Les stomies digestives sont réalisées dans le but d’une dérivation temporaire ou définitive du transit intestinal à travers un orifice confectionné dans la plupart des temps à la paroi antérieure de l’abdomen. On distingue d’une part les stomies digestives couramment pratiquées; les colostomies et les iléostomies qui feront l’objet de notre étude, d’autre part les stomies digestives rares telles que les jejunostomies, les gastrostomies et les oesophagostomies. En 1990, il était réalisé en France prés de 30.000 nouvelles stomies, dont 91% digestives et 51% étaient définitives [1]. Actuellement prés de 100.000 stomies digestives sont réalisées chaque année, mais les indications des stomies digestives ont changé avec une diminution du recours aux stomies définitives, et une préférence pour les stomies latérales dites de protection. Dans notre milieu, le retard diagnostic et de la prise en charge des cancers colorectaux, des maladies inflammatoires chroniques intestinales (MICI) et d’autres pathologies, ainsi que l’état général et nutritionnel des patients font que ces stomies se compliquent souvent. Parfois le manque d’expérience des chirurgiens qui les pratiquent et les malfaçons techniques constituent des facteurs favorisant les complications.
Imaginée en 1818 par Maunoury de Chartres, l’iléostomie latérale fut exécutée pour la première fois à Paris en 1838 par Gustave Monod, mais C’est Auguste Nelaton, qui en 1857, fit connaître cette opération, précisa ses indications dans l’occlusion intestinale et régla sa technique [2]. Quant à l’iléostomie terminale en canon de fusil, depuis Littre en 1700, elle figurait dans toutes les publications. Elle était pour longtemps le mode de terminaison habituel de toutes les résections intestinales, et notamment pour la gangrène herniaire. Cette iléostomie cachéctisait le patient [2].
Il semble bien que Littre en 1710 était le premier à avoir l’idée de colostomie pour traiter l’atrésie anale. En 1776 Pillore réalisa la première caecostomie et Antoine Dubois en 1783 la première sigmoidostomie. En 1797 Galisen puis Amussat en 1839 préconisèrent la première colostomie lombaire à laquelle voyaient l’avantage d’être extra péritonéale, mais cette technique a dû céder la place à la colostomie iliaque gauche dont Richet et Verneuil démontrèrent la supériorité. En 1889, Witzel réalisa la colostomie à pont dont la technique a été établie par Audry en 1892. En 1907, Henri Hartmann réalisa une colostomie iliaque gauche après résection de la partie terminale du côlon et fermeture intrapéritoneale du moignon rectal. Sa technique a été précisée par son élève Soupaulte [2].
Monsieur Kock préconisa l’iléostomie continente grâce à un réservoir iléal, cette technique a été rapportée en France par Lagache [2]. Brooke pratiqua son procédé de retournement iléal permettant ainsi un appareillage facile, et évitant un bon nombre de complications. Grile et Turnbull proposèrent de réséquer la séromusculeuse sur la moitié de l’anse extériorisée pour raccourcir le temps de maturation. Golicher préconisait en 1958 l’extrapéritonéale iléostomie évitant ainsi de créer un espace latéral comme prophylaxie des occlusions post opératoires.En 1962 Aylett, Ribet et Bertrand imaginèrent l’iléostomie de protection en amont d’une suture précaire ou d’un segment pathologique [2]. Au début des années 70 est apparue l’iléostomie de sauvetage dont Loygue est l’un des promoteurs, c’est le fruit des travaux menés sur les péritonites généralisées et graves. En 1974, Fustel et Henning ont imaginé un obturateur mécanique continent qui est une technique qui a prouvé sa supériorité par rapport à la colostomie iliaque gauche définitive en cas d’amputation abdomino-périnéale pour cancer rectal assurant l’étanchéité par fermeture hermétique des colostomies, plus séduisante encore et dont l’intérêt parait réel c’est la méthode de Schmidt qui permet la continence grâce à un autotransplant de la musculature lisse utilisée actuellement dans la colostomie périnéale pseudo continente Enfin d’importants progrès ont été réalisés dans le domaine de l’appareillage concernant les poches des iléo-colostomies, et les protecteurs cutanés[2].
