Les conséquences des décisions, préférences et stratégies d’équarrissage sur les indicateurs environnementaux et économiques

Les conséquences de contextes d’équarrissage sur les indicateurs

La mise à disposition de ressources pour les vautours ne dépend pas exclusivement des choix d’équarrissage des éleveurs. Par exemple, si la législation française impose aujourd’hui aux entreprises d’équarrissage de répondre à toutes les demandes des éleveurs, elle ne les invite pas pour autant à privilégier l’équarrissage naturel par des mesures facilitatrices. Rappelons que ce sont le réseau associatif (LPO) et les gestionnaires d’espaces protégés (PNC) qui furent les initiateurs de collectes de carcasses à destination de charniers et de la création de la placette individuelle d’alimentation (cf Chapitre II point 1.5). Un autre exemple est celui de la décision européenne visant à éliminer les EST (2003/322/CE). Elle a eu une incidence de première importance puisque le seul système d’équarrissage envisageable était la collecte par une entreprise – l’utilisation des charniers et des placettes était devenue une démarche contraignante et longue (cf Chapitre II point 2.5). Un deuxième exemple sur la réglementation est celui des contrôles par les services déconcentrés de l’état. Les éleveurs utilisent souvent une placette officieuse, ce qui vaut à certains d’être poursuivis pénalement (cf Chapitre III points 2.3 et 3.6). Si le contrôle systématique des pratiques d’équarrissage des éleveurs est peu probable, il n’en demeure pas moins que les procès intentés peuvent être un moyen coercitif utilisé par les autorités sanitaires pour mettre fin aux dépôts illégaux. Par conséquent, la possibilité d’avoir recours à ces dispositifs dépend en grande partie des réglementations et des politiques de la conservation. Ainsi, des conséquences environnementales et économiques résultent des choix des éleveurs aux prises avec ces contraintes ou opportunités. Dans cette partie, nous chercherons à évaluer les conséquences des décisions en matière d’équarrissage sur l’effectif de vautours, l’efficacité d’élimination des carcasses, l’adéquation des dispositifs proposés avec les préférences des éleveurs, les émissions de carbone et enfin les coûts monétaires des collectes.

Les profils et pratiques d’équarrissage des éleveurs

Les entretiens ethnologiques menés auprès des éleveurs révèlent la multiplicité et les raisons de leurs logiques d’actions. Celles-ci permettent de présumer le choix probable d’un dispositif d’équarrissage retenu par un éleveur selon le contexte. A partir d’un large éventail de pratiques existantes, des profils types représentant ont été constitués.
Dans un premier temps, une typologie a été créée de manière théorique, sur la base de préférences exprimées par les éleveurs. Les préférences peuvent porter sur le destinataire final des carcasses, à savoir les vautours ou l’entreprise d’équarrissage, que nous appellerons « finalité ». Leurs préférences peuvent également porter sur le moyen d’élimination des carcasses, c’est-à-dire par les vautours ou par une collecte par des humains, que nous appellerons « moyen ». Théoriquement, un profil peut avoir une préférence sur l’une ou l’autre des modalités (finalité et moyen). Si certains profils peuvent être attachés à la destination des carcasses, ils peuvent se révéler indifférents au moyen utilisé ou inversement.
Un profil peut avoir une préférence sur les deux modalités, par exemple s’il veut que les carcasses parviennent uniquement aux vautours par le seul moyen d’une placette. Enfin, il peut être indifférent aux deux modalités.
Par ailleurs, différents degrés d’attachement à la préférence sur les deux modalités ont été intégrés en introduisant une forme dérivée « des principes de plaisir et de réalité ». Les principes de plaisir et de réalité ont été élaborés par Freud dans sa théorie de l’appareil psychique. Le principe de plaisir est caractérisé par des valeurs instinctives (satisfaction immédiate, plaisir, consommation). Le principe de réalité émerge et se développe lorsque la satisfaction du plaisir est contrainte par le contexte environnemental et social. Il s’agit dans ce cas de distinguer un choix considéré comme idéal et des options secondaires, envisageables « par défaut », par nécessité de s’adapter au contexte. Par exemple si un éleveur d’un certain profil souhaite que les carcasses profitent aux vautours (finalité idéale) et préfère le système de placette (moyen idéal) mais qu’il n’a pas la possibilité légale de l’utiliser, il peut envisager d’utiliser la collecte par les gestionnaires (moyen résultant). Etant donné que trois systèmes d’équarrissage peuvent permettre l’enlèvement des carcasses, il y a deux options possibles en plus du moyen idéal.
Cette construction théorique permet d’élaborer une grille intégrant 80 profils potentiels (Tableau 6.1).
Dans un second temps, ces profils théoriques ont été examinés afin de sélectionner ceux qui correspondent à des logiques observées sur le terrain français. Les cas incohérents tels qu’un profil qui a pour idéal de finalité « usine » et idéal de moyen « placette » ont été écartés. La confrontation des 35 profils théoriques restants avec les logiques d’actions repérées sur le terrain ont abouti à la validation de 16 profils. Néanmoins, pour rester fidèle à la réalité de terrain, l’un des profils théoriques correspond à deux logiques d’action, tandis que deux profils correspondent à une même logique d’action. Les données de terrain ont permis d’affiner les pratiques potentielles par profil : si l’éleveur utilise plusieurs moyens d’équarrissage dans un même contexte, et enfin s’il peut être prêt à officialiser sa placette d’alimentation dans le cas où la placette est envisagée comme moyen d’équarrissage.

