Le concept de gouvernance : d’un concept non associatif à une appropriation associative
Avant de croiser le concept de gouvernance avec celui de participation, il convient en premier lieu de définir ce que l’on entend par « gouvernance ». L’origine du concept de gouvernance est double, se situant à la fois dans le secteur privé lucratif et dans le secteur public. Ce terme a d’abord un ancrage privé, mis en évidence en 1932 par un ouvrage de Berle et Means. Dans un contexte d’asymétrie d’information entre les actionnaires et les dirigeants salariés dans les grandes entreprises américaines, la gouvernance apparaît comme l’organisation d’un dispositif permettant une régulation et un contre-pouvoir interne vis-à-vis des dirigeants salariés, un contrôle de ces derniers par les actionnaires et la mise en place de garde-fous, via des instances, procédures et systèmes de déontologie, mais également via le développement des audits et recueils de bonnes pratiques. Ainsi, la gouvernance apparaît, selon la formule de Roland Pérez, comme « le management du management ». Au-delà de la gouvernance d’entreprise, l’ancrage public de ce concept s’est affirmé dans les années 1980, à partir de recherches sur les institutions publiques.
Des questionnements sur les conditions d’efficacité des décisions politiques ont mené à l’étude de l’articulation de l’action publique à différentes échelles territoriales. Les notions de décentralisation ou encore le principe de subsidiarité en droit européen s’inscrivent dans cette analyse. La gouvernance territoriale devient un objet de réflexion et d’étude, ainsi que ses liens avec le concept de démocratie. A partir de ces deux champs de recherche différents, s’opère progressivement un glissement sémantique du mot « gouvernement » à celui de « gouvernance ». Le concept de gouvernance traduit la complexification des organisations, autant qu’il apporte une réponse à cette complexité, en éclairant l’articulation et les modalités d’interaction entre les divers acteurs impliqués dans la prise de décision, la façon dont s’opère le partage du pouvoir entre acteurs statutairement différents (Eynaud, 2015, 2018). Ainsi, la définition que nous retiendrons de la gouvernance met en évidence la question de la répartition du pouvoir au sein de l’organisation, car elle vise l’« ensemble des mécanismes organisationnels et institutionnels qui délimitent les pouvoirs des dirigeants et influencent leurs décisions » (Gérard Charreaux, 1997, 2006, cité dans Hoarau et Laville, 2013).
En outre, ce concept ayant une origine étrangère au secteur associatif, nous compléterons cette définition par une approche spécifique au secteur associatif. En ce sens, des auteurs ont envisagé la gouvernance comme « l’ensemble des mécanismes permettant un alignement du fonctionnement de l’organisation sur les objectifs et les valeurs du projet associatif », ou encore comme « l’ensembl des mécanismes permettant la mise en cohérence du fonctionnement de l’organisation avec le projet associatif » (Hoarau et Laville, 2013, p. 310 et 319). D’une part, il s’agira donc d’éclairer la répartition du pouvoir et l’organisation de la prise de décision au sein de l’association, notamment entre ce qu’on appelle communément la « gouvernance » et la « dirigeance » ; ces derniers termes étant entendus de manière plus restrictive, dans le champ des associations, comme renvoyant aux adhérents, dont les dirigeants « de droit », pour le premier terme, et les dirigeants salariés de l’association pour le second terme. D’autre part, grâce à une « conception élargie » de ce concept véhiculé par la seconde définition susvisée, la gouvernance nous permettra de s’interroger sur la répartition du pouvoir non seulement entre les dirigeants, mais également entre « l’ensemble des acteurs de l’organisation » (Hoarau et Laville, 2013, p. 311), et d’approcher le lien et la cohérence entre cette répartition du pouvoir et le projet associatif.
Ces deux définitions ont l’intérêt de caractériser la gouvernance par un critère matériel (par son contenu), et non simplement par un critère formel (c’est-à-dire par l’organe ou la procédure d’élaboration), pour reprendre le vocabulaire juridique. En effet, ces définitions ne se limitent pas à la simple analyse des instances de gouvernance, que l’on peut définir comme les instances de direction et de gestion de l’association telles que fixées dans ses statuts et éventuellement précisées dans son règlement intérieur associatif20. Elles amènent plus largement à examiner les divers mécanismes permettant une délimitation des pouvoirs ou l’alignement précité, qui peuvent être des « mécanismes contractuels, institutionnels et réputationnels » (Pigé, 2008, cité dans Hoarau et Laville, 2013, p. 310), ou encore constituer « un dispositif impliquant des institutions, des relations, des règles et des comportements », ou enfin être composés « d’un ensemble d’instances (…), de procédures (…) et de systèmes de déontologie » (Eynaud, 2015, p. 11). Ceci nous paraît utile pour notre étude, car cette vision de la gouvernance permet de ne pas se limiter à étudier la présence éventuelle de personnes accompagnées à l’assemblée générale ou au conseil d’administration de l’association, mais autorise à observer au-delà la place accordée au sein de l’organisation aux personnes accompagnées, le pouvoir qui leur est octroyé, entendu comme leur capacité d’action sur le fonctionnement de l’organisation et leur capacité d’influence sur les dirigeants de l’association. Ces acceptions de la gouvernance permettront donc d’avoir une vision large et compréhensive de la participation des personnes accompagnées à la gouvernance des associations. Il convient maintenant, dans l’optique d’approfondir la participation à la gouvernance, de croiser ces deux notions.