La mortalité causée par la confection d’une stomie digestive est rare, son taux varie de 0% à 6,79% [3, 4]. Dans notre groupe de malades, un patient ayant bénéficié d’une colostomie iliaque gauche définitive dans le cadre du cancer du bas rectum est décédé, soit donc un taux de mortalité de 3.12%. Dans une étude menée par Hallbook [5] sur la sécurité des iléostomies latérales dans la protection des anastomoses digestives basses, colorectales ou iléoanales, ce taux était de 0,5%. Dans notre étude, les complications en rapport avec la stomie étaient nombreuses. Leur taux était de 37.5% (12 patients compliqués sur 32 patients stomisés) et elles représentaient 76.19% de l’ensemble des complications, alors que les complications non stomiales constituaient 23.8% de toutes les complications réunies, à noter que 4 de nos patients ont fait plus d’une complication stomiale. Le taux de complications générales de nos patients stomisés est de 43.75%. Ce chiffre cadre avec les données de la littérature. Ce taux était de 60% dans une étude menée par Caricato [6] et de 6% dans l’étude de Hallbook [5], concernant les iléostomies latérales sur baguette, dans une étude réalisée par Lertsihichai [7], ce taux était variable entre 3% et 57,9%. 76.19% de ces complications sont apparues en post opératoire immédiat ou à distance de l’intervention pendant la durée du port de la stomie, ce chiffre est loin de celui retrouvé dans l’étude de Lertsihichai qui s’élevait à 41,5% [7]. 12.5% des complications ont été observées après fermeture de la stomie, alors qu’elles n’étaient observées que dans 21,3% des cas dans la série de Gooszen [8], et dans 33,1% dans celle de Garcia [9]. 32.5% des complications ont fait l’objet d’une réintervention dans notre série contre 55% dans la série de Bell .
Dans les différentes séries analysées [8,9,12], les complications le plus souvent rencontrées sont représentées par :
– les prolapsus stomiaux
– les désinsertions ou rétractions stomiales.
– les hernies et éventrations parastomiales.
– les irritations de la peau.
– les obstructions intestinales après rétablissement de continuité.
– les désordres hydro-électrolytiques.
Dans notre série on a eu 2 cas de prolapsus stomial, tous survenus chez des patients colostomisés, ceci est appuyé par les données de la littérature puisque la plupart des cas de prolapsus survenus dans l’étude de Lertsihichai [7], et celle de Gooszen [8] étaient chez des patients colostomisés. On n’a eu par contre aucun cas de nécrose stomiale. Dans la série de Gooszen [8], la fréquence des nécroses iléales était de 2,5% alors que ce chiffre était de 3,5% dans le travail de Ahallat [11].