Les pratiques d’équarrissage selon les contextes

Cette étape méthodologique consiste à prévoir les réponses des éleveurs, en termes de pratiques, aux différents contextes d’équarrissage : il s’agit de recouper les logiques d’action définies précédemment avec les 14 scénarios définis au point 1.1.1.
Certains contextes prescrivent l’utilisation d’un ou deux système(s) d’équarrissage.
Parmi les logiques d’action définies, certaines peuvent s’avérer incompatibles avec certains contextes. Dans le cas où le contexte d’équarrissage ne permet pas à un éleveur d’avoir recours aux dispositifs dont il envisage l’utilisation, nous considérons qu’il élimine les carcasses par ses propres moyens. Insatisfait des systèmes d’équarrissage existants, l’éleveur les abandonne, les incinère ou les enterre. Ces carcasses sont considérées dans le modèle comme « détruites » et font l’objet d’un nouvel indicateur.
Ainsi les quatre possibilités d’équarrissage sont: i) le dépôt sur une placette à destination des vautours, ii) le recours à une collecte organisée par les gestionnaires qui alimentent les charniers à destination des vautours, iii) le recours à une collecte réalisée par une entreprise d’équarrissage et iv) la destruction des carcasses par l’éleveur lui même. Les pratiques de chacune des logiques ont été établies selon chaque scénario de contexte (Tableau 6.2). Cette opération a été faite une première fois en incluant la possibilité d’utiliser la placette officieuse (Tableau 6.2A), et une seconde fois en supprimant cette possibilité (Tableau 6.2B) afin de réaliser deux séries de simulations. La première série est constituée par les sept scénarios de contexte pour lesquels la pression de contrôle à propos des pratiques illégales est faible. La deuxième série est constituée par les sept scénarios de contextes, associés à une pression de contrôle forte, visant à supprimer toute pratique illégale.

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La constitution de populations d’éleveurs

Après avoir défini les scénarios de contexte, les possibles logiques d’actions des éleveurs, et les pratiques d’équarrissage selon les logiques et les contextes, nous avons constitué des populations d’éleveurs. Ces populations sont composées d’éleveurs suivant différentes logiques d’action, en vue d’obtenir des résultats sur différents indicateurs liés à l’équarrissage, en tenant compte de la diversité des pratiques d’équarrissage. Les populations constituées sont composées de 500 éleveurs.
En considérant que la majorité des éleveurs sont susceptibles d’envisager l’utilisation de plusieurs dispositifs d’équarrissage, on peut faire l’hypothèse que les logiques d’action menant à l’utilisation exclusive d’un dispositif sont rares.
Aussi, une composition de population dite « standard » a été constituée comme suit : 50% des éleveurs envisagent l’utilisation des trois dispositifs de (faire appel à une entreprise, aux gestionnaires ou l’utilisation d’une placette), 40% d’éleveurs consentent à l’utilisation de deux dispositifs, et 10% d’éleveurs ne souhaitent utiliser qu’un unique moyen d’équarrissage.
Plusieurs logiques d’actions identifiées rentrent dans chacune de ces catégories. Au sein de chaque catégorie, les logiques d’actions correspondantes ont une équiprobabilité d’être représentées.
La population ainsi définie, comportant une variété de logiques d’actions, est conservée en condition initiale pour chaque scénario de contexte. Autrement dit, les résultats du modèle (les conséquences des pratiques d’équarrissage) proviennent des réponses d’une même population d’éleveurs aux différents contextes.
Les simulations basées sur cette population d’éleveurs ont été réalisées pour les quatorze scénarios de contexte, c’est-à-dire avec la possibilité d’utiliser la placette officieuse puis sans cette possibilité.
Un autre type de composition de population d’éleveurs a été testé. Des simulations ont été réalisées avec des compositions aléatoires : à chaque initialisation du modèle, les profils représentant les logiques d’actions sont tirés aléatoirement pour constituer la population. Nous parlerons de « la composition aléatoire » de population d’éleveurs. Elle représente une référence par rapport à la composition standard, dans la mesure où nous ne faisons pas d’hypothèses sur la fréquence des logiques d’action représentées. Les simulations basées sur cette population d’éleveurs ont été réalisées pour les sept scénarios de contexte pour lesquels l’utilisation de placette officieuse est possible.
Les valeurs des paramètres et un récapitulatif des scénarios sont présentés dans le livret des simulations (Tableaux 7 et 8).

