RÉSULTATS ET MISE EN PERSPECTIVE THÉORIQUE
Les résultats obtenus nous permettent dorénavant de répondre aux neuf sous-questions de recherche qui ont guidé notre étude s’intéressant aux impacts éventuels d’une ou plusieurs agression(s) sexuelle(s) vécue(s) à tout âge sur le désir sexuel, celles-ci seront présentées une à une.
Analyses en fonction des caractéristiques des individus Les résultats de notre première question (Q1 : Le fait d’avoir été victime d’une ou plusieurs agression(s) sexuelle(s) influe-t-il sur le désir sexuel ?) confirme que le groupe des victimes présente un niveau de désir sexuel plus bas que celui des non-victimes. Cela est en adéquation partielle avec différentes publications, comme Meston & Heiman (2000) ou Gewirtz-Meydan & Lahav (2020a, 2020b) dont les études sur les enfants abusés sexuellement ont démontré une baisse du désir sexuel à l’âge adulte. La littérature explore très largement les abus sexuels dans l’enfance et leurs conséquences, ici notre échantillon étant composé d’individus ayant été agressé à tout âge il est dès lors inopportun d’opérer des comparaisons adéquates. Concernant le genre et son influence sur d’éventuelles fluctuations du désir sexuel (Q2), notre étude montre que les hommes victimes d’agression(s) sexuelle(s) dans leur vie (majorité d’abus sexuels à l’âge adulte (ASA) mais présence également d’abus sexuels dans l’enfance (ASE)) présentent un niveau à l’EDS qui est significativement plus élevé que celui des hommes non-victimes. Cela a également été constaté dans l’étude de Najman et al. (2005), sur les dysfonctionnements sexuels dus à des ASE qui avait identifié l’hypersexualité uniquement pour l’échantillon des hommes.
Une étude de Meyer et al. (2017) trouve, quant à elle, des comportements d’hypersexualité chez les deux genres, même s’ils sont plus nombreux chez les hommes. Cette étude ne concorde donc pas avec nos résultats se rapportant aux femmes puisque celles-ci ne montrent pas de libido plus élevée. Qui plus est, le niveau d’EDS des femmes, victimes ou non-victimes, se trouve systématiquement en dessous de celui des hommes, excepté pour le plus haut score de tout l’échantillon qui est celui d’une femme victime. Il est intéressant de préciser aussi que le score le plus bas est également celui d’une femme victime. Les données concernant les femmes nous ont d’ailleurs étonnés. En effet, même si la moyenne de l’EDS des femmes victimes est plus basse que celle des non-victimes, il n’y a pas de différence significative statistiquement parlant entre le désir sexuel des deux groupes. Bien que l’étude de Meston et al. (2006) sur 48 femmes ayant des antécédents d’ASE montre qu’elles n’ont pas moins de désir sexuel que les 71 femmes sans antécédents d’ASE, nous nous attendions à ce que les femmes victimes dans notre étude (ASA et ASE) présentent tout de même un résultat nettement plus bas.
L’hypo sexualité étant un symptôme fréquent chez les femmes survivantes d’ASE comme l’explique Whol & Kirschen (2018) dans leur étude sur les différentes stratégies visant à aider les rescapées d’ASE à améliorer leur sexualité. L’orientation sexuelle (Q3) n’influence le niveau de désir sexuel ni pour les victimes, ni pour les non-victimes. L’analyse a été réalisée avec et sans l’échantillon des hommes et des « autres », les test ne présentent de résultats significatifs dans aucun cas. La littérature n’étant pas très explicite quant au rôle de l’orientation sexuelle sur les conséquences d’une agression sexuelle (Sigurvinsdottir & Ullman, 2015), nous n’avions pas d’attente particulière concernant le rôle de l’orientation sexuelle sur d’éventuels trouble du désir sexuel comme symptôme d’une agression. Cependant, notre échantillon est composé majoritairement de victimes hétérosexuelles. Or, malgré certaines études contradictoires (Hughes et al., 2010 ; Long et al., 2007), la littérature s’accorde pour dire que les homosexuels et les bisexuels, hommes et femmes, présentent des taux de victimisation sexuelle plus élevés que les individus hétérosexuels (Drabble et al., 2013 ; Johnson et al., 2016 ; Sigurvinsdottir & Ullman, 2015). Une explication serait alors que notre échantillon est sous-représenté au niveau des victimes du groupe des minorités sexuelles, en particulier pour les victimes homosexuelles qui ne sont qu’au nombre de huit. L’une des difficulté concernant cette troisième sous-question de recherche, est qu’il y a relativement peu d’homosexuels dans notre échantillon, et encore moins dans celui des victimes. Par conséquent, il se peut que les chiffres soient insuffisants pour détecter une différence même si, au regard des moyennes, elle semble exister.
