ÉCOTOXICOLOGIE
En somme, l’écotoxicologie serait « la science qui étudie les polluants (poisons), et ses effets sur l’environnement ». C’est sans compter sur l’aspect transdisciplinaire de l’écotoxicologie, à la frontière entre la toxicologie et l’écologie (Figure I.4), qui complique les choses. Tout dépend de fait à quelle définition on se réfère : Ces ergotages autour de la définition de l’écotoxicologie peuvent faire sourire et être assimilés à des tempêtes dans des verres d’eau d’ultra-spécialistes, mais cela va au- delà de ces considérations scientifico-scientifiques. En effet, Forbes et Forbes (1997) font mention d’une distinction de la Commission des Communautés Européennes, dans le cadre de la directive 67/548/EEC (Directive EC, 1967) encadrant la mise sur le marché de nouveaux produits chimiques (classification, emballage et étiquetage), entre d’une part les essais réalisés sur mammifères (essais “toxicologiques”) et les essais sur poissons et crustacés d’autre part (essais “écotoxicologiques”). Si on peine encore à définir l’écotoxicologie, on peut éventuellement répondre à la question suivante : qu’est- ce que la toxicologie ? Pour certains (Klaassen & Eaton, 1991), il s’agit de l’étude des effets négatifs de produits chimiques (naturels ou synthétiques) sur les êtres vivants, sans distinction. La même année, Gallo et Doull restreignaient cette discipline aux effets délétères des xénobiotiques. Si Sipes et Gandolfi (1986) considéraient les xénobiotiques comme tout produit chimique étranger à l’Homme ou toute autre espèce vivante (animale, végétale, microbiologique), incluant donc les produits naturels et de synthèse, Rand et Petrocelli (1985) réduisaient le spectre des produits xénobiotiques aux seules substances non naturelles. Aujourd’hui, la toxicologie est plutôt considérée comme l’étude des expositions humaines aux polluants et toxines (sources atmosphériques, aquatiques, alimentaires…), de leurs mécanismes d’action, de leurs effets délétères sur la santé humaine, des moyens mis en œuvre pour les détecter et lutter contre ces effets.
Les conceptions et définitions de l’écotoxicologie proposées par Truhaut et Ramade, chacun en 1977, auraient tendance à se calquer sur cette définition de la toxicologie, en élargissant simplement le sujet d’étude à l’ensemble des êtres vivants d’un écosystème, quelle que soit sa taille. Mais là encore, ce n’est pas si simple. Si Moriarty (1983) et Butler (1984) s’accordent à définir l’écotoxicologie comme l’étude des effets des polluants sur les biotopes et les biocénoses d’un milieu, en 1991, Hayes oppose la toxicologie environnementale, qui se focalise sur les effets toxiques subis par les êtres vivants différents de l’Homme et des animaux domestiques, à la toxicologie écologique, qui étudie les effets des produits toxiques sur les organismes vivants et les relations écologiques générées par ces poisons. La même année, Klaassen et Eaton précisent cette opposition en définissant l’écotoxicologie comme une branche de la toxicologie environnementale, spécialisée sur l’étude des impacts des substances toxiques sur la dynamique des populations d’un écosystème particulier. On peut alors parler d’écotoxicologie ou de toxicologie aquatique, terrestre… Cette absence de vraie définition fixe pour l’une et pour l’autre de ces disciplines pose des problèmes de confusion comme mentionné plus haut (Forbes & Forbes, 1997), mais aussi des amalgames, en particulier pour les non-spécialistes parmi lesquels les partenaires politiques, sociaux et financiers de ces questions environnementales, puisqu’il est bien question d’environnement ! Dans ce manuscrit, l’écotoxicologie sera considérée comme « l’étude des effets négatifs (symptômes, mécanismes d’action…) de produits polluants, naturels ou synthétiques, sur l’ensemble des êtres vivants d’un écosystème donné ».
Le déclin dramatique des populations d’oiseaux piscivores et d’oiseaux de proies (Europe puis en Amérique du Nord) ; c’est une des études les plus connues, on l’apprend en général dès la première année de licence : après l’observation de la perturbation exceptionnelle de la dynamique des populations de plusieurs espèces d’oiseaux, à de nombreux endroits dans le monde, les analyses chimiques et biochimiques ont montré que le DDT (DichloroDiphénylTrichloroéthane), très largement utilisé depuis le milieu des années 1940 pour lutter contre les insectes nuisibles (ravageurs de cultures, porteurs de maladies) et son produit de dégradation le DDE (DichloroDiphényldichloroEthylène) étaient responsables de ce déclin. Outre leur effets sur les insectes, ces produits se sont dispersés dans l’environnement, ont pollué les eaux de rivières, et ont bio-amplifié3 jusqu’aux plus hauts niveaux trophiques, altérant au passage les processus de calcification des coquilles d’œufs, les rendant extrêmement fragiles, et diminuant fortement le succès reproducteur des oiseaux.