Les conséquences de la privatisation des services publics sur l’organisation de la fonction publique
La croissance de l’intervention publique notamment via les mesures de nationalisation dans les années d’après-guerre a eu pour conséquence, dans les deux pays, de développer un État employeur public. En Chine, le développement de l’État employeur, en absorbant toutes les activités professionnelles de la société, avait atteint son paroxysme. Cependant, il n’était pas moins évident qu’au sein de la masse d’employés de l’État, existait une distinction formelle entre les agents des établissements administratifs ou ceux affectés à une fonction de nature administrative, ceux attachés aux USP dont les activités sont liées à l’intérêt public, et les employés des entreprises nationales dédiées aux activités de nature purement industrielle ou commerciale220. Ces trois catégories d’employés de l’État étaient répartis en fonction de la nature de l’établissement auquel ils appartenaient et de ses activités. Mais tous les établissements étaient considérés comme des organes de l’État, par le biais desquels celui-ci réalisait ses diverses missions administratives, sociales et économiques. Or la réforme économique, déclenchée à partir des années 1980, a eu pour effet de changer le rôle de l’État au sein de la société. Comme on l’a vu au chapitre précédent, la redéfinition de ses missions s’accompagne d’une vague de privatisations tant au niveau social qu’au niveau juridique. En effet, la construction même d’un droit civil, appliqué notamment dans le monde des rapports économiques et commerciaux où se trouvent les nombreuses entreprises nationales, soumet une partie considérable des actions de l’État aux règles de la concurrence. Les employés des entreprises nationales, naguère organiquement confondus avec les agents publics de l’État, sont désormais soumis au régime du droit du travail, tandis que les agents publics (dont la composition est fort hétérogène) sont régis par le statut des agents publics de l’État (règlement provisoire sur les agents publics de l’État en 1993 puis loi sur les agents publics en 2005) et par des règles analogues (pour les agents des USP).
Cette situation correspond schématiquement à celle de la composition du personnel dusecteur public en France où les agents de droit public et les salariés de droit privé sont recrutés par l’État employeur pour accomplir des missions de nature différente. Ils sont ainsi répartis entre les établissements publics à caractère administratif, les établissements publics à caractère industriel et commercial censés réaliser des missions d’intérêt général sans avoir recours aux prérogatives de lapuissance publique, et les sociétés publiques homologues des commerçants du monde de la concurrence. Ces deux derniers, entités économiques du secteur public marchand, sont qualifiés d’entreprises publiques. À ce titre, il serait tentant de supposer que les agents publics et notamment les fonctionnaires sont recrutés par les établissements publics à caractère administratif pour y accomplir des missions de nature administrative et que les agents et salariés de droit privé sont employés par les entreprises publiques pour y accomplir des missions, liées ou non à l’intérêt public, mais surtout de nature industrielle et commerciale.
Toutefois, comme nous l’avons montré dans le chapitre précédent, cette présomption de concordance organique et matérielle est désavouée par la réalité selon laquelle la nature de l’établissement ne correspond pas toujours à celle des missions qu’il assure. Par ailleurs, même si c’était le cas, un agent peut être affecté à des missions de nature différente de celles de l’établissement. Les mesures de privatisation des services publics ont souvent pour objectif de raccorder la nature de l’établissement aux missions qu’il assure. Cette opération peut avoir des impacts considérables sur le lien entre la qualité organique de l’établissement et le régime du personnel. Dans le processus de transformation d’un établissement public à caractère administratif en établissement public à caractère marchand ou (en Chine)/puis (en France) en société commerciale, se posent inévitablement les questions liées au transfert du personnel public de l’ancien établissement au nouvel établissement ou à la nouvelle société (section 1) ; la conservation d’agents publics après la transformation a pour conséquence de remettre en cause le critère organique quant à l’application du droit de la fonction publique (section 2).En Chine, le détachement des activités marchandes de l’administration par le biais de la privatisation a eu pour effet d’évacuer des administrations de l’État un nombre important d’agents publics. Le phénomène chinois coïncide avec le mouvement français résultant d’une crise concomitante du service public et de la fonction publique. Il s’agit d’un « contexte de réduction des effectifs » où les agents publics sont « les sujets plutôt que les acteurs »221 des réformes. Il est aisé d’observer un flux des personnels publics vers le monde du droit privé. Ce flux est composé, d’une part, par le transfert de personnels publics d’établissements administratifs à des établissements gestionnaires de services publics à caractère marchand (I) et, d’autre part, par le transfert de personnels affectés à des missions de service public à des sociétés commerciales (II).