Les composés organobromés – les polybromo diphényles éthers (PEDE)
Ces composés sont aussi connus sous le nom de retardateurs de flamme à cause de leur caractère ignifuge (Hites, 2006; Lebeuf, 2009). En effet, les atomes de brome absorbent l’énergie des radicaux libres générés par les flammes retardant ainsi leur propagation (Hites, 2006). Les composés organobromés incluent les polybromo biphényles (PBBs) qui sont déjà interdits depuis 1974 aux États-Unis, les polybromo diphényles éthers (PBDE) dont la production a été récemment restreinte et les hexabromocyclododécanes qui sont toujours en cours de production (De Wit et al. 2006; Hites, 2006) . Malgré leur forte utilisation dans les produits commerciaux, peu d’information est disponible sur les composés organobromés chez le béluga de l’ESL à l’exception des PB DE (Lebeuf, 2009). Les PBDE possèdent deux cycles aromatiques pouvant contenir jusqu’à cinq atomes de brome chacun et ainsi produire 209 congénères distincts (Lebeuf, 2009). Les PBDE sont des composés polaires en raison de la présence de l’atome d’oxygène et de l’asymétrie autour de l’axe horizontal (Lebeuf, 2009, Shaw et Kannan, 2009). Parmi les 209 congénères possibles, seulement 40 sont systématiquement détectés dans l’environnement (Ross et al. 2009).
Trois mélanges techniques ont été produits; les mélanges penta, octa et déca-BDE. Le mélange penta-BDE contient majoritairement deux congénères, les BDE-47 et BDE-99 qui possèdent respectivement quatre et cinq atomes de brome. Le mélange octa-BDE est composé principalement de deux congénères, les BDE- 153 et BDE-183 , qui possèdent respectivement six et sept atomes de brome, alors que le mélange déca-BDE contient presque exclusivement le congénère BDE-209, ou décabromodiphényles éther (Hites, 2006, Lebeuf, 2009). En raison de leur caractère ignifuge, les mélanges techniques des PBDE sont ajoutés à une vaste gamme de matériaux à usage courant tels que les textiles et plastiques polymériques incluant le polyuréthane, le polystyrène et l’ acrylonitrile butadiène styrène (ABS). Ils entrent éga lement dans la fabrication de matéri aux de construction, les pièces automob iles , sous-tap is, mousse d’ameublement et équipement électronique (Hites, 2006; Lebeuf, 2009, Shaw et Kannan, 2009). Les PB DE ont été produits depuis 1960 (suivant la prohibition des BPC) et depuis les années 1980, la demande pour ces composés à des fins commerciales a exponentiellement augmenté en Amérique du Nord (Lebeuf, 2009; Shaw et Kannan, 2009).
Ces composés émergents sont rapportés dans toutes les matrices environnementales: air, eau, sédiments, poissons, oiseaux terrestres et aquatiques, mammifères marins et même chez les humains (Law et al. 2003; Zhu et Hites, 2004; Hites, 2006; Johnson-Restrepo et al. 2005; De Wit et al. 2006; Shaw et Kannan, 2009). Chez le béluga du Saint-Laurent, les teneurs ont doublé à tous les 3-4 ans entre 1988 et 1999 (Lebeuf et al. 2004; Lebeuf, 2009). L’augmentation rapide de ces composés a été aussi rapportée dans l’Arctique (lkonomou et al. 2002; Wolkers et al. 2004; De Wit et al. 2006; Muir et al. 2006). Les tétra (-49 , -47), penta(-99, -100) et hexa (-153, -154, -155) -BDE sont les groupes homologues majeurs observés chez les poissons, oiseaux, mammifères marins et même chez l’ homme (lkonomou et 01.2002; Lebeuf et 01.2004 ; Rayne et 01.2004; Wolkers et al. 2004 ; Johnson-Restrepo et al. 2005 ; De Wit et al. 2006; Muir et al. 2006; Rigét et al. 2006; Shaw et al. 2008) . Les groupes homologues de PBDE les plus substitués, notamment hepta- (-18 3) et déca- (-209)-BDE sont à peine détectables chez les mammifères marins (Thomas et al. 2005; Shaw et al, 2008; Law et al, 2010) . L’absence de ces groupes peut être expliquée par leurs rapides transfonnations dans les proies (Kajiwara et al. 2004), ou par leurs court t l/2 chez les cétacés et phoques . Chez le phoque gris, t1/2 du BDE-209 dans le sang est estimé entre 8.5 et 13 jours (Thomas et al, 2005).
