LES COMMISSIONS VERITE ET RECONCILIATION
Les Missions des commissions
De manière générale, les commissions vérité et réconciliation reçoivent le plus souvent pour missions de déterminer les causes des violations des droits de l’homme1, de faire des propositions à travers un rapport dans lequel figure aussi des recommandations de réparation ou de réhabilitation. Dans le cadre de l’accomplissement de cette mission, elles se fixent des objectifs à travers un certain nombre de fonctions prédéfinies (paragraphe 1) et ont des attributions qui leur permettent d’œuvrer et d’atteindre des objectifs (paragraphe 2).
Les Objectifs et Fonctions des commissions
Les objectifs des commissions sont séparés des fonctions qui se trouvent être des pieds avec lesquels elles doivent marcher vers ces Objectifs. Nous allons voir, dans le cadre des missions assignées, les objectifs et fonctions pour la commission sud-africaine (A) et les objectifs et fonctions de la commission togolaise. A- La commission sud-africaine 0 Ibid. 1 C’est la mission principale de pratiquement toutes les commissions vérité et réconciliation qui ont existé en Amérique latine dans les années 1970. A quelques exceptions près, elles ont été établies sur la base du principe d’une doctrine restauratrice qui passe par un travail de remise en avant des droits de l’homme. Certaines étaient chargées de faire la lumière sur des crimes commis lors des périodes sanglantes de dictature comme en Argentine ou au Chili, d’autres sur des violations graves des droits de l’homme commis à d’autres occasions : c’est le cas du Brésil, et autres. La commission sud-africaine est surtout chargée de « permettre la recherche et l’établissement de la représentation la plus complète possible de la nature, des causes et de l’étendue des violations graves des droits de l’hommes »2 durant une période bien considérée3. Dans cette tâche, sa mission est également de déterminer le « sort tragique ou des disparitions des victimes de telles violations ».Le procédé pour un tel travail est de faciliter les conditions pour les futurs « reçus » devant les commissions d’enquête de pouvoir dire la vérité en toute tranquillité. Sur ce registre, il est parmi les missions de la commission de faire « le prononcé d’une amnistie pour les personnes qui feront une pleine divulgation de tous les faits pertinents relatifs à des actes associés à un objectif politique commis au cours des conflits du passé durant la dite période ; accordant aux victimes la possibilité de relater les faits dont elles ont souffert ; la mise en œuvre de mesures visant l’allocation d’une réparation, et à la réhabilitation et au rétablissement de la dignité humaine et civique des victimes des violations des droits de l’homme ; rendant compte à la Nation de telles violations et victimes »6. Des faits qui ne peuvent être réalisés que dans le cadre d’objectifs bien définis (1) et de fonctions bien attribuées .
Les Objectifs assignés à la commission sud-africaine
La commission sud-africaine suit une feuille de route globale. La Loi portant sa création dessine les objectifs que la commission doit atteindre. Ces derniers s’inscrivent en droite ligne d’une politique commune de réconciliation et « sont de promouvoir l’unité nationale et la réconciliation dans un esprit de compréhension qui transcende les divisions du passé ». Dans sa description de ces objectifs, cet article est complété par un certain nombre d’alinéa qui explique la suite que la loi a voulu donner à cette promotion de l’unité nationale. L’alinéa (a)8 explique la nature du travail en amont souhaité et qui va constituer la première marche du pont entre le passé et le futur. Il consiste en une représentation, une sorte de cartographie de la situation qui a prévalu avec les responsabilités des uns et des autres. Il dit : « en établissant la représentation la plus complète possible des causes, de la nature et de l’étendue des violations des droits de l’homme commises durant la période allant du 1er mars 1960 à la date limite, comprenant les antécédents, les circonstances, les facteurs et le contexte de telles violations, ainsi que les points de vue de personnes responsables de la commission des violations, en conduisant des enquêtes et en tenant des auditions ». La stratégie à adopter pour assoir les conditions de cette réconciliation se trouve aussi dans la suite de ce texte. Mener des enquêtes ne suffit pas. Ces dernières peuvent connaître des sources de blocage qu’il faut vite trouver des mécanismes de dépassement. La comparution gratuite d’éventuels témoins est déjà problématique, de même que l’aveu sans aucune forme d’intéressement, ce dernier mot n’étant pas forcément approprié, faudrait-il peut-être parler de « motifs » qui pousseraient les individus à se retrouver devant la commission pour divulguer et se faire pardonner. C’est pourquoi l’alinéa (b) de la même loi explique qu’il faut mettre en avant le motif (l’amