Les critiques de l’utilisation de la surveillance de masse

L’impact limité des dispositions exorbitantes du droit commun dans la lutte contre le terrorisme

L’amélioration de la sécurité publique. Avec la décision du 19 février 2016 le Conseil constitutionnel avait déclaré inconstitutionnelle une disposition de la loi sur l’état d’urgence830 qui permettait aux forces de l’ordre de saisir toute information trouvée sur un ordinateur ou un smartphone au cours d’une perquisition sans autorisation judiciaire. Notons que la nouvelle loi 19 décembre 2016 réaffirme cette prérogative pour les forces de l’ordre mais pose des limites sur les informations pouvant être recueillies et impose l’autorisation par un tribunal administratif pour pouvoir les exploiter831 . En effet, la violation de l’espace privé d’une personne peut être grande, on peut alors se demander si les résultats de ces atteintes à la vie privée sont encourageants. La Commission d’enquête de l’Assemblée nationale relative aux moyens mis en œuvre par l’État pour lutter contre le terrorisme, a conclu le 5 juillet 2016 que l’état d’urgence avait eu un « impact limité » sur la sécurité832.
Le rapport de la Commission d’enquête a décrit les graves défaillances dans l’analyse des renseignements qui auraient pu prévenir les attaques. À la suite de l’attentat du 14 juillet 2016, la prolongation de l’état d’urgence et les nouvelles dispositions qui ont suivi ont été faites dans la précipitation. Les syndicats de la magistrature et de la police nationale ont souligné que les priorités devaient être le renfort des moyens humains et une meilleure coordination entre les services étatiques. Pour les syndicats ces renforts étaient plus importants que les dispositifs exorbitants de droit commun accordés aux services de l’État que constituent les dernières lois de surveillance de masse des communications numériques ou la durée prolongée de l’état d’urgence. L’état d’urgence est un régime provisoire d’exception (1) dans lequel on assiste à une accentuation des pouvoirs de l’autorité administrative (2)

Un régime provisoire d’exception

L’époque actuelle conduit à mettre à jour les méthodes permettant la protection de la sécurité publique : l’état d’urgence. Créé par la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 à la suite de la vague d’attentats perpétrés par le Front de Libération National algérien durant la Guerre d’Algérie, l’état d’urgence est un régime d’exception qui fait temporairement prévaloir l’urgence de rétablir la sécurité, gravement menacée, sur le régime de droit commun des libertés 833 . L’état d’urgence est déclaré par un décret du Président de la République délibéré en conseil des ministres « soit en cas de péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public, soit en cas d’évènements présentant, par leur nature et leur gravité, le caractère de calamité publique ». Il ne peut être prorogé au-delà de douze jours sans l’accord de la loi. Cet état d’urgence a été mis en place lors de la Guerre d’Algérie de 1958 à 1962 avant d’être oublié durant une trentaine d’années pour revenir en 1985 en Nouvelle Calédonie à la suite d’actes terroristes durant les manifestations indépendantistes, en 2005 en raison des émeutes dans les banlieues, puis, à la suite des attentats du 13 novembre à Paris, l’état d’urgence a été décrété puis prorogé à six reprises, jusqu’en novembre 2017, par le législateur. Le 31 octobre 2017 est finalement entrée en vigueur la loi du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme. Il s’agit en somme d’une mesure permettant d’assurer la sécurité des hommes, et plus précisément des citoyens présents sur le territoire français. La nécessité de la sécurité dans le droit commun (a) trouve une limité étatique dans la loi (b).

