Le paludisme
Arme de destruction massive, « serial killer », les organisations spécialisées rivalisent de slogans pour sensibiliser la population au problème mondial causé par le paludisme, maladie parasitaire qui tue le plus dans le monde (un enfant toutes les 30 secondes en Afrique et entre 1 et 3 millions de personnes par an, selon les estimations de l’OMS). Deux milliards d’individus, soit 40 % de la population mondiale, sont exposés et on estime à 500 millions le nombre de cas cliniques survenant chaque année. Maladie des pays tropicaux (voir carte en annexe 1), la prévalence dans les zones insalubres, où l’accès aux soins est limité, en fait un problème tant éthique que de santé publique.
Epidémiologie
Amérique du Sud
La malaria est présente de façon endémique dans neuf pays d’Amérique du Sud qui ont en commun d’être à cheval sur la forêt Amazonienne : Bolivie, Brésil, Colombie, Equateur, Guyana, Guyane française, Pérou et Suriname. De plus, un petit nombre de cas ont été reportés en Argentine et au Paraguay. En Amérique du Sud, on ne trouve que trois des quatre espèces de plasmodies humaines (7) : P. vivax, P. falciparum et P. malariae.
Dans l’ensemble des pays de la zone, environ 25 % des cas rapportés sont causés par P. falciparum, le plus pathogène, le reste étant majoritairement imputable à P. vivax. Entre 1994 et 2003, la proportion d’infections à P. falciparum a décru en Bolivie, Colombie, Equateur et Pérou, alors qu’elle restait stable dans les autres pays (8).
Suriname
Le Suriname occupe une position centrale sur le bouclier des Guyanes, formation géologique s’étendant du Venezuela au Nord-Est du Brésil. Il couvre 163 820 km2 sur le bord nord de l’Amazonie, dont plus des trois quarts sont recouverts de forêts. La population s’élève à 430 000 personnes, majoritairement réparties le long de la côte et autour de la capitale, Paramaribo. De nombreuses ethnies cohabitent sur ce territoire : Amérindiens, Marrons, Créoles, Européens, Chinois, Pakistanais, Hindous. La langue officielle est le hollandais, vestige de la colonisation, mais le Sranan-tongo est très usité.
Au cours des années 80, les conflits armés dans le pays, responsables d’une destruction importante des infrastructures et d’une paupérisation des populations ont conduit à une augmentation du nombre de cas de malaria. Au début des années 90, le phénomène s’est amplifié, parallèlement à l’exploitation de l’or, qui a favorisé la création de sites favorables à la nidification des anophèles, ainsi qu’un brassage des populations, notamment en provenance du Brésil voisin (8). Le long du littoral, la transmission de la parasitose est faible, mais on estime à 150 000 le nombre de Surinamiens vivant en zone impaludée. Les zones à haut risque de transmission peuvent être séparées en deux : une grande partie le long de la frontière avec la Guyane Française, sur le fleuve Maroni (Marowijne river) et dans le sud, ou les rizières et l’orpaillage sont présents, l’autre partie étant centrée sur le lac Brokopondo (figure 3).
Représentation ethnique
Parmi les personnes interrogées, la quasi-totalité est Saramaka, gens qui possédaient des connaissances sur les gobelets amers. Nous avons donc affaire aux vendeurs Saramaka des marchés, aux gens de Sandygron, village mono-ethnique, ou encore à des personnes issues de cette communauté présente sur Paramaribo. Si cela peut constituer un biais dans une étude globale, il devient négligeable dans le cadre de cette étude sur l’utilisation de ces remèdes par les Marrons du Suriname.
