Les débuts de l’hypnose

Les débuts de l’hypnose

C’est à un des adeptes de Mesmer, le marquis de Puységur, que revient la mise en évidence du somnambulisme provoqué, qui sera plus tard l’hypnose. Quand il lui annonça sa découverte, en 1784, Mesmer minimisa son importance. Il connaissait le phénomène, mais répugnait à l’étudier. Ce produit de l’imagination lui semblait très difficile, voire impossible à comprendre et de toute façon moins intéressant que la physiologie.
Puységur ira plus loin. C’est aussi lui qui redécouvrira l’apparition de facultés paranormales chez le sujet endormi.
Par la suite, il devait observer que ce sujet témoignait dans son sommeil d’une prescience extraordinaire concernant la marche de sa maladie et de celle des autres. C’est lui qui, le premier, utilisa le terme de « clairvoyance » après avoir constaté que les malades mis en état de somnambulisme, et touchant d’autres malades, peuvent dé-finir très exactement l’organe atteint. « C’est, dit le malade, une sensation véritable que j’éprouve dans un endroit correspondant à la partie qui souffre chez celui que je touche. »
La Bible évoque déjà, dans le second livre des Chroniques au chapitre XXXIII, l’idée d’un « dresseur d’oracle » : « Manassé prédisait le temps et usait de prédictions et de sortilèges ; et il dressa un oracle d’esprit de Python… »
Trois siècles avant Jésus-Christ, les druides conjuguaient hypnose et musique dans ce qu’ils appelaient le « sommeil magique ».
Lorsque le marquis de Puységur publie ses travaux, il se heurte à une formidable résistance. Mais les faits sont là, et ses disciples vont « répandre à travers la France cette nouvelle forme de mesmérisme où l’oracle est non plus le magnétiseur, mais le magnétisé en état de somnambulisme».
Grâce au marquis, on prend conscience de l’inutilité des transes convulsives. En 1813, l’abbé Faria ouvre un cours public de magnétisme. Il est le précurseur de la « suggestion », le créateur du fameux « dormez »… Trois ans plus tard, à la suite de déboires publics, il sombre dans l’oubli. Sur le plan thérapeutique, le magnétisme reste un outil incertain, même s’il donne d’excellents résultats entre les mains du baron du Potet, du docteur John Eliotson et de nombreux autres magnétiseurs, comme Bertrand ou La Fontaine. Bertrand remarque déjà que la fixation d’un objet quelconque peut déterminer un état de somnolence, mais c’est James Braid, chirurgien de Manchester, qui découvre vers 1840 l’hypnose.
Il avait assisté à la représentation du magnétiseur La Fontaine, qui produisait des « effets » et soignait des malades. Venu dénoncer l’imposture, le sceptique Braid, qui ne croyait pas au fluide ni à la transe, remarqua pourtant l’impossibilité dans laquelle étaient les sujets d’ouvrir les yeux. Il avait cru voir que le magnétiseur, en faisant des passes, regardait fixement dans les yeux la personne à influencer. Braid émit donc l’hypothèse que, si le sommeil était réel, l’œil en était peut-être la cause, mais non comme source de magnétisme : comme objet brillant.
Rentré chez lui, il vérifia son hypothèse. Il pria sa bonne de regarder fixement la lame de sa lancette. Elle tomba bientôt en sommeil. Ravi et enthousiaste, il réveilla sa femme et fit la même expérience : même résultat.
Braid pensait que la fatigue nerveuse qu’entraînait une concentration soutenue provoquait le sommeil, d’où le nom qu’il donna au phénomène : hypnose ou hypnotisme, du grec « hypnos », le démon du sommeil. Il publia ses recherches (Neuro-hypnology, 1843), mais elles tombèrent elles aussi dans l’oubli.