Le principe de la légalité des délits et des peines, théorisé en 1764 par Cesare Beccaria, dans le livre Des délits et des peines, permet d’étudier la notion de sécurité juridique . La sécurité juridique permet de connaitre les peines que l’on encourt en commettant certains actes pénalement répréhensibles, et d’instaurer une limite au pouvoir étatique par la loi elle-même. Par conséquent, l’état d’urgence ne doit pas permettre à l’arbitraire de prendre le dessus sur la sécurité juridique et débrider le pouvoir étatique en rendant possibles des abus. Inclure l’état d’urgence sous la forme d’une loi, ici celle du renforcement de la sécurité intérieure et de la lutte contre le terrorisme, permet aux gouvernés de clairement connaître les lois auxquelles ils sont soumis. De plus, l’inclusion de cette loi dans le droit commun implique l’existence d’organes capables de contrôler son application, et le fait qu’elle soit remise en question par certains juristes au niveau de sa constitutionnalité montre que la hiérarchie des normes est respectée. Ainsi les trois critères qui forment l’État de droit et qui sont l’exigence de clarté des énoncés normatifs, en somme leur intelligibilité pour que les normes puissent être connues de tous, la présence d’organes veillant à la régularité dans l’application des normes et une hiérarchisation des normes qui corresponde à une hiérarchisation des valeurs de la société qui est régie par le système, sont réunis.
Le pouvoir politique au sein de l’État est défini comme l’autorité souveraine, et même un pouvoir décisionnel puisqu’il est celui qui régit le système en prenant des décisions le concernant. Il décide des politiques publiques et ses décisions peuvent changer d’un gouvernement à un autre. Ainsi, l’objectif de l’État est là : décider. Cependant on vit actuellement dans un pays libéral, or : le libéralisme est défini par le philosophe John Locke, comme une « doctrine politique visant à limiter les pouvoirs de l’État au regard des libertés individuelles ». Ainsi le libéralisme doit trouver un équilibre entre le but premier de l’État et accorder plus de libertés aux individus. Certainement on peut faire un lien entre la baisse du sentiment de sécurité indiqué par le Global Peace Indicator et l’augmentation petit à petit des libertés. Il y a dans les débats publics actuels une contradiction entre le rejet de la domination politique et le besoin de cette même domination. L’État a toujours eu besoin d’exercer une domination politique afin de maintenir le système, la Nation en place, pour permettre la perduration de l’État de droit. Ce dernier nécessite, comme démontré, d’être encadré par des structures dont l’état d’urgence fait partie. En ce sens, l’état d’urgence est une manière pour l’État de faire face à sa propre impuissance à l’époque du libéralisme qui s’est installé en nous faisant oublier que « la sécurité est la première des libertés ». La notion de terrorisme. La notion de terrorisme incite à se questionner sur le problème de la dissolution de l’état d’urgence dans le droit commun, elle provient du latin terror qui peut se traduire par « terreur ». Elle a été utilisée en premier lieu durant la Révolution française, et désignait autrefois la doctrine des partisans de la Terreur. Aujourd’hui elle désigne l’usage de la violence par une organisation pour atteindre ses objectifs. Actuellement, cet objectif est de faire pression sur l’État dans le cadre du Jihad par l’État Islamique. L’État, suivant cette définition, serait la cible des attaques terroristes, et donc sa population. Or, le rôle de l’État est de protéger ses citoyens. Ainsi, il doit prendre des mesures de protection, de sécurité, afin de se défendre. L’état d’urgence apparaît comme une réponse appropriée. Ce terrorisme étant devenu commun et habituel dans notre quotidien, il est donc compréhensible que le rôle sécuritaire de l’État envers les Français l’amène à avoir une réponse également quotidienne à ces actes en faisant rentrer l’état d’urgence d’une manière plus commune dans le droit.

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L ’ objectif de maintien de la sécurité