Identification botanique
La détermination de l’essence utilisée pour la fabrication des gobelets a été une des préoccupations principales. Quassia amara est réputée être à l’origine de cet artisanat, mais les avis divergent au sein des chercheurs et botanistes consultés en Guyane ou au Suriname en raison du diamètre des Q. amara jugé trop faible pour le façonnement d’un gobelet. Lors de l’enquête, nous avons néanmoins pu constater de visu que Q. amara peut atteindre jusqu’à 8 cm de diamètre. Dans le tableau 1, nous observons que si la dénomination vernaculaire en Sranan-tongo est identique, la description varie, Q. amara étant un arbrisseau à fleurs rouges, il ne peut s’agir de la plante décrite par les personnes 9, 10 et 11. Ces personnes, des Saramaka de Sandygron, n’ont pas pu (ou pas voulu) nous montrer la plante en question. Deux hypothèses se présentent alors : soit nous sommes en présence de deux plantes différentes connues sous le même nom vernaculaire (cas de figure fréquent en ethnobotanique), soit les personnes se trompent, ou essayent de nous égarer. Cette méfiance à l’égard d’Occidentaux « curieux » est relativement fréquente (6), d’ou l’intérêt de procéder à une analyse rigoureuse des échantillons.
Indications thérapeutiques
Une des difficultés est ici l’interprétation des indications thérapeutiques, la sémiologie des Marrons n’étant pas identique à celle de notre vision occidentale de la médecine. En effet, les termes employés, subjectivement modifiés par le traducteur, ne désignent pas toujours ce que l’on peut y voir. Prenons pour exemple la notion de froid : si la logique occidentale applique à celle-ci un rapport direct avec le climat et ses rudesses à l’origine de pathologies telles que les rhumes, les Marrons y voient plutôt une entité qui peut pénétrer de façon dynamique dans le corps, à l’origine de troubles variés, allant de douleurs diffuses et généralisées à de simples ballonnements ou au rhume dans son acception occidentale. Si l’on « attrape froid » en Occident, chez les Marrons c’est « le froid qui vous attrape » (5). Les indications thérapeutiques données dans le tableau 1 sont donc des interprétations personnelles de la symptomatologie marronne. Ces indications sont reportées ici dans l’ordre de priorité donné par la personne interrogée.
Tous les interlocuteurs nous ont présenté les Bitter-cups comme un remède adapté aux faiblesses passagères, asthénie, ou baisse du moral, que nous avons traduit par « tonique ».
En deuxième indication, nous avons réuni sous le terme générique de « dépuratif » des propriétés qui se traduisent par une fonction d’élimination et de purification, tant au niveau du foie, de l’estomac et du ventre en général (excès de nourriture, froid, gaz), qu’au niveau du sang.
Enfin, les Bitter-cups sont considérés par certains comme « fébrifuges », ou « antimalariques ».
C’est ici l’indication qui nous intéressera, dans le cadre de la validation de l’activité antipaludique. Comme précédemment, la différence entre fébrifuge et antimalarique peut être à l’origine d’une confusion, mais cela reste difficile à évaluer dans le cadre restreint de cette étude (le questionnaire ne portant pas, entre autres, sur les définitions des pathologies).
Méthode de préparation, voie d’administration
Le mode de préparation relevé est assez uniforme. Il s’agit d’une macération : un liquide est laissé toute une nuit dans le gobelet avant d’être bu le matin à jeun, si possible d’une traite. Pour un usage « dépuratif » ou « tonique », le remède est pris de façon ponctuelle.
Pour un usage « fébrifuge » ou « antipaludique », il s’agit d’une cure de plusieurs jours. La durée du traitement ne doit cependant pas excéder plus ou moins dix jours selon les personnes interrogées.
Un point intéressant tient dans la nature du liquide utilisé pour remplir le Bitter-cup. De l’avis général, il peut s’agir aussi bien d’eau que de rhum, sans que nous puissions véritablement cerner quel facteur oriente le choix de l’un ou de l’autre. Selon Fleury, spécialiste des cultures marronnes (com. pers., 2006), il est fort probable que les hommes Saramaka privilégient le rhum, quand les femmes préféreront remplir leur gobelet avec de l’eau.
Ajoutons que le Bitter-cup est réutilisé jusqu’à ce qu’il perde sa saveur amère. Pour Sauvain (6), les Saramaka considèrent que les remèdes contre les maux de ventre sont d’autant plus puissants qu’ils sont amers, ceci expliquant le désintérêt pour les gobelets dès lors qu’ils ont perdu cette amertume.
Discussion
Malgré le nombre restreint de sujets interrogés, cette étude permet de cerner les usages des Bitter-cups chez les Saramaka. Si les utilisations comme « tonique » et « dépuratif » sont les premières citées, l’indication « antipaludique » justifie un approfondissement de cette activité. De plus, si le Kwasi-bita est connu pour être Q. amara, les éléments de l’enquête peuvent nous faire douter, c’est ce qui motivera l’analyse anatomique de ces gobelets.