L’école de Nancy

En 1859, un médecin des environs de Nancy, le docteur Liébeault, décide, à la suite d’une communication sur une opération réalisée sous hypnose par Broca, de reprendre les travaux de Braid. Il obtient rapidement des résultats. Sa méthode évolue peu à peu vers la suggestion verbale. Tout en gardant la concentration oculaire préconisée par Braid, il suggère les symptômes du sommeil : paupières lourdes, membres engourdis, fléchissement des sens. Un jour, il guérit ainsi la malade d’un de ses collègues, une sommité médicale, le docteur Bernheim. Ce dernier va le voir et doit se rendre à l’évidence : l’hypnose existe. Il va faire connaître Liébeault au monde médical.
Si Liébeault, tout en utilisant la suggestion, croit aussi un peu au magnétisme, Bernheim, lui, réfute les théories fluidiques. Sous son influence, Liébeault développera ses méthodes de suggestion, et leur application aux maux de ses malades. Il leur suggère « l’image psychique de la guérison ». Bernheim pense que les résultats ne sont dus qu’à la suggestion, et qu’il n’est, d’ailleurs, point besoin d’endormir le sujet très profondément. Un état de veille ou de rêverie suffit. Liébeault, lui, essaie de faire la part des choses. « Une part de vérité est dans les deux camps et il est temps qu’on cesse de s’y accuser tour à tour d’être dupe de convictions imaginaires, et qu’on finisse par s’entendre. » L’autre camp, c’est l’école de la Salpêtrière.

L’école de la Salpêtrière

En 1878, un neurologue alors au faîte de la gloire, le docteur Charcot, s’intéressa à l’hypnose. Celui qu’on appelait le « César de la Salpêtrière » organisa dans cet hôpital des expériences qui devaient être à la source d’une nouvelle psychologie « renforcée par des études pathologiques ». Il fit, en fait, de nombreuses erreurs. Il laissait le soin d’hypnotiser les sujets à ses chefs de clinique, à ses internes, et venait ensuite pontifier devant un public aussi nombreux que néophyte.
Néanmoins, son étude de l’hystérie, ses essais de guérison par la suggestion en font un précurseur de la psychologie moderne.
Grisé par son succès, il fit des expériences sur le magnétisme et la métallothérapie. Bernheim montra que ces expériences étaient erronées et que les résultats obtenus provenaient, en fait, de la suggestion. Charcot devait
douter, vers la fin de sa vie, du bien-fondé de ses travaux, mais la mort l’emporta avant qu’il ne les reprenne sur d’autres bases.