La lutte contre le terrorisme. On observe une volonté du législateur d’éclairer l’esprit du texte de loi pour qu’il ne s’applique qu’à des fins de lutte contre le terrorisme puisqu’au commencement de chaque article, ce but est précisé. Par exemple, dans le premier article du chapitre premier, il est disposé « Art. L. 226-1. Afin d’assurer la sécurité d’un lieu ou d’un événement soumis à un risque d’actes de terrorisme à raison de sa nature et de l’ampleur de sa fréquentation, le représentant de l’État dans le département ou, à Paris, le préfet de police, peut instituer par arrêté motivé un périmètre de protection au sein duquel l’accès et la circulation des personnes sont réglementés. ». Ainsi, il y a là la volonté de prévenir les abus possibles qu’une telle loi pourrait engendrer en donnant les moyens à la justice d’interpréter en faveur de la protection des individus. Enfin, cela démontre que la séparation des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire est maintenue, puisqu’il est laissé une liberté d’interprétation des textes par le législateur, et qu’il est obligatoire de saisir le juge des libertés et de la détention pour un certain nombre de mesure, notamment pour les visites domiciliaires. Par ailleurs, l’article 8 de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence, l’un des plus critiqués en son principe puisqu’il dispose que « Le ministre de l’intérieur, pour l’ensemble du territoire où est institué l’état d’urgence, et le préfet, dans le département, peuvent ordonner la fermeture provisoire des salles de spectacles, débits de boissons et lieux de réunion de toute nature, en particulier des lieux de culte ». Cependant il est ajouté après ces propos que cela ne touche que ceux « au sein desquels sont tenus des propos constituant une provocation à la haine ou à la violence ou une provocation à la commission d’actes de terrorisme ou faisant l’apologie de tels actes ». Ainsi la question n’est plus celle de fermer des lieux de culte, mais pourrait être de savoir s’il est normal, ayant connaissance de nos droits fondamentaux et des principes qui régissent notre République, de laisser prospérer des endroits au sein desquels des discours de haine ou de violence sont tenus. La liberté d’expression est un droit fondamental mais elle a des limites lorsque cela touche au respect de la liberté d’opinion, consacrée par la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, ou encore le droit à l’intégrité physique et morale disposé notamment à l’article 16-3 du Code civil. Cette loi ne va ainsi pas à l’encontre des textes constitutionnels ainsi que des lois qui régissent les droits fondamentaux.
Le choix de la sécurité. Carl Schmitt soutient dans son livre Théologie politique que le libéralisme constitue un effort pour « échapper à la décision ». Le libéralisme est en ce sens en opposition avec le pouvoir de l’État. Le libéralisme serait ainsi l’antithèse du choix.
Pour lui, les libéraux ne choisissent donc pas entre deux thèses théologiques, fondées sur le savoir, mais de manière manichéenne et idéologique, entre le bien et le mal, la bonté et la méchanceté. C’est pour cela que le libéralisme ne peut prospérer que durant les périodes de calme et plus précisément de relative paix. Il n’est pas possible de voir le monde en deux couleurs lors de temps de guerre, il s’agit de tout prudemment nuancer et mesurer puisqu’il n’existe pas de bien, ni de mal, et qu’en temps de guerre il n’est pas possible de prendre uniquement des décisions pleines de bonté. Ainsi puisqu’ont été commis des « actes de guerres » par l’État Islamique, dénoncés par François Hollande en 2015, au lendemain des attentats, il n’est pas possible pour l’État de continuer à maintenir un libéralisme total, qui signifierait une totale liberté des individus, il lui faut prendre des mesures concernant la protection de notre sécurité.
« Ma liberté s’arrête où commence celle d’autrui ». Jean-Marc Sauvé, viceprésident du Conseil d’État, affirmait que l’état d’urgence « ne peut être renouvelé indéfiniment » du fait de son régime dérogatoire. C’est pour cela qu’il est nécessaire de le faire entrer dans le droit commun sous l’égide de la loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme. Cette loi, du fait d’avoir été pensée non comme un droit d’exception mais un droit commun, est bien plus adaptée que le fait de proroger tous les six mois l’état d’urgence. Elle est plus stable, et ses conséquences sont plus certaines que celles de ce dernier. Elle a pour but de mieux se protéger de la menace terroriste en créant dans le droit commun une situation permanente de sécurité. Dans cette loi il est en effet nécessaire de sécuriser des lieux ou des évènements étant le théâtre de troubles à l’ordre public, étant liés au terrorisme. Il ne peut y avoir de liberté d’aller et venir pour les individus, non pas que cet empêchement au droit d’aller et venir provienne de l’État, mais plutôt lorsque cette liberté, accordée trop amplement à des personnes dangereuses et ayant pour intention de nuire, prive les tiers de leur liberté. Ainsi, le fameux adage provenant de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen « Ma liberté s’arrête où commence celle d’autrui », n’est que trop vrai. Lorsque des individus décident que leurs libertés n’ont pas de frontière, celles des autres en pâtit.

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