Les conceptions de la folie à travers les époques
La stigmatisation des problématiques sociales est un processus pouvant s’appliquer dans les cultures du monde entier pour des raisons aussi diverses que l’ethnie, le handicap, l’orientation sexuel ou toute autre forme de marginalisation. À l’époque de la renaissance, plusieurs maisons d’internement avaient le mandat d’enfermer des personnes pour des raisons aussi diversifiées que la mendicité, les problèmes de comportements ou de criminalité, des mœurs dépravées ainsi que d’une folie passagère ou chronique (Foucault, 1961). L’enfermement s’est d’abord effectué de façon indifférenciée dans les mêmes établissements (ex. hôpitaux généraux, prisons), puis de manière différenciée, en fonction de problématiques communes (ex. les enfants dans les orphelinats, les personnes ayant des troubles mentaux dans les asiles, les personnes âgées dans les hospices) (Foucault, 1961). Tant que la personne n’était pas jugée apte à retourner au sein de la population, elle restait donc enfermée, sous la juridiction de la ville (Foucault, 1961). Il fut notamment une époque où les personnes étaient enfermées dans les asiles jusqu’à ce qu’elles trépassent (Goffman, 1968). Aujourd’hui, bien que l’internement prolongé ne soit plus une pratique courante, les prisons, les maisons de correction et les hôpitaux psychiatriques tiennent lieu de prise en charge des « asociaux » qui ont été jugés inaptes à vivre en société (Foucault, 1961, p.92). D’ailleurs, un paradoxe est toujours présent entre la répression et la réinsertion sociale.
À travers les âges, les conditions d’internement des « insensés » ont longuement été justifiées par le fait que les individus concernés n’étaient plus considérés comme étant humains, puisque soumis à leurs pulsions animales et ne ressentaient donc pas les mêmes sensations que les personnes qui conservaient leur rationalité (Foucault, 1961). Cette pensée, influencée par la religion chrétienne et le rationalisme classique, a certainement teinté la perception sociale de la maladie mentale. Par ailleurs, les troubles mentaux ont longtemps été incompris par les médecins et encore moins par la population, ce qui a favorisé des associations avec: la possession (divine ou démoniaque), la déficience intellectuelle ou encore l’immoralité. À partir du 19e siècle, avec l’avènement de la médecine et de la psychiatrie, l’étiologie de la maladie était surtout expliquée par l’hérédité (Arboleda Florez, 2012), ce qui faisait en sorte que cela pouvait être vu comme une honte pour la famille. La principale solution pour faire face à la maladie mentale, était alors l’internement au sein des asiles.
Bien que l’isolement dans les asiles psychiatriques fût longtemps privilégié afin d’exclure ceux que l’on considérait « hors normes » ou « fous », le gouvernement québécois décida de mettre fin à ces façons de faire lors du processus de désinstitutionnalisation amorcé dans les années 1960. Ce processus justifié par des motifs humanitaires, économiques et thérapeutiques, mais également par l’idée que les maladies mentales étaient curables, a eu pour effet la fin de l’internement prolongé et le retour dans la communauté de plusieurs centaines de personnes ayant des troubles mentaux (Dorvil et Guttman, 1997, p.121). Bien qu’ayant eu des effets positifs, le processus de désinstitutionnalisation a eu des effets dramatiques pour certaines personnes qui se sont retrouvées à la rue vivant de l’itinérance (Dorvil et Guttman, 1997, p.138) ou se retrouvant dans le système pénal (Hoffman, 1990; Teplin, 1983; Van de Kerchove, 1990 dans Dorvil et Guttman, 1997). De plus, même si les personnes ayant un trouble mental vivent principalement dans la communauté, elles n’ont jamais été en mesure de s’y intégrer pleinement (Rosenberg, et al., 2005). Les personnes ayant des troubles mentaux subissent toujours les conséquences de la stigmatisation telles que la pauvreté, la privation des droits civiques, l’itinérance, le chômage et l’intolérance sociale (Arboleda-Florez, 2012). D’ailleurs, les conséquences de la stigmatisation ont été ciblées par le gouvernement québécois ce qui a fait en sorte que la lutte contre la stigmatisation et la discrimination dans le réseau de la santé et des services sociaux est devenue et maintenue comme l’un des objectifs principaux de leur plan d’action (MSSS, 2015). Sous différents gouvernements, les soins dans le domaine de la santé mentale ont subi plusieurs modifications, tels que le virage ambulatoire, permettant une plus grande proximité des services offerts dans la communauté (Gagnon-Hotte et al., 1996), mais également de coupes budgétaires massives sous une politique d’austérité dans les services sociaux (Beaulne, 2018), et cela malgré l’importance des besoins observés dans la population.