Hypnose et paranormal

Avec le marquis de Puységur, nous avons vu que certains sujets magnétisés manifestaient des facultés de clairvoyance étonnantes. Mais est-ce là tout ? Si l’hypnose est un révélateur de P.E.S. (Perceptions Extra Sensorielles), comment se fait-il que d’autres cas ne soient pas venus confirmer cette hypothèse ?
L’explication est la suivante : on ne voit que ce que l’on veut bien voir. Un exercice classique de psychologie consiste à présenter au sujet un dessin représentant un Nord-Africain bien habillé, qui se fait agresser par un Français armé d’un long couteau, dans le métro.
Après avoir étudié ce dessin, le « témoin » rapportera ce qu’il a vu à une seconde personne, et ainsi de suite. Immanquablement, au deuxième ou troisième témoignage, la situation a été inversée : c’est le Français bien habillé qui se fait agresser par un Nord-Africain. La première situation était, inconsciemment, intolérable et a été rejetée.
On comprend la difficulté qu’ont ces hommes de science, ces médecins, à admettre que de telles possibilités existent. Un bon exemple de cette répugnance est la réaction de l’Académie de médecine au rapport que fit Husson en 1832. Une commission avait été nommée six ans plus tôt, et pendant tout ce temps, Husson avait enquêté, expérimenté, afin de tirer les choses au clair.
Le grand jour arrive enfin où chaque membre de l’Académie peut prendre connaissance du rapport.
Consternation : « Husson, en effet, avait accumulé des expériences extrêmement spectaculaires de magnétisation à distance et de clairvoyance. La commission accepta le don de double vue, de diagnostic en état de somnambulisme, de prévisions, de lecture les yeux bandés. »
Le rapport ne fut pas publié, par crainte du ridicule. Une nouvelle enquête fut même confiée à Dubois, un adversaire acharné du magnétisme, qui nia tout en bloc : y compris l’existence d’un état de somnambulisme provoqué. Le rapport de Husson manquait-il de sérieux ?
Ce n’est pourtant pas l’opinion de la commission d’étude désignée en 1953 par la British Medical Association, afin d’examiner l’hypnose, Elle s’inspira beaucoup du rapport de Husson, allant même jusqu’à dire que « les conclusions de ce rapport sont d’une prévoyance remarquable et sont, en majeure partie, encore applicables aujourd’hui ».
En 1850, l’Anglais Mayo, professeur de physiologie et magnétiseur, écrivait : « Une personne magnétisée qui a perdu son propre sens du toucher, du goût ou de l’odorat, perçoit tout ce qui est ressenti par les sens du toucher, du goût ou de l’odorat du magnétiseur. »
Il confirmait ainsi les recherches faites depuis plusieurs années par un médecin français, le docteur Azam. En 1875, le professeur U.F. Barret, grand physicien anglais, reprend cette expérience : « J’avais pris certaines choses dans mon garde-manger et je les avais apportées et mises sur la table à côté de moi. Me tenant derrière la fillette dont les yeux étaient soigneusement bandés, je mis un peu de sel dans ma bouche ; la fillette cracha aussitôt et s’écria : « Pourquoi mettez-vous du sel dans ma bouche ? » Ensuite, j’ai goûté du sucre ; elle a dit : « C’est meilleur ! » A ma question « A quoi cela ressemble-t-il ? » , elle répondit : « C’est sucré. » « Ensuite j’ai goûté à la moutarde, au poivre, au gingembre, etc. La fillette nommait tout cela et avait apparemment une sensation gustative quand je mettais les épices dans ma bouche. J’approchai ma main d’une bougie allumée et me brûlai légèrement ; la petite fille assise, toujours les yeux bandés et me tournant le dos, s’écria au même moment qu’elle s’était brûlé la main, tout en manifestant une douleur évidente. »
Charcot, s’il fit des erreurs, n’en travaillait pas moins sur des sujets en transes. Or il commençait son cours ainsi : « Nous prendrons les faits simples, faciles à analyser, nous laisserons de côté les phénomènes supérieurs, la double vue, la lucidité. »
Il ne les réfutait pas pour autant.
L’école de Nancy s’intéressa aussi à ces phénomènes. Le 9 janvier 1886, Liébeault entreprit avec Stanislas de Guaita l’expérience suivante, dont voici le procès-verbal :
« Nous soussignés, Liébeault (Ambroise), docteur en médecine et de Guaita (Stanislas), homme de lettres, tous deux demeurant actuellement à Nancy, attestons et certifions avoir obtenu les résultats suivants :
1° Mlle Louise L…, endormie du sommeil magnétique, fut informée qu’elle allait avoir à répondre à une question qui lui serait faite mentalement, sans l’intervention d’aucune parole, ni d’aucun signe. Le docteur