Le paludisme
Arme de destruction massive, « serial killer », les organisations spécialisées rivalisent de slogans pour sensibiliser la population au problème mondial causé par le paludisme, maladie parasitaire qui tue le plus dans le monde (un enfant toutes les 30 secondes en Afrique et entre 1 et 3 millions de personnes par an, selon les estimations de l’OMS). Deux milliards d’individus, soit 40 % de la population mondiale, sont exposés et on estime à 500 millions le nombre de cas cliniques survenant chaque année. Maladie des pays tropicaux (voir carte en annexe 1), la prévalence dans les zones insalubres, où l’accès aux soins est limité, en fait un problème tant éthique que de santé publique.
Indications thérapeutiques
Une des difficultés est ici l’interprétation des indications thérapeutiques, la sémiologie des Marrons n’étant pas identique à celle de notre vision occidentale de la médecine. En effet, les termes employés, subjectivement modifiés par le traducteur, ne désignent pas toujours ce que l’on peut y voir. Prenons pour exemple la notion de froid : si la logique occidentale applique à celle-ci un rapport direct avec le climat et ses rudesses à l’origine de pathologies telles que les rhumes, les Marrons y voient plutôt une entité qui peut pénétrer de façon dynamique dans le corps, à l’origine de troubles variés, allant de douleurs diffuses et généralisées à de simples ballonnements ou au rhume dans son acception occidentale. Si l’on « attrape froid » en Occident, chez les Marrons c’est « le froid qui vous attrape » (5). Les indications thérapeutiques données dans le tableau 1 sont donc des interprétations personnelles de la symptomatologie marronne.
Ces indications sont reportées ici dans l’ordre de priorité donné par la personne interrogée.
Tous les interlocuteurs nous ont présenté les Bitter-cups comme un remède adapté aux faiblesses passagères, asthénie, ou baisse du moral, que nous avons traduit par « tonique ».
En deuxième indication, nous avons réuni sous le terme générique de « dépuratif » des propriétés qui se traduisent par une fonction d’élimination et de purification, tant au niveau du foie, de l’estomac et du ventre en général (excès de nourriture, froid, gaz), qu’au niveau du sang.
Enfin, les Bitter-cups sont considérés par certains comme « fébrifuges », ou « antimalariques ».
C’est ici l’indication qui nous intéressera, dans le cadre de la validation de l’activité antipaludique. Comme précédemment, la différence entre fébrifuge et antimalarique peut être à l’origine d’une confusion, mais cela reste difficile à évaluer dans le cadre restreint de cette étude (le questionnaire ne portant pas, entre autres, sur les définitions des pathologies).
Méthode de préparation, voie d’administration
Le mode de préparation relevé est assez uniforme. Il s’agit d’une macération : un liquide est laissé toute une nuit dans le gobelet avant d’être bu le matin à jeun, si possible d’une traite. Pour un usage « dépuratif » ou « tonique », le remède est pris de façon ponctuelle. Pour un usage « fébrifuge » ou « antipaludique », il s’agit d’une cure de plusieurs jours. La durée du traitement ne doit cependant pas excéder plus ou moins dix jours selon les personnes interrogées.
Un point intéressant tient dans la nature du liquide utilisé pour remplir le Bitter-cup. De l’avis général, il peut s’agir aussi bien d’eau que de rhum, sans que nous puissions véritablement cerner quel facteur oriente le choix de l’un ou de l’autre. Selon Fleury, spécialiste des cultures marronnes (com. pers., 2006), il est fort probable que les hommes Saramaka privilégient le rhum, quand les femmes préféreront remplir leur gobelet avec de l’eau. Ajoutons que le Bitter-cup est réutilisé jusqu’à ce qu’il perde sa saveur amère. Pour Sauvain (6), les Saramaka considèrent que les remèdes contre les maux de ventre sont d’autant plus puissants qu’ils sont amers, ceci expliquant le désintérêt pour les gobelets dès lors qu’ils ont perdu cette amertume