Les mots utilisés pour parler de la « santé mentale »
Autant dans le langage populaire que dans les termes utilisés par les professionnels de la santé, l’implication des mots choisis pouvant désigner les personnes atteintes de trouble mental ont un aspect symbolique et influence nécessairement la perception de chacun. Cette section de mémoire s’avère être un bref résumé du deuxième chapitre du livre « La pratique du travail social en santé mentale ; Apprendre, comprendre, s’engager ». Ce chapitre, rédigé par Morin et Clément (2020), permet une compréhension approfondie des répercussions sociales associées à l’utilisation des divers termes dans le domaine de la santé mentale.
L’apparition du terme « maladie mentale » permet d’établir un moment marquant de la psychiatrie. Celui-ci introduit l’approche médicale, rendant possible l’apport d’une vision beaucoup plus objective de la « folie », longtemps traitée comme étant de nature démoniaque. Aujourd’hui, l’utilisation du mot « maladie » implique une perspective biomédicale, se basant sur une explication neurologique et génétique de la santé mentale. Par ailleurs, une distinction se doit d’être établie entre les termes « santé mentale », « problème de santé mentale » et « trouble mental », souvent interchangés dans la pratique des soins en santé mentale. D’abord, l’OMS décrit la santé mentale comme étant « un état de bien-être dans lequel une personne peut se réaliser, surmonter les tensions normales de la vie, accomplir un travail productif et contribuer à la vie de sa communauté » (2013, p.42). La santé mentale au même titre que la santé physique, est un état général pouvant s’appliquer à chacun. Celui-ci peut être stipulé comme étant minimal ou optimal, indépendamment de la présence ou absence d’un diagnostic de trouble mental.
Pour sa part, la désignation de problématique de santé mentale inclut qu’il y a un déséquilibre de l’état mental, pouvant altérer le fonctionnement de la personne, mais résultant avant tout de la présence d’une détresse psychologique. Tant qu’à eux, les troubles mentaux se doivent de répondre à des critères diagnostiques, connus par les professionnels de la santé, servant alors à catégoriser les symptômes psychiatriques selon un diagnostic médical. Ceux ci peuvent être considérés comme étant modérés ou graves, dépendamment du niveau d’entrave sur le fonctionnement social de la personne. Les domaines des capacités cognitives, affectives et relationnelles ainsi que des compétences sociales de base sont alors considérés afin de déterminer la gravité du trouble mental. De façon générale les troubles de l’humeur sont majoritairement considérés comme étant modérés alors que les troubles psychotiques, les troubles dépressifs majeurs et les troubles bipolaires sont souvent catégorisés comme étant des troubles mentaux graves (MSSS, 2005). Les termes « sévère » et « persistant » sont à éviter afin de décrire les troubles mentaux graves, car ils impliquent un caractère chronique, ce qui contrevient à l’espoir d’un pronostic positif et de l’apparition du processus de rétablissement. Enfin, les troubles mentaux, contrairement à l’approche médicale, permettent de considérer l’ensemble des facteurs biopsychosociaux et donc, d’inclure l’expérience personnelle ainsi que le contexte situationnel de la personne. À ce sujet, Janssen (2008. p.54) différencie la notion de « maladie » et de « trouble » par l’objet du diagnostic (affectiondisease), abordant l’explication organique et impliquant le sens biologique, ainsi que son contraire, le sens symbolique (malaise-illness) permettant une interprétation personnelle, subjective, culturelle et historique.
Les expressions utilisées par les établissements de soins de la santé ont également été sujettes à différentes critiques de la part des professionnels. Les militants antipsychiatriques ont d’abord revendiqué l’emploi de l’expression « personne psychiatrisée » en raison de l’historique abusive de l’internement des personnes atteintes de trouble mental et par le fait que l’identité d’une personne ne doit pas être entièrement basée sur son parcours psychiatrique. De même, l’appellation de « patient » prend son sens sur le fait qu’une personne est d’abord consultante d’un aide-soignant. La personne est alors perçue comme étant passif au sein de son processus thérapeutique et qu’elle détient un statut d’infériorité dans sa relation avec les professionnels de la santé. Bien que le terme « bénéficiaire » puisse être couramment employé afin de décrire une personne vivant dans une institution lui donnant accès à une prise en charge et à des soins de base, le nom « usager » s’avère être le plus adéquat. En effet, cette expression considère l’implication de la personne dans le processus décisionnel du processus de soins de la santé, ce qui permet de le voir comme étant responsable de son rétablissement (Autès, 2013). Cette appellation est décrite par Lascousmes (2007, p.131-132) comme étant une « conception du service public qui donne des droits et des devoirs, et mieux des responsabilités, à ceux qui bénéficient des prestations organisées par la collectivité » Or, tel que précisé par Humbert (2000), cette notion empêche de considérer la personne comme étant unique (p.186). Bien qu’il soit clair que les termes « d’aliéné», de « fou » et de « lunatique » soient maintenant prisonniers du siècle passé, les professionnels de la santé doivent continuer d’utiliser les termes abordant la santé mentale avec précaution.
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