Les critiques sur le commerce équitable

Effets sur les producteurs du Sud

Pour les petits producteurs du Sud, il va de soi que les effets de la stratégie d’extensiondu commerce équitable sont, ou peuvent être, à la fois positives et négatives. Il est important de mettre en évidence les avantages et inconvénients de l’application de cette stratégie pour les producteurs du Sud afin de savoir ce qu’ils peuvent gagner et perdre. Commençons par les avantages.
Depuis que les produits équitables sont vendus dans les grandes surfaces, on constate un accroissement des quantités vendues, se traduisant par une augmentation du chiffre d’affaires. Il faut rappeler que les organisations de commerce équitable ont opté pour l’intégration des produits équitables dans le circuit économique classique pour deux raisons principales: offrir plus de débouchés aux produits des producteurs du Sud afin d’accroître le nombre de producteurs bénéficiant du commerce équitable et sortir le mouvement de la marginalité pour lui donner plus de visibilité et de légitimité auprès de l’opinion publique.
Donc, le premier avantage que représente cette intégration, c’est un élargissement du champ des débouchés pour les produits équitables.
Découlant de ce premier avantage, le deuxième est une augmentation des ventes générant plus de bénéfices. Ce qui signifie plus de revenu pour les petits producteurs du Sud qui peuvent ainsi améliorer leurs conditions de vie. Et finalement, le troisième avantage est l’augmentation du surplus financier investi dans la modernisation des moyens de production (des coopératives) et/ou dans la réalisation de projets de développement (éducation, santé, diversification de la production et des sources de revenus, etc.). Cet avantage est très important car il crée les conditions d’un certain auto-développement représentant la prise en charge par les petits producteurs du Sud de leur propre développement. Par exemple, ils ont ainsi la possibilité de mettre en place des structures socio-économiques leur garantissant une certaine autonomie alimentaire. Bien évidemment, le problème le plus important consiste à investir une partie des bénéfices dans la réalisation de projets de développement nécessaires à la satisfaction des besoins sociaux de la communauté.
A côté de ces avantages, on peut aussi distinguer un certain nombre d’inconvénients. Le premier inconvénient est une valorisation toujours plus forte de l’économie d’exportation par rapport à l’économie domestique. Avec la tendance dominante qui est l’accroissement des débouchés pour les produits équitables, le risque est grand de voir les producteurs du Sud investir surtout dans les cultures d’exportation, qui représentent pour le moment leur principale source de revenu, en délaissant les cultures vivrières dont l’importance est capitale pour leur assurer une certaine autonomie alimentaire. Il est évident que si cette autonomie est assurée par la dynamisation des marchés locaux ou de proximité, les petits producteurs du Sud seront moins affectés, en ce qui concerne le maintien de leurs conditions de vie, par les aléas des marchés boursiers. Le deuxième, qui est une conséquence du premier, peut être un appauvrissement du tissu économique dû à une valorisation excessive des cultures d’exportations conduisant à une faible diversification des activités économiques génératrices de revenus. On peut défendre l’idée selon laquelle ce risque peut être atténué ou contrecarré par un avantage déjà mentionné plus haut, à savoir l’investissement d’une partie des bénéfices dans la réalisation de projets de développement communautaires. Cette idée peut s’avérer juste à condition que les organisations de commerce équitable mettent autant d’efforts dans l’instauration d’une économie solidaire basée sur la valorisation des marchés locaux et des cultures vivrières que dans la conquête de parts de marché pour les produits équitables. Même si du point de vue théorique le commerce équitable défend explicitement le principe d’une économie solidaire, dans la pratique, pour le moment, il n’a pas encore suffisamment contribué à la mise en place d’une telle économie. Le troisième et dernier inconvénient, sans doute le plus important, est le renforcement des mécanismes de dépendance vis-à-vis des marchés mondiaux. En effet, il semble difficile pour le commerce équitable de vouloir à la fois intégrer les petits producteurs du Sud dans les systèmes d’échanges mondiaux par le biais d’un échange plus égal et de ne pas les soumettre aux contraintes structurelles (d’efficacité et de compétitivité) de l’économie capitaliste mondiale. L’intégration a ses contraintes auxquelles le commerce équitable doit absolument faire face. Mais la question fondamentale est de savoir comment y faire face sans être absorbé par le système. De plus, il existe aussi une contradiction entre la conception du développement du commerce équitable, celle qui défend l’idée d’un accroissement des capacités d’autonomie, et l’intégration des produits équitables dans le circuit économique traditionnel qui tend vers un renforcement des mécanismes de dépendance. Comment rester fidèle à cette conception qui est chère au commerce équitable alors que certaines pratiques vont déjà dans le sens inverse, c’est-à-dire vers une consolidation des liens de dépendance?