Les composés organochlorés – les biphényles polychlorés (BPC) Au cours du XXème sièc le, de nombreux composés organochlorés ont été synthétisés et largement utilisés dans l’industrie (ex. BPC) et l’agriculture (ex. DDT, toxaphène) (Borrell et al. 2001; Lebeuf, 2009). La production et la commercialisation de ces composés ont été prohibées dans les années 70 et leur émission dans l’environnement a commencé à diminuer progressivement (Tanabe, 1988; Borrell et al. 2001; Lebeuf, 2009). Cependant, l’inquiétude demeure toujours à l’égard de ces polluants surtout dans les écosystèmes aquatiques. En effet, leurs longues demi-vies entraînent leur redistribution environnementale via le cycle volatilisation/déposition (Tanabe, 1988; Borrell et al. 2001). En raison du transport atmosphérique, plusieurs composés organochlorés ont été détectés dans des régions éloignées de leur 1i eu de production et d’usage notamment les régions polaires (Andersen et al. 2001). La bioaccumulation via la chaîne trophique a entraîné la contamination des mammifères marins de ces régions (Andersen et al. 2001; Muir et al. 1999).
À cause de leur persistance, leur toxicité, leur volatilité et leur transport ahTIosphérique sur de longues distances, les BPC ont été parmi les douze composés incluant le DDT, l’aldrine, le dieldrine, l’endrine, l’heptachlore, le toxaphène, le chlordane (CHL), le mirex, l ‘hexachlorobenzène (HCB), les polychlorodibenzo-p-dioxines (PCDD) et les dibenzofuranes (PCDF) à être reconnus comme POPs (Convention de Stockholm, 2001 ; Annexe A et C). Les BPC sont parmi les plus connus de cette famille et les plus étudiés en termes de contamination environnementale et toxicologie (Tanabe, 1988; Borrell et al. 2001; Hornbuckle et al. 2006). Les BPC ont été synthétisés pour la première fois en 1881 et ce n’ est qu ‘ en 1929 qu’ils ont été produits à des fins industrielles aux États-Unis (Tanabe, 1988; Lebeuf, 2009). À la fin des années 50, la production des ‘ BPC a drastiquement augmenté pour atteindre son apogée vers la fin des années 60. La production et l’ émission de ces polluants ont été arrêtées dans les années 70 et durant toute cette période environ 1,2 106 tonnes ont été produites (Tanabe, 1988). En Amérique du Nord, la production des BPC a été bannie depuis 1977. Au Canada, l’importation, la fabrication, et la vente (pour la réutilisation) des BPC sont devenues illégales en 1983 (Lebeuf, 2009). Ces composés chlorés ont été utilisés principalement par l’industrie dans les transformateurs et les condensateurs, les équipements hydrauliques et les lubrifiants. Ils ont été surtout ajoutés aux huiles afin de prévenir leur dégradation et maintenir leur viscosité à des températures élevées. Ils ont aussi été utilisés comme agent plastifiant dans les résines synthétiques. Ces composés ont été également ajoutés à beaucoup de produits courants y compris les papiers sans carbone, les adhésifs, cires et encres (Hombuckle et al. 2006; Lebeuf, 2009). L’utilité des BPC dans l’application industrielle est liée à leur stabilité chimique, leur résistance à la chaleur, leur inflammabilité, leur basse pression de vapeur et à leur constante diélectrique élevée (Tanabe, 1988).