L’effectif de vautours

La population de vautours se maintient dans tous les scénarios (Fig. 6.1). L’effectif minimum obtenu, de 37 (±7) individus, l’est avec le scénario pour lequel le seul système réglementaire est la collecte par une entreprise d’équarrissage (scénario E). La population de vautours atteint les effectifs les plus élevés pour le scénario dans lequel seule la collecte par les gestionnaires est représentée (scénario G) et le scénario où cette collecte est accompagnée de la possibilité d’utiliser une placette (scénario PG), avec respectivement 559 (±52) et 562 (±50) individus. Dans le scénario pour lequel seules les placettes sont utilisables (scénario P), l’effectif est moins important, avec 415 (±35) individus. Le même ordre de grandeur est conservé entre les scénarios où tous les systèmes sont mobilisables (scénario PGE) et celui où les deux options pour l’équarrissage sont les collectes (scénario GE), avec respectivement 372 (±33) et 386 (±35) individus. Enfin, dans le cas où la placette et la collecte de l’entreprise d’équarrissage sont les options (scénario PE), elle compte 240 (±21) individus.
En comparant avec la composition aléatoire de la population d’éleveurs, on remarque que la composition standard génère toujours un effectif de vautours en moyenne plus important, excepté dans le scénario où seule la collecte par une entreprise est possible (scénario E) (Fig. 6.1). Dans ce cas, l’effectif est inférieur de 57%. Dans les autres cas, l’écart varie entre +0,15% et +18,5%. L’écart minimal est obtenu pour la situation où les dispositifs d’équarrissage sont la placette et la collecte par l’entreprise d’équarrissage (scénario PE). Onrencontre l’écart maximal dans le scénario où seule la placette est représentée (scénario E).

Les coûts des collectes

Sachant qu’il n’y a pas de collectes dans le scénario P, cet indicateur est nul (Fig. 6.5).
Les coûts des collectes sont les plus élevés pour le scénario GE avec un total de 117 085 (±10 885) € par an. Ils sont légèrement moindres pour les scénarios G, E et PGE, autour de 100 K€, et plus nettement inférieurs avec les scénarios PG et PE, soit 86 709 (±7 922) € et 74 609 (±6 592) €. Dans deux scénarios, des collectes sont réalisées à la fois par une entreprise et par les gestionnaires. Dans le scénario PGE, la répartition des coûts est telle que 47% concernent la collecte de l’entreprise d’équarrissage et 53% celle du gestionnaire. Dans le scénario GE, les coûts sont à hauteur de 41% du coût total pour l’entreprise, et à hauteur de 59% du coût total pour les gestionnaires).
Comme pour les indicateurs précédents, les coûts des collectes sont plus importants avec la composition standard, et ce pour tous les scénarios (sauf pour P où ils sont nuls) (Fig. 30). La différence minimale est obtenue pour le scénario PGE (+4%), et la différence maximale pour les scénarios PG et G (+22%). Elle est intermédiaire pour les autres (PE, GE, et E). Pour les scénarios où l’entreprise d’équarrissage et le gestionnaire sont présents, les coûts sont plus importants pour les seconds.

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