Analyses en fonction des caractéristiques de la ou les agression(s) Les différentes tranches d’âge (Q4) lors de la perpétration de la première agression sexuelle (0- 6, 6-12, 12-18, 18-25) n’ont illustré aucune différence significative entre elles quant au niveau de l’EDS. Cependant, lorsque nous observons les moyennes, nous constatons tout de même que la tranche d’âge des 0-6 ans montre le niveau le plus bas. Plusieurs études ont conclus que les agressions sexuelles vécues par des individus pendant l’enfance, l’adolescence ou à l’âge adulte provoquent des dysfonctionnements sexuels, dont une hypersexualité – majoritairement pour les hommes – ou une hyposexualité – majoritairement pour les femmes – (Elliott et al., 2004 ; Meyer et al., 2017 ; Najman et al., 2005 ; Peterson et al., 2019 ; Roller et al., 2009). En ce qui concerne exclusivement les femmes survivantes d’ASE, à l’inverse, des recherches n’ont trouvé aucune différence entre des groupes avec des antécédents des groupes sans antécédents (Brotto & Basson, 2014 ; Meston et al., 2006). On remarque aussi que notre échantillon présente plus de cas dans les tranches d’âge inférieures à la majorité (environ 68% des victimes) que certaines études comme celle de Moreno (2013) qui comptait 55% de victimes majeures au moments des faits. Les résultats de la cinquième question (Q5) n’ont démontré aucune différence significative entre le désir sexuel des participants ayant été victimes d’un viol et ceux ayant été victimes uniquement d’un attentat à la pudeur.
Tout comme pour l’orientation sexuelle, les tests ont été faits avec et sans l’échantillon des hommes et des « autres », aucun ne montre de résultats significatifs. Najman et al., (2005) via des questions sur le plaisir, le désir, l’orgasme et la douleur (regroupés sous l’appellation dysfonctionnements sexuels (DS)) ont démontré que les hommes ayant vécu des ASE sans pénétration présentaient des taux moindres de DS, la seule association significative concernant les hommes est pour les ASE impliquant du sexe oral, les hommes ayant vécu une ASE orale sont plus susceptibles de montrer des symptômes de DS à un âge avancé. Les femmes survivantes d’ASE sans pénétration sont donc nettement plus nombreuses à présenter des symptômes de DS et la différence est encore plus apparente lorsque l’on regarde les ASE avec pénétration. Notre échantillon des hommes victimes est insuffisants pour permettre de constater d’éventuelles différences et bien que la moyenne des participants ayant vécu des AS sans pénétration est légèrement plus haute que ceux ayant vécu des AS avec pénétration, il n’y a pas de différence significative. Les analyses exécutées sur la variable -nombre d’agressions- (Q6) nous ont poussés à présenter les résultats sur un échantillon exclusivement féminin.
En effet, nous pouvons constater qu’il y a une différence significative en fonction du nombre d’agressions. Les résultats exposent que les femmes ayant subi deux agressions sexuelles (AS) présentent le niveau le plus bas de désir sexuel, suivi par celle ayant vécu une seule agression. Les répondantes ayant indiqué avoir vécu plus de deux AS ont des niveaux de désir sexuel plus élevés que celles des groupes 1AS et 2AS. Nos résultats sont donc en contradiction avec l’étude de Loeb et al., (2002) dont l’échantillon de femmes victimes de plus de cinq évènements d’ASE présente une hyposexualité. Au regard de la moyenne des femmes non-victimes, nous pouvons en conclure que bien que la moyenne des femmes victimes de plus de deux AS est plus basse que celle de n’importe quel échantillon des hommes, il ne s’agit pas d’une hyposexualité. Tout comme pour la question 6, nous présentons les résultats de la question sur le lien avec l’agresseur (Q7) sur un échantillon exclusivement féminin. Il existe effectivement un lien entre les rapports entretenus avec l’agresseur et le niveau de désir sexuel. C’est donc lorsque que l’agression est perpétrée par un membre de la famille que le niveau de désir sexuel se trouve le plus bas.