LIMITES DU COMMERCE EQUITABLE

Malgré sa bonne cote, le commerce équitable n’est pas exempt d’interrogations pour la poursuite de sa croissance.
L’une des premières questions qui se pose est l’analyse des effets de ce commerce sur les producteurs du Sud. Après 30 années d’expériences, on constate, certes, une réelle amélioration des conditions de vie pour les producteurs concernés. Mais deux questions demeurent :
 N’est-on pas en train de créer des îlots de privilégiés sans impact sur le développement de la région ?
 Le système n’entraîne-t-il pas des dépendances reflétant plus un sursis pour les petits producteurs qu’un réel développement durable intégré à l’économie locale ?

Le label

La première limite du commerce équitable est son label. Au sens strict du terme, un label est un signe de reconnaissance, propriété des pouvoirs publics qui est attribué après une vérification par un certificateur du respect du cahier des charges. En général, il sert à garantir la qualité d’un produit. Mais le terme de label est souvent utilisé abusivement, au regard de la loi, par des structures en charge de marques privées à usage collectif. Pour le moment, à Madagascar, il n’existe pas de label public de commerce équitable. Il faut donc se référer à des marques privées d’usage collectif ou label privées, tel que Max Havelaar.
Il y a beaucoup de problèmes avec le label Max Havelaar : ce label a été attribué à des producteurs du Sud qui ne respectaient pas le cahier des charges de ce label, qui se sont vus leur label retiré après cette fraude.

Impact environnemental

Le commerce équitable a un impact environnemental qui lui impose une limite supplémentaire, car il doit également réduire son émission en CO2. Dans le cas des produits manufacturés (torréfaction du café, transformation du cacao en chocolat, emballage au détail), l’étape de transformation engendre également des impacts environnementaux : consommation d’eau et d’énergie, rejets en eau polluée, génération de déchets, nuisances sonores, pollution atmosphérique.
Pour le dernier stade, les choix d’emballages sont réalisés. Cet aspect peut paraître anecdotique mais il engendre à la base un impact, pour la conception des matières plastiques, l’utilisation de pétrole, son raffinage et son acheminement depuis les zones de production. Ainsi, moins les produits seront emballés, moins ils ont d’impact négatif sur l’environnement. A l’heure actuelle, il n’existe là non plus aucune réglementation incitant les organisations de commerce équitable à limiter ou proscrire les emballages plastiques. Tout au plus, il est spécifié dans les critères des organisations de commerce équitable le fait qu’une attention doit être accordée à la qualité environnementale des emballages utilisés.

Le débat du juste prix

La question du juste-prix, élément central du commerce équitable, est souvent soulevée. C’est une notion très subjective. Le prix est toujours un compromis entre le producteur et l’acheteur. S’il est trop élevé, il y aura moins de vente et ce n’est pas dans l’intérêt du producteur. S’il est trop bas, il ne permet pas un salaire décent au producteur ou/et de payer le coût social et environnemental de la production. Un prix un peu supérieur au prix du marché conventionnel rend ce marché accessible à une clientèle plutôt privilégiée qui peut ainsi faire de son acte d’achat un acte citoyen et au-delà avoir une certaine influence sur la régulation de l’économie internationale. Mais ceux qui n’ont pas ce pouvoir d’achat sont exclus de cette démarche. Cette facette élitiste du commerce équitable peut en atténuer l’impact.

Le manque de visibilité des produits

Un autre sujet de préoccupation est le manque de visibilité du mouvement équitable auprès du public international et national. Le nombre de points de vente reste insuffisant (3000 boutiques en Europe, pas plus de 100 boutiques à Madagascar) pour une bonne fréquentation par un large public et sa fidélisation. Les magasins présentent parfois un aspect trop caritatif qui peut laisser penser qu’ils ne sont qu’une vitrine pour exposer quelques objets de vente de charité. Ainsi, ils perdent de leur force de persuasion. Il est important que la vente s’accompagne d’une analyse correcte des enjeux du commerce international et que la transmission du message soit claire et cohérente. En outre, la pérennité des magasins repose essentiellement sur le bénévolat avec tous les avantages du militantisme mais également sa grande fragilité. Et si les magasins se professionnalisent davantage, les coûts de gestion (salaires, marketing…) augmentent, ce qui aura des répercussions soit sur le prix final de l’article soit sur le prix payé aux producteurs.

