence psychologique, verbale et économique.
Les adhérents à une conception restrictive du terme estiment qu’en incluant dans sa défmition toutes les formes de violence, on met tout sur le même pied et que ce faisant on banalise la véritable violence. Rapportant les critiques d’opposants à une conception élargie de la violence conjugale Rondeau (1995) souligne, pour sa part, le problème du caractère normatif posé par une extension de sa définition à la violence psychologique.
Ceux qui insistent pour inclure les différentes formes de violence dans la définition de la violence conjugale veulent, quant à eux, bien montrer qu’il s’agit de manifestations d’un même phénomène, en ce sens qu’elles reposent sur le désir d’imposer sa volonté à une autre personne. Ils les situent en outre sur un même continuum d’événements allant des insultes jusqu’aux coups, voire au meurtre (Cantin, 1995). À cet égard, ils soulignent que la violence physique ne se produit généralement pas de manière isolée, mais qu’elle est le plus souvent précédée par la violence psychologique et verbale.
Nous voyons donc qu’il n’existe pas une définition umque de la violence conjugale. De manière générale les défmitions font état de ses manifestations, de son origine et de sa fonction sociale (Rinfret-Raynor et al., 1996). Celles que nous présentons dans ce chapitre illustrent la diversité des points de vue adoptés par les auteurs et du même coup l’évolution du sens qui a été donné à la notion de violence conjugale au cours des dernières décennies. Sous ce thème, nous examinons d’abord le point de vue légal. Nous abordons ensuite la dimension du genre de l’agresseur. Nous voyons également que la violence conjugale peut être compnse comme une manifestation de violence faite aux femmes, qu’on l’assimile parfois à une forme de violence familiale, qu’elle est conçue par certains comme un instrument de contrôle ou à l’inverse comme une perte de contrôle et qu’elle peut se présenter sous différentes formes. Enfm, comme il s’agit d’une caractéristique retenue par plusieurs auteurs, nous élaborons sur son caractère répétitif, lequel a notamment donné lieu aux notions d’escalade et de cycle de la violence.
La définition légale
Les ministères de la Justice et du Solliciteur généra11ançaient conjointement en 1986 la première politique québécoise en matière de violence conjugale. Dans ce document, ils proclamaient qu’elle constitue un crime et de ce fait que les comportements violents envers un conjoint ne devaient plus être tolérés. Cette déclaration de principe a été reprise par la suite par tous les ministères concernés par la lutte à la violence conjugale.
La politique de 1986 incite à la judiciarisation systématique des cas d’agressions entre conjoints, au même titre que celles qui se produisent entre personnes non liées. Elle vise à la fois à humaniser le processus d’intervention judiciaire, notamment en fournissant aux victimes une attention et un support plus soutenus et à réduire la tolérance sociale à l’égard de la violence conjugale. Elle suggère également d’offrir un traitement aux agresseurs (Ministères de la justice et du Solliciteur général du Québec, 1986).
À partir de 1986 donc, plusieurs campagnes d’information publique soulignent le caractère criminel de la violence conjugale. Or, contrairement à ce que cette affirmation peut laisser croire, au plan juridique la violence conjugale n’existe pas en tant que telle, en ce sens que le Code criminel n’en fait pas un crime particulier (Gouvernement du Québec, 1995). Légalement, elle se limite aux cas de violence physique et de menaces constituant des infractions définies par le Code criminel canadien. Les conjoints violents peuvent donc être poursuivis en vertu de ses dispositions sur les voies de fait, menaces, harcèlement, agression sexuelle, agression armée, enlèvement, séquestration, tentative de meurtre, meurtre et homicide involontaire.
Cependant, bien que des poursuites judiciaires ne sont possibles que lorsqu’il y a violence physique ou menaces, les autorités politiques québécoises ont clairement signifié que toute forme d’agression devait être condamnée socialement: «Toutes les formes d’agression, (verbale, psychologique, physique, sexuelle, socio-économique) doivent être condamnées socialement. Le fait que la violence entraîne ou pas des poursuites judiciaires ne doit pas en changer fondamentalement le caractère répréhensible, ni le traitement . » .
Le genre de l’agresseur
Plusieurs recherches ont mis en évidence un taux de violence masculine significativement plus élevé que celui de la violence féminine. Ces résultats font dire à une majorité de praticiens et chercheurs que la violence conjugale s’exerce habituellement par des hommes contre des femmes (Welzer-Lang, 1991).
Dans les milieux autochtones également, on estime que les femmes sont les principales victimes de la violence qui survient entre conjoints: «Like mainstream society, aboriginal women in intimate relationships are likely to be ones who most often experience the abuse . » .
De manière générale, la violence conjugale est comprise dans notre société comme celle qui est exercée par les hommes à l’endroit des femmes. C’est cette perspective de l’homme agresseur et de la femme victime que l’on retrouve le plus souvent dans la littérature des années récentes (Rondeau, 1995). Ce choix est fait en tenant compte non seulement de la fréquence plus grande de la violence des hommes mais également de ses conséquences qui sont généralement plus sérieuses.
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