Liébeault, la main appuyée au front du sujet, se recueillit un instant, concentrant sa propre attention sur la demande qu’il avait la volonté de faire :
− Quand serez-vous guérie ?
− Bientôt, murmura-t-elle distinctement.
On l’invita alors à répéter, devant toutes les personnes présentes, la question qu’elle avait instinctivement perçue. Elle la redit dans les termes où elle avait été formulée dans l’esprit de l’expérimentateur.
2° M. de Guaita, s’étant mis en rapport avec la magnétisée, lui posa mentalement une autre question :
− Reviendrez-vous la semaine prochaine ?
– Peut-être, fut la réponse du sujet.
Invitée à communiquer aux personnes présentes la question mentale, la magnétisée répondit :
− Vous m’avez demandé si vous reviendriez la semaine prochaine.
Cette confusion portant sur un mot de la phrase est très significative. On dirait que la jeune fille a « bronché » en lisant dans le cerveau du magnétiseur.
3° Le docteur Liébeault, afin qu’aucune phrase indicative ne fût prononcée, même à voix basse, écrivit sur un billet :
« Mademoiselle, en se réveillant, verra son chapeau noir transformé en chapeau rouge. »
Le billet fut passé, d’avance, à tous les témoins ; puis MM. Liébeault et de Guaita posèrent en silence leurs mains sur le front du sujet, en formulant mentalement la phrase convenue. Alors, la jeune fille, instruite qu’elle verrait dans la pièce quelque chose d’insolite, fut réveillée. Sans une hésitation, elle fixa aussitôt son chapeau et, avec un grand éclat de rire, se récria. Ce n’était pas son chapeau ; elle n’en voulait pas. Il avait bien la même forme ; mais cette plaisanterie avait assez duré ; il fallait lui rendre son bien.
− Mais, enfin, qu’y voyez-vous de changé ?
– Vous le savez ; du reste, vous avez des yeux comme moi.
– Mais encore ?…
On dut insister très longtemps pour qu’elle consentît à dire en quoi son chapeau était changé ; on voulait se moquer d’elle. Pressée de questions, elle dit enfin :
− Vous voyez bien qu’il est tout rouge.
Comme elle refusait de le reprendre, force fut de mettre fin à son hallucination, en lui affirmant qu’il allait revenir à sa couleur première. Le docteur Liébeault souffla sur le chapeau, et redevenu le sien à ses yeux, elle consentit à le reprendre.
Tels sont les résultats que nous certifions avoir obtenu de concert. En foi de quoi, nous avons rédigé le présent procès-verbal. »
L’hypnose semble donc bien être ce qu’elle promet. Elle permet de recréer les « miracles » des antiques thaumaturges. On s’en inquiète. Tout particulièrement l’Eglise, qui accuse le magnétiseur La Fontaine d’« imitation impie des miracles du Christ ».
« Il fut emprisonné, puis relâché par le roi Ferdinand de Naples qui lui rendit la liberté, à condition toutefois « qu’il ne rende plus la vue aux aveugles et l’ouïe aux sourds ». Il put cependant obtenir une audience particulière de Pie IX et, après une discussion très longue, le pape admit qu’il n’y avait aucune imitation des miracles du Christ. Il le félicita et l’encouragea… »
Mais pendant la fin du XIXe siècle et le début du XXe, le développement de l’hypnose marque le pas. Plus de Mesmer, de Charcot, de rivalités et de scandales. Un ancien élève de Charcot, Sigmund Freud, met au point la psychanalyse, abandonnant l’hypnose. Un pharmacien de l’école de Nancy, Emile Coué, développe une méthode de suggestion, la « méthode Coué », préférant l’état de veille au sommeil hypnotique pour guérir les malades. Les techniques de l’anesthésie se perfectionnent, et le recours à l’hypnose n’est plus nécessaire.
L’opinion publique brûle ce qu’elle a adoré, et de nombreux détracteurs s’attaquent à l’hypnose. Un tribunal condamne un hypnotiseur à de lourds dommages et intérêts, parce qu’il a déclenché des troubles chez une jeune femme, lors d’une démonstration théâtrale. Démonstrations théâtrales qui nuisent à « l’image de marque » de l’hypnose. Qui voudrait, en effet, se voir tourner en ridicule comme ces spectateurs qui se mettent à marcher à « quatre pattes », aboyer ou commencent à se déshabiller, sur ordre de l’hypnotiseur ?
On lui reproche d’autre part les phénomènes de « compensation » (la source du traumatisme psychologique n’ayant pas été assumée, la somatisation se reporte sur un autre organe) et la lourdeur du procédé. Il faut en effet quelquefois plusieurs séances pour endormir un sujet, et certains demeurent rebelles.