Le privilège

Le commerce équitable crée un certain ilot de privilèges. Effectivement, il privilégie par une « discrimination positive » les producteurs du Sud, c’est-à-dire qu’ils leur donnent une place à part entière dans le commerce mondial en les mettant de côté et en les privilégiant.
Alors que le but premier du projet du commerce équitable est de les intégrer dans les circuits normaux, mais au lieu de ça ils leur donnent un coup de pouce.
La promotion du commerce équitable dissimule deux valeurs :
 La culpabilité : c’est-à-dire culpabiliser les acheteurs, s’ils ne consomment pas des produits « équitables », ils sont coupable d’égoïsme, d’indifférence à la pauvreté
 La flatterie : flatter la vanité de l’acheteur, comme s’il achète les produits équitables, cela veut dire qu’il est un consommateur « intelligent », responsable, le produit est certes nécessaire mais il a une valeur morale, donne une « bonne conscience », fait ressentir chez cet individu un sentiment de satisfaction parce que peut-être il a aidé un jeune africain à mieux manger pour le déjeuner par exemple.

LE COMMERCE EQUITABLE FACE AU MARCHE

« Nous menons à Artisans du Monde plusieurs actions dont la juxtaposition en fait à la fois la richesse et la difficulté. La première ambiguïté (la juxtaposition entraîne-t-elle l’ambiguïté ?) est celle qui nous fait mener de front un travail politique d’information et un autre plus économique d’importation et de commercialisation de produits du tiers-monde.
Doit-on privilégier l’un ou l’autre ? Doit-on chercher à vendre le maximum de produits (par exemple dans les supermarchés) au risque de faire des compromis sur l’aspect politique de notre action ? Doit-on au contraire se cramponner aux vrais critères d’un développement autocentré au risque de ne plus se « mouiller les doigts » dans le commerce ? (…) Nous avons peur de mettre le doigt dans l’engrenage, mais ne suffit-il pas d’un grain de sable placé à bon escient sur les maillons faibles pour changer le système ? Encore faut-il savoir où le placer !
C’est peut-être de rechercher la manière et le comment agir sur les circuits économiques traditionnels qui pourraient être un des sens profonds de notre action. Cela demande d’étudier et de comprendre les mécanismes ».
Ce texte écrit en 1985 par DECQ (B), le premier salarié de la Fédération Artisans du Monde, est encore d’actualité. Comment assurer un développement des ventes tout en ne tombant pas dans les travers du commerce conventionnel ? Jusqu’à quel point accepter de « se mouiller les doigts dans le commerce » et de se salir à son contact ? Comment ne pas se fairedéborder par les mécanismes du système ?
La nature hybride du projet du commerce équitable, « échange marchand » « contre le marché », génère certainement une partie de ces interrogations et de ces inquiétudes. Mais celles-ci ne peuvent pleinement se comprendre sauf si nous tenons compte de l’ordreéconomique dans lequel le commerce équitable est socialement construit. Le commerce équitable apparaît alors comme un commerce qui prend aujourd’hui part au marché autant pour des raisons de sensibilisation politique que pour accroître les débouchés des producteurs.

Enjeu de la participation au marché

Les économies sont inégalement soumises aux contraintes marchandes. Les prix sont inégalement fixés selon la seule confrontation systémique de l’offre et de la demande et les activités économiques sont inégalement guidées par les seuls résultats du marché. Dire qu’une activité marchande participe beaucoup au marché implique qu’elle est fortement soumise aux contraintes économiques systémiques. Inversement, d’autres « circuits de commerce » participent, au sein du capitalisme, peu au marché. Parler de « participation » implique deux points. D’une part, ce terme vise à reconnaître l’importance des obligations économiques dans le fonctionnement des différents marchés du capitalisme, tout en restant attentif aux différences de niveau de contrainte qui existent d’un marché à l’autre. D’autre part, il conduit à considérer le degré de participation au marché et de soumission à ses contraintes comme, au moins partiellement, le résultat d’actions intentionnelles.

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