Les composés cibles en toxicologie développementale
Quotidiennement, les Hommes sont exposés à une variété croissante de substances toxiques naturelles, artificielles, chimiques ou biologiques. Les toxiques sont par définition des substances dangereuses, altérant le fonctionnement normal d’un organisme vivant par action locale ou systémique (absorption cutanée, respiratoire, digestive). Il existe différentes mesures pour estimer la toxicité des composés : la dose ou concentration létale entrainant 50% de morts au sein d’une population (DL50 et CL50), la dose minimale pour observer un effet toxique (LOAEL) et la dose sans effet toxique observable (NOAEL). La large utilisation des toxiques dans différents secteurs d’activités, tels que l’agriculture, la médecine, l’alimentation, l’industrie, etc., prouve l’importance scientifique à déterminer, caractériser et quantifier la toxicité. En ce sens, la toxicologie prédictive trouve particulièrement son intérêt, notamment pour évaluer les propriétés et mécanismes d’action de substances inconnues. Ainsi, en évaluation de risques, une enquête approfondie sur les composés à potentialité toxique est primordiale pour élaborer une collection puis une classification des composés (Lapointe et al., 2004; Schmidt et al., 2009). Les tests de toxicité pour le développement et la reproduction (DART) des produits pharmaceutiques, chimiques industriels et agrochimiques sont gouvernés par des directives harmonisées et mise en place à l’échelle mondiale dans le but de contrôler les risques d’exposition de différentes populations, notamment des femmes enceintes et enfants. Depuis leur adoption dans les années 1980 et 1990, ils font l’objet d’importants changements en raison des nouvelles préoccupations et considérations scientifiques. Les modifications sont notamment relatives à la volonté éthique de suivre la règlementation des 3R ainsi que l’addition de paramètres pertinents pour caractériser, déterminer et contrôler les perturbateurs endocriniens, avec pour ambition d’évaluer les dangers et les risques sans recours à l’expérimentation animale.
Comme présenté dans les parties précédentes, les innovations scientifiques et techniques tels que les tests basés sur les cellules humaines, les modèles non mammifères, les tests à haut débit, les approches omiques, la biologie des systèmes et la modélisation informatique fournissent une base pour remplacer les tests sur les animaux. Les scientifiques de tous domaines investissent beaucoup d’efforts pour utiliser et optimiser les méthodes alternatives afin d’évaluer la toxicité des composés de manière générale, mais particulièrement la toxicité développementale spécifique au développement embryonnaire et fœtal, requérant un nombre important d’animaux pour mener à bien les études. En évaluation de risque développemental, deux catégories de composés, les perturbateurs endocriniens et les médicaments tératogènes, sont connus pour causer des malformations et altérer la croissance des embryons et des fœtus (Beekhuijzen, 2017).
Depuis la tragique affaire du Thalidomide prescrit comme antiémétique aux femmes enceintes, puis reconnus comme responsable de malformations congénitales graves, l’identification du mécanisme d’action et du caractère tératogène des médicaments fait l’objet d’une attention particulière lors du développement de nouveaux composés mais également lors de l’utilisation de composés à structures chimiques semblables (Vargesson, 2015). Le défaut du tube neural (NTD) est considéré comme un des effets DART critiques observés in vivo. Dans cet optique, une étude de cas du projet européen EuToxRisk, intégrant ces travaux de thèse, s’est spécifiquement intéressée à l’acide valproïque (VPA), acide gras à chaîne courte, provoquant des NTD chez les animaux et les humains, dont la formule chimique est présentée par la Figure 13. Des études chez l’animal ont montré que certains des neufs analogues du VPA induisaient également des NTD (acide 2,2-dimethylvalerique, acide 2-ethylbutyrïque, acide 2- ethylhexanoïque, acide 2-methylhexanoïque, acide 2-methylpentanoïque, acide 2- propylheptanoïque, 4-eneVPA, acide 4-pentenoïque and acide hexanoïque).
Le VPA est largement prescrit par administration orale et intraveineuse pour contrôler les crises d’épilepsie et réguler la phase maniaque associée au trouble bipolaire. Son activité anticonvulsivante est régie par l’inhibition du cycle de l’acide citrique et l’élévation du taux d’acide γ-aminobutyrique (GABA) au sein du système nerveux central. Le taux sanguin thérapeutique de VPA est généralement compris entre 0,3 et 0,6 mM, mais les ajustements dépendent de la réponse clinique (Sztajnkrycer, 2002). Pour cette posologie, la concentration cérébrale en VPA est d’environ 0,5 mM signifiant que la molécule est largement transportée à travers la barrière hémato-encéphalique. La Figure 14 montre plus précisément le mécanisme d’action du VPA. L’acide α-cétoglutarique est généré à partir du cycle de l’acide tricarboxylique (TCA) et peut être transformé en métabolites selon deux voies différentes. La première le métabolise en succinyl-coenzyme A par action de l’α-cétoglutarate déshydrogénase puis en succinate par la succinyl-coenzyme A synthétase. La deuxième le métabolise successivement en glutamate par la glutamate oxaloacétate transaminase, en GABA par la glutamate décarboxylase, en succinate semi-aldéhyde par la GABA transaminase puis en succinate par la semi-aldéhyde déhydrogénase (Chuang et al., 2012).