La suggestion à distance

Un jeune médecin, nommé plus tard professeur au Collège de France, Pierre Janet, se fait pourtant le défenseur de l’hypnose. Il va mettre en évidence ce qu’il appelle la « suggestion mentale ». Invité par le docteur Gibert à étudier le cas d’une jeune paysanne, Léonie, qui peut être hypnotisée à distance, Janet se livre avec lui à plus de vingt-deux expériences de ce genre : « Voici les précautions qui nous ont guidés dans ces essais : 1° L’heure exacte de l’action à distance est tirée au sort.
2° Elle n’est communiquée à M. Gibert que quelques minutes avant le terme, et aussitôt les membres de la commission se rendent au pavillon où habite le sujet.
3° Ni le sujet, ni aucun habitant du pavillon situé à près d’un kilomètre de distance, n’a connaissance de l’heure exacte, ni même du genre de l’expérience qui doit avoir lieu.
Pour éviter la suggestion involontaire, ni nous, ni aucun de ces messieurs n’entrent dans le pavillon pour vérifier le sommeil.
On décide de faire l’expérience de Cagliostro : endormir le sujet de loin et le faire venir à travers la ville. Il était 8 heures et demie du soir, M. Gibert consent. On tire l’heure exacte au sort. L’action mentale devait commencer à 9 heures moins 5 et durer jusqu’à 9 h 10. En ce moment, il n’y avait personne au pavillon, sauf Mme B… et la cuisinière, qui ne s’attendaient à aucune tentative de notre part. Personne n’est allé au pavillon. Profitant de cette absence, les deux femmes étaient entrées dans le salon, et s’amusaient à « jouer au piano ». Nous arrivons dans les environs du pavillon à 9 heures passées. Silence.
La rue est déserte. Sans faire le moindre bruit, nous nous divisons en deux parties pour surveiller la maison à distance.
A 9 h 25, je vois une ombre apparaître à la porte du jardin. C’était elle. Je m’enfonce dans un coin pour entendre sans être remarqué.
Mais je n’entends plus rien : la somnambule, après être restée une minute à la porte, s’était retirée dans le jardin.
(A ce moment M. Gibert n’agissait plus ; à force de concentrer sa pensée, il a eu une sorte de syncope ou d’assoupissement qui dura jusqu’à 9 h 35.)
A 9 h 30, la somnambule reparaît de nouveau sur le seuil de la porte, et cette fois-ci elle se précipite sans hésiter dans la rue, avec l’empressement d’une personne qui est en retard et qui doit absolument atteindre son but. Ces messieurs qui se trouvaient sur sa route n’ont pas eu le temps de nous prévenir, M. le docteur Myers et moi. Mais ayant entendu des pas précipités, nous nous mîmes à suivre la somnambule qui ne voyait rien autour d’elle, ou au moins ne nous a pas reconnus.
Arrivée rue du Bard, elle commença à chanceler, s’arrêta un moment et faillit tomber.
Tout à coup, elle reprend vivement sa marche. Il était 9 h 35. (En ce moment M. Gibert, revenu à lui, recommença l’action.) La somnambule marchait vite, sans s’inquiéter de l’entourage.
En dix minutes, nous étions tout près de la maison de M. Gibert, lorsque celui-ci, croyant l’expérience man-quée et étonné de ne pas nous voir de retour, sort à notre rencontre et se croise avec la somnambule, qui garde toujours les yeux fermés.
Elle ne le reconnaît pas. Absorbée dans sa mono-manie hypnotique, elle se précipite dans l’escalier, suivie par nous tous. M. Gibert voulut entrer dans son cabinet, mais je le prends par la main et je le mène dans une chambre opposée à la sienne.
La somnambule, très agitée, cherche partout. Elle se heurte contre nous, ne sentant rien ; elle entre dans le cabinet, tâte les meubles en répétant d’un ton désolé :
− Où est-il? Où est-il, M. Gibert ?
Pendant ce temps, le magnétiseur reste assis et courbé sans faire le moindre mouvement. Elle entre dans la chambre, elle le touche presque en passant, mais son excitation l’empêche de le reconnaître. Elle s’élance encore une fois dans d’autres chambres. C’est alors que M. Gibert a eu l’idée de l’attirer mentalement, et, à la suite de cette volonté ou par simple coïncidence, elle revient sur ses pas et l’attrape par les mains.
A ce moment, une joie folle s’empare d’elle. Elle saute sur le canapé comme une enfant et frappe des mains en criant :
− Vous voilà ! Vous voilà enfin ! Ah ! Comme je suis contente. »
C’est le professeur Ochorowicz, de l’université de Lemberg, qui nous rapporte cette expérience, l’une des premières auxquelles participe Janet.
Ce dernier en publie les résultats en 1885 : sur vingt-deux expériences, seize ont parfaitement réussi. Il déclare :
« Devons-nous croire que seize fois, il y a eu coïncidence presque absolue ? Cette coïncidence est peu rai-
sonnable. Y a-t-il eu à certains moments suggestion involontaire de notre part ? Tout ce que je puis dire − et je le dis avec la plus parfaite sincérité –, c’est que nous avons pris toutes les précautions possibles pour éviter que cela ne se produisît. Notre seule conclusion ne peut être que la suivante : ces phénomènes devraient être reproduits et étudiés. »
Pourtant, après deux années de remous, le silence retombe sur ces expériences. Janet s’attache plus particulièrement à étudier l’hypnose comme « médecine psychologique ». On peut dire qu’il est l’un des précurseurs de la médecine psychosomatique.
Le célèbre physiologiste Charles Richet, lauréat du prix Nobel, étudiait déjà la suggestion à distance depuis 1873. Il va continuer les expériences de Gibert et de Janet sur Léonie, puis il abandonne ces travaux lorsqu’il découvre ce qui deviendra plus tard le principal outil de recherche de la parapsychologie : l’application des statistiques et des probabilités aux expériences paranormales réalisées à l’état de veille.
Pourquoi s’être détourné de l’hypnose ? Sans doute à cause de la lourdeur du procédé et de l’opposition qu’il rencontra en s’intéressant au paranormal. Cette opposition est, comme le fait remarquer John W. Campbell, de nature démocratique : la société se refuse à admettre que tous les hommes ne sont pas égaux. Sous hypnose, un sujet sur cent se révélait doué de facultés paranormales. En étudiant plutôt des sujets normaux à l’état de veille, il n’avait plus à combattre les détracteurs de l’hypnose et pensait pouvoir démontrer ainsi de façon irréfutable l’existence de la télépathie, voire d’autres facultés parapsychologiques existant de façon latente chez tout individu. Richet lui-même avait quelquefois des rêves prémonitoires et pensait que « ce sont peut-être les premières étapes d’une évolution humaine progressive ».
C’est sur cette voie que va s’engager la parapsychologie.