D’un autre coté et en se basant sur le tableau II, nous avons remarqué que les patients colostomisés se compliquent beaucoup plus souvent que les patients iléostomisés. Beaucoup d’auteurs ont rapporté la même notion [7,10,12], ils considèrent que l’iléostomie reste une alternative de choix pour diminuer la morbidité liée à la confection d’une stomie. Selon Garcia [9], la confection d’une iléostomie est associée à une importante morbidité, mais la majorité des complications sont mineures, et ne nécessitent pas de réinterventions chirurgicales. D’autre part, Gooszen [8] a travaillé sur une série de 70 malades comportant à la fois des iléostomisés et des colostomisés provisoires, dont il a comparé les complications stomiales post-opératoires, ainsi il a conclu à travers cette étude que les colostomies sont préférables aux iléostomies lorsque la protection du colon gauche est indiquée. Beaucoup d’autres études ont essayé de répondre à la même question faut-il ou non choisir une iléostomie ou colostomie lorsqu’on veut protéger une anastomose distale lors d’une résection antérieure du rectum par exemple, dans une étude réalisée par Rytegard et al [13] dans le même but, les auteurs n’ont observé aucune différence significative concernant les complications entre iléostomisés et colostomisés et ils ont noté que les complications des iléostomies étaient plus sérieuses que celles des colostomies transverses. L’étude de Yasuo [14] à cet égard conclut que la colostomie transverse offre une meilleure sécurité (moins de mortalité et de morbidité avant et après rétablissement de continuité), alors que l’iléostomie offre une meilleure adaptation et qualité de vie. L’étude menée par Edwards [12] toujours dans le même contexte n’a pas trouvé de différence significative concernant les 2 méthodes en matière de complications, elle a conseillé par contre de pratiquer une iléostomie au lieu d’une colostomie, vu la fréquence des infections et des éventrations péristomiales chez les colostomisés. d’autres auteurs [15] recommandaient l’iléostomie comme procédure de référence lorsque la dérivation des matières fécales est nécessaire ,vu ses faibles taux de mortalité et de morbidité, cela dit qu’il n’ y a pas un consensus entre les auteurs en matière de choix de la stomie préférée pour protéger les anastomoses digestives basses. Dans notre travail, la survenue des complications stomiales ne dépendait pas de la maladie causale ayant indiqué la confection de la stomie, cependant on a noté une augmentation de celles-ci chez les malades stomisés en urgence, mais ce résultat ne parait pas très significatif, vu la rareté des patients stomisés en urgence dans notre échantillon (3 patients), la même conclusion a été avancée dans le travail réalisé par monsieur Ahallat [11]. Garcia [9], a remarqué dans son travail, que les maladies inflammatoires chroniques de l’intestin(MICI) étaient associées à une morbidité élevée, mais qu’il n y avait pas de différence significative lorsque les résultats ont été analysés statistiquement. Alors que Kaldar [16] affirmait que les MICI constituent un terrain favorable pour les complications spécifiques. Notre travail ainsi que de celui de monsieur Ahallat [11], permettent de confirmer que l’âge n’a pas d’influence sur la survenue des complications spécifiques aux stomies. En effet 47.36% des patients stomisés de la catégorie d’âge 40-60ans se sont compliqués, contre 36.36% de la catégorie 60 80ans. Mais l’âge élevé peut-être un facteur prédisposant aux complications, par exemple tous nos patients âgés de 70 ans ou plus se sont compliqués. Kaldar [16] considérait que l’âge élevé est un facteur qui prédispose aux complications. Dans l’étude de Chandramouli [18], portant sur 146 enfants et nourrissons stomisés, les complications spécifiques sont indépendantes de l’âge. Dans notre série les stomies provisoires ont été rétablies avant 3 mois de leur confection, chose qui ne nous permet pas de comparer l’incidence des complications en fonction de la durée de la stomie, dans la série de monsieur Ahallat [11], les résultats obtenus n’ont pas permis de montrer une différence significative concernant les complications en fonction de la durée de la stomie, que celle-ci soit supérieure à 6 mois ou inférieure à 2 mois. Selon Lertsichai [7], les complications augmentent lorsque la durée de la stomie dépasse 6 mois, en particulier les complications telles que les lâchages d’anastomose, et les occlusions. D’autre part une étude réalisée par Bakx [19], a permis de montrer qu’un rétablissement précoce de la continuité (moyenne de 11 jours) était associé à une faible morbidité. Une autre étude plus récente réalisée par Jordi [20], concernant le rétablissement de continuité des stomies du grêle par voie péristomiale a permis de montrer que la fermeture précoce des stomies du grêle peut être faite sans augmentation significative de la mortalité et de la morbidité et elle a l’avantage en plus de réduire la durée d’hospitalisation. Dans d’autres essais, une étude a été réalisée par Piearce [21] sur le temps propice de rétablissement de la continuité après la procédure d’Hartmann, cette étude a prouvé que le seul facteur favorisant les complications est l’intervalle entre la confection de la stomie et le rétablissement de la continuité digestive, lorsqu’il est supérieur à 6 mois le taux de lâchage était de 0%, alors qu’il était de 50% lorsque cet intervalle était inférieur à 3 mois.
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