Gouvernance et participation : quels effets sur la gouvernance peut-on attendre de la participation à celle-ci des personnes accompagnées ?
L’interaction des concepts de participation et de gouvernance peut être utilement éclairée, au sujet de la participation des personnes accompagnées, par l’utilisation de notions permettant d’approfondir le concept de gouvernance : la gouvernance interne d’une part ; et la gouvernance disciplinaire, cognitive et démocratique d’autre part. Ces notions nous permettront d’émettre des hypothèses sur l’impact de la participation des personnes accompagnées sur ces différents aspects de la gouvernance.
• Participation des personnes accompagnées et gouvernance interne Le sujet de la participation des personnes accompagnées à la gouvernance des associations s’inscrit dans le cadre de questionnements relatifs à la gouvernance interne, telle que présentée dans l’étude qualitative restituée en 2014 et conduite en partenariat entre le Mouvement associatif et des chercheurs du CNAM, de l’IAE Panthéon-Sorbonne et associés au CRIDA. Selon cette étude, la gouvernance s’articule en deux composantes selon ses acteurs : la gouvernance interne, qui concerne les relations entre les membres de l’association ; et la gouvernance externe, qui concerne les relations entre l’association et son environnement, son partenariat institutionnel. Les questionnements relatifs à la gouvernance interne concernent, outre les outils organisationnels et techniques au service de la gouvernance, le sujet de la participation interne et celui des compétences pour les acteurs au service de la gouvernance (Bucolo, Eynaud, Haeringer, 2015, p. 43-74). Concernant la participation interne, il s’agit de s’interroger notamment sur qui fait-on participer et comment gérer la participation du plus grand nombre, ainsi que sur la diversification des membres dans la gouvernance et l’inclusion des non-experts. La question de l’association d’une nouvelle catégorie de parties prenantes, les personnes accompagnées ou accueillies, à la gouvernance relève donc pleinement d’un questionnement relatif à la participation interne.
• Participation des personnes accompagnées et gouvernance disciplinaire, cognitive et démocratique Pour compléter, il apparaît intéressant de croiser la thématique de la participation des personnes accompagnées à la gouvernance, avec une seconde typologie consistant à décomposer la gouvernance en trois composantes ou approches selon son objet : la gouvernance disciplinaire, cognitive et démocratique. En effet, cette décomposition de la gouvernance sera utile pour apprécier la diversité des effets de la participation des personnes accompagnées à cette dernière. Cette typologie permettra également de s’interroger, en amont des études de terrain, sur les effets potentiels de cette participation sur la gouvernance des associations.
• Participation et gouvernance disciplinaire ou coercitive La première approche de la gouvernance, l’approche disciplinaire ou coercitive, tient son origine dans l’ancrage privé de la gouvernance exposé plus haut, résidant dans une approche de la gouvernance de l’entreprise fondée sur la recherche de l’efficience et visant le management du management. Ce courant se préoccupe de la capacité des actionnaires (pour les entreprises) ou des administrateurs (pour les associations) à contrôler les dirigeants salariés et à réguler leurs comportements, par le truchement de divers dispositifs ou mécanismes visant à « surveiller, inciter et sanctionner ». Les mécanismes internes, mis en place par les parties prenantes elles-mêmes ou par le législateur, résident notamment dans les instances de gouvernance (assemblée générale et conseil d’administration) avec leur fonction de surveillance et de sanction, les normes de qualité de force contraignante variable (lois ou règlements, standards ou bonnes pratiques professionnelles), les instruments de gestion tels que les audits internes ou externes avec leur fonction de contrôle, et les outils de transparence financière (qu’il s’agisse d’incitations ou d’obligations, telles que la certification des comptes). Les mécanismes externes sont constitués du marché financier – on pourrait considérer qu’il s’agit concernant les associations sociales et médico-sociales, par analogie, de l’économie de marché, et du quasi-marché entendu comme la redistribution régulée par les pouvoirs publics selon une régulation concurrentielle, encadrée par des règles telles que les appels à projets – Laville et Sainsaulieu, 2013 – , du marché du travail et d’un dispositif informel comme la réputation (Hoarau et Laville, 2013, p. 311-315).
Introduction |