Le déclin

De même que Freud préfère l’état de veille au sommeil hypnotique pour traiter les maladies mentales, Emile Coué, continuateur de l’école de Nancy, nie l’état hypnotique et provoque des guérisons physiques à l’aide de suggestions à l’état de veille. Avec Richet, puis Rhine (aux Etats-Unis), la parapsychologie va abandonner l’hypnose pour se consacrer aux jets de dés, aux cartes de Zener, à la psychokinèsie et à la télépathie à l’état de veille.

Une page est tournée.

Le célèbre Hector Durville (c’est lui qui se fit enfermer dans une cage aux lions et réussit à les endormir) parvient à faire reconnaître officiellement son « cours public de magnétisme ». Il continue les recherches sur l’hypnose. Elles sont poursuivies par ses élèves, P. C. Jagot, le colonel de Rochas, le docteur Lancelin, et par ses fils, Gaston et Henri Durville, pendant la première moitié du XXe siècle.
Mais entre 1920 et 1950, nombre de scientifiques français n’hésitent pas à nier l’existence même du phénomène hypnotique. « L’hypnose, c’est la simulation du sommeil somnambulique par des sujets parfaitement éveillés. Il ne reste chez l’hypnotiseur que l’alternative d’être le complice ou la dupe de son sujet. »

L’étude de l’hypnose se poursuit à l’étranger.

L’annonce de ses progrès nous revient des Etats-Unis, d’Angleterre, d’Espagne, d’U.R.S.S. La suggestion à distance, étudiée par Janet, est approfondie par le physiologiste russe L. L. Vassiliev. Un de ses confrères, Ivan Pavlov, va grandement contribuer à la réhabilitation de l’hypnose en lui donnant une explication physiologique. En Allemagne, J. H. Schultz développe une méthode de relaxation fondée sur une autosuggestion hypnotique décrivant les effets physiques de l’hypnose (« je suis calme », « mes bras et mes jambes sont tout lourds », « mon bras droit est tout chaud », etc.). C’est le « training autogène » qui va se répandre en France vers 1953. Un des disciples de Schultz, le docteur Alfonso Caycedo, crée en 1960 une nouvelle science : la sophrologie. Venue d’Espagne, la sophrologie s’est largement répandue en France ces dernières années. Plus de 1 500 praticiens utilisent un état hypnoïde, « le niveau sophroliminal », pour traiter leurs patients. Est-ce un renouveau de l’hypnose ?

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