La population du béluga du Saint-Laurent
Le béluga (Delphinapterus leucas) appelé autrefois marsouin blanc (Vladykoff, 1944) est un odontocète de taille moyenne, qui fréquente les eaux arctiques et subarctiques du Canada, de l’Alaska, de la Russie, de la Norvège et du Groenland (Rice, 1998; Reeves et al. 2002). Au Canada, la population de l’estuaire du Saint-Laurent (ESL) est celle qui se trouve à la limite méridionale de la distribution mondiale de l’espèce (Reeves, 1990; MPO, 2007). Elle est géographiquement et génétiquement isolée des sept autres populations habitant les eaux canadiennes. En été, la popu lation de l’ESL se concentre au confluent de l’estuaire du Saint-Laurent et du fjord du Saguenay (Michaud, 1993). La répartition hivernale est mal connue mais la population semble fréquenter plus souvent les eaux un peu plus en aval de l’estuaire (Gosselin et al. 2001). Au xrxème siècle, la population comptait entre 7800 et 10100 individus (MPO, 2007; Measures, 2008). L’espèce a été chassée pour son huile, sa viande et sa peau. Afin de réduire son impact sur les poissons commerciaux, le département de pêcherie du Québec a accordé une prime de 15$ pour chaque nageoire caudale de béluga rapportée (Bergeron et Gagnon, 1999). En conséquence de la chasse intensive (d’abord commerciale, ensuite sportive), qui a eu lieu surtout entre 1880 et 1960, la population s’est effondrée à moins de 1000 bélugas (MPO, 2007). En 1979, la population a été officiellement protégée en vertu de la loi canadienne sur les pêches où toute forme de chasse a été interdite (Sergeant et Hoek, 1988 ; MPO, 2007) .
L’isolement de la population de l’ESL des autres populations rend sa situation précaire dans le Saint-Laurent. En 1983, la population du béluga de l’ESL a été désignée en voie de disparition par le Comité sur la Situation des Espèces en Péril au Canada (COSEPAC) et suite à une réévaluation de son statut en mai 2004, la population est maintenant considérée menacée (COSEPAC, 2004; MPO, 2007). Suite à l’interdiction de la chasse, une augmentation voire même une récupération complète du nombre d’individus était attendue, mais le suivi de l’abondance de la population entre 1988 et 2005 a montré que le nombre d ‘individus (environ 1000) est demeuré stable (Hammill et al. 2007). Afin d’expliquer l’absence de rétablissement de la population, plusieurs causes potentielles, en plus de la pollution chimique, ont été identifiées incluant la dégradation de l ‘habitat, la compétition pour la ressource, la collision avec les bateaux, le dérangement, la pollution sonore et la prédation naturelle (Bergeron et Gagnon, 1999; Measures, 2008).
La contamination du béluga du Saint-Laurent Le béluga accumule les contaminants exclusivement à partir de son alimentation. Selon le modèle établie par Hiclcie et al. (2000), les concentrations des BPC observées chez le béluga de l’ESL entre 1950 et 1995 ont été concordantes lorsque l’anguille d’Amérique (Anguilla rostrata) constitue 3% du régime alimentaire annuel. Ce même modèle a prédit une diminution accélérée des teneurs de BPC si l’anguille était exclue progressivement de l’alimentation du béluga (Hiclcie et al. 2000). L’examen des tissus de bélugas récoltés dans le cadre du programme des càrcasses a révélé la présence des concentrations très élevées en BPC, DDT, PBDE, HCB, HCH, CHL, HCB, TCPM, TCPMe, Toxaphène et Mirex (Lebeuf, 2009). Les biphényles polychlorés (BPC) et le dichlorodiphényltrichloroéthane (DDT) ont été les premiers POPs rapportés chez le béluga (Massé et al. 1986; Martineau et al. 1987; Lebeuf, 2009). De nombreuses études ont montré que la population du béluga de l’ESL est la plus contaminée par les POPs panni les autres populations canadiennes de béluga (Muir et al. 1990; Metcalfe et al. 1999; Devigne, 2003; McKinney et al. 2006). L’exposition chronique des bélugas de l’ESL à une variété de POPs et d’autres composés tels que les HAP pourrait être à l’origine des maladies infectieuses, des cancers et des lésions observés (Sergeant et Hoek, 1988; Martineau et al. 1994, 2002; De Guise et al. 1995; Measures, 2008). Cependant, le lien causal reste difficile à démontrer entre l’état de santé des bélugas ou la dynamique de leur population et leur exposition aux contaminants (Bergeron et Gagnon, 1999; Hickie et al. 2000; Measures, 2008). Plusieurs facteurs incluant le sexe, l’âge et la période d’exposition des bélugas sont susceptibles d’influencer les concentrations des POPs et leurs évolutions temporelles.
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