Le Code pénal distingue deux types d’infraction : « la corruption de personnes qui exercent une fonction publique » (ou corruption publique) (art. 246 à 253 C. pén.) et « la corruption privée » (art. 504bis et 504ter C. pén.). Ces deux infractions se subdivisent en corruptions « active » et « passive ».
La corruption active est l’action de celui qui propose ou octroie, c’est-à-dire du corrupteur. Dans le cas de la corruption passive, en revanche, l’on se positionne dans le chef du corrompu, c’est-à-dire celui qui sollicite, accepte ou reçoit. Ces dénominations sont trompeuses puisqu’elles laissent à penser que le corrompu est dans une position secondaire, d’attente, alors qu’il n’en est rien.
La jonction des corruptions active et passive scelle le « pacte de corruption ». Depuis la loi du 10 février 1999 relative à la répression de la corruption, l’absence de pacte de corruption n’empêche pas l’incrimination ; celui-ci ne joue plus un rôle qu’au niveau des circonstances aggravantes . Puisque le présent travail consiste à déterminer les conséquences pénales et fiscales de l’accomplissement d’une corruption active par une entreprise belge, la corruption passive ne sera pas analysée. Ce Titre I se concentre sur les conséquences pénales. Avant de présenter la manière dont la corruption active est incriminée par le Code pénal, définissons d’abord ce concept, en distinguant selon que le corrompu est un agent public ou une personne privée.
La corruption publique active
Définition
L’infraction de corruption publique est présente dès 1867 dans notre Code pénal. Elle figure aux articles 246 et suiv. Ceux-ci ont été modifiés en profondeur par la loi du 10 février 1999 relative à la répression de la corruption. La corruption publique active est aujourd’hui définie de la manière suivante à l’article 246, par. 2 du Code pénal : « Est constitutif de corruption active le fait de proposer, directement ou par interposition de personnes, à une personne exerçant une fonction publique une offre, une promesse ou un avantage de toute nature, pour elle-même ou pour un tiers, afin qu’elle adopte un des comportements visés à l’article 247. ».
Analysons plus en détail cette définition.
Qualité de corrupteur
L’article 246, par. 2 du Code pénal ne s’intéresse pas à la personne du corrupteur. Celui-ci peut aussi bien être une personne privée qu’une personne publique. Il peut également être une personne physique ou une personne morale depuis l’introduction, par la loi du 4 mai 1999, d’une responsabilité pénale des personnes morales. Nous y reviendrons.
Qualité de corrompu
Le corrompu, lui, est nécessairement une personne physique. Il doit être une « personne exerçant une fonction publique ». On peut lire, dans les travaux parlementaires, que « cette notion couvre toutes les catégories de personnes qui, quel que soit leur statut (…) exercent une fonction publique, quelle qu’elle soit. » . C’est donc bien la fonction exercée par la personne concernée qui doit revêtir un caractère public ; peu importe le statut de cette personne. La Cour de cassation a confirmé cette approche fonctionnelle dans un arrêt du 27 janvier 2016 (« Ce n’est (…) pas le statut de cette personne qui (…) est déterminant, mais la fonction qu’elle exerce et qui doit avoir elle-même un caractère public. » ). Selon le Professeur D. FLORE, le terme « fonction » doit être interprété dans son sens commun, c’est-à-dire comme « l’exercice d’un emploi, d’une charge ; par extension : ce que doit accomplir une personne pour jouer son rôle dans la société, dans un groupe social » .
Notons que le champ des personnes susceptibles de revêtir la qualité de corrompu peut être étendu suivant une hypothèse émise par le Professeur F. DERUYCK : selon lui, il résulte de l’évolution des textes légaux qu’il importe peu qu’une personne n’exerce pas directement la fonction publique, mais qu’il suffit qu’elle se contente d’y participer (tel un commis, un préposé) . Par ailleurs, la loi assimile à une « personne exerçant une fonction publique », les catégories de personnes énumérées à l’article 246, par. 3 du Code pénal (par exemple, le candidat à une fonction publique). Sont, en outre, assimilées à une « personne exerçant une fonction publique en Belgique », les personnes exerçant une telle fonction dans un État étranger ou au sein d’une organisation de droit international public (art. 250 C. pén.).
Les actes déclencheurs d’une corruption active
L’article 246, par. 2 du Code pénal ne vise expressément, comme acte déclencheur d’une corruption active, que la proposition d’une offre, d’une promesse ou d’un avantage de toute nature. L’article 3 de la loi du 11 mai 2007 adaptant la législation en matière de la lutte contre la corruption, interprète cette disposition comme devant également comprendre l’octroi immédiat d’avantages, sans qu’il y ait eu proposition ou promesse au préalable. La proposition ou l’octroi de l’avantage peut être direct ou indirect : l’acte peut être effectué par le corrupteur lui-même ou via l’interposition d’un tiers. Selon les cas, le tiers intervenant sera considéré comme coauteur ou complice de l’infraction, à moins qu’il parvienne à faire état de sa bonne foi. Dans tous les cas, l’élément déterminant est l’intention de corrompre. La proposition ou l’octroi sont des actes unilatéraux et la preuve de l’existence d’un de ces actes suffit pour qu’il y ait incrimination. L’absence d’une rencontre de volontés entre le corrupteur et le corrompu, c’est-à-dire d’un « pacte de corruption », n’empêche pas cette incrimination (c’était une des volontés du législateur en 1999). La corruption active est une infraction instantanée, distincte de celle de corruption passive : la personne qui propose ou octroie l’avantage, commet l’infraction par ce seul fait, peu importe qu’elle revienne ultérieurement sur sa proposition ou que le destinataire des récompenses ignore ses sollicitations. Dès lors, et à juste titre, le législateur n’a jamais trouvé utile de réprimer la tentative de corruption.
Les moyens à la corruption
Les moyens dont le corrupteur dispose pour parvenir à ses fins, sont énumérés largement : il peut s’agir d’une offre, d’une promesse ou d’un avantage de toute nature. Sont couverts tant les avantages de nature patrimoniale que non patrimoniale . Le législateur ne fixe aucun seuil en-deçà duquel des « cadeaux » pourraient être considérés comme « acceptables ». L’avantage ne doit pas nécessairement profiter au corrompu lui-même, mais peut également profiter à un tiers.
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