On observe également une différence de 7,94 points entre les moyennes des groupes 6 (participants ayant coché plusieurs cases dont famille et/ ou partenaire ) et 7 (participants ayant coché plusieurs cases mais sans famille et partenaire). L’étude de Ullman (2007) sur le rôle de la relation victime-auteur sur un échantillon d’étudiantes universitaires survivantes d’ASE a réparti les abus en trois types ; par un inconnu, par une connaissance et par un parent. Les résultats ont montré que les abus réalisés par un parent sont plus graves, interviennent plus tôt, et durent plus longtemps que les AS perpétrées par une connaissance ou un inconnu. L’étude a aussi démontré que les ASE par un parent provoque significativement beaucoup plus de troubles de stress post-traumatique (TSPT). Le TSPT pouvant provoquer une baisse du désir sexuel selon Bornefeld-Ettmann et al. (cité par Denis et al., 2020) nous estimons que nos résultats se rapprochent d’une certaine façon de l’étude de Ullman (2007).
CONCLUSION
L’objectif final de cette étude était d’investiguer l’impact éventuel d’une ou plusieurs agression(s) sexuelle(s) vécue(s) pendant l’enfance, l’adolescence ou à l’âge adulte au sein d’une population d’étudiants belges et français du supérieur. La littérature à ce sujet présente énormément de disparités. Notre étude ayant un échantillon de femmes et d’hommes victimes à tout âge d’agression sexuelle, il est difficile de faire des analogies avec la littérature car celle-ci se concentre souvent sur un des deux genres ou sur uniquement les agressions sexuelles pendant l’enfance. De plus, peu d’études abordent directement le désir sexuel en lui-même. Beaucoup parlent plus largement du dysfonctionnement sexuel qui comprend donc les troubles du désir sexuel, l’hyposexualité ou l’hypersexualité, mais cela n’est pas toujours précisé. De nos résultats, il ressort que le groupe des victimes dans son intégralité présente un niveau de désir sexuel significativement plus bas que celui des non-victimes. Cependant, lorsque l’on se penche sur le cas des hommes uniquement, on remarque que les hommes ayant des antécédents d’abus sexuels ont un niveau de désir sexuel nettement plus élevé que ceux n’ayant jamais été victime de violence sexuelle. Bien que l’échantillon des hommes victimes soit réduit, ces résultats restent très intéressants au regard de la littérature (Peterson at al., 2019). Les femmes, quant à elles, ne montrent aucune différence significative entre les moyennes de niveau de désir sexuel des victimes et des non-victimes.
Les résultats de la Q1 sur l’échantillon total des victimes et non-victimes, hommes et femmes, peuvent s’expliquer par un effet de la taille de l’échantillon et des moyennes, les femmes ayant généralement un niveau de désir sexuel plus bas que les hommes (Carvalho & Nobre, 2011 ; Levaque et al., 2016). Il n’existe pas non plus de lien entre l’orientation sexuelle et le désir sexuel dans le cas de personnes ayant été agressées sexuellement. Lorsque nous avons réalisé les analyses, nous avons exécuté les tests pour l’échantillon des victimes et celui des non-victimes et bien que les résultats concernant les non-victimes se rapprochent d’une différence significative ce ne fut pas le cas. En effet, les homosexuels montrent un niveau à l’EDS plus élevé que les autres, il en va d’ailleurs de même pour les homosexuels victimes. Néanmoins, les répondants homosexuels étant en nombre réduit, il se peut qu’un effet existe mais n’ait pas été statistiquement significatif à cause de l’effectif trop bas. Les variables se rapportant aux caractéristiques des agressions sexuelles en elles-mêmes n’ont montré aucun lien significatif, à l’exception de deux d’entre elles qui ne concernent d’ailleurs que l’échantillon exclusivement féminin.
La variable du nombre d’agressions vécues montre en effet que les femmes ayant subi deux agressions sexuelles dans leur vie ont le moins de désir sexuel, suivies de près par celles ayant indiqué avoir vécu un seul abus. Ensuite, la variable du lien avec l’agresseur présente également des résultats significatifs. Tout comme dans la littérature (Ullman, 2007), les femmes les plus impactées sont celles qui ont été abusées par un membre de leur famille. Nous avons également constaté que lorsqu’une femme indique avoir été la victime d’un membre de sa famille, dans de nombreux cas elle l’a aussi été par d’autres catégories de personnes et, le plus souvent, par le partenaire. C’est d’ailleurs le sixième groupe (plusieurs catégories dont famille et/ou partenaire) qui présente la deuxième moyenne la plus basse. Bien que ce travail de fin d’étude apporte des éléments intéressants, aussi bien dans ses résultats significatifs que dans ceux qui ne le sont pas, certaines questions demeurent en suspens. Des recherches abordant le désir sexuel en association avec d’autres éléments permettrait de compléter cette étude qui offre de multiples perspectives futures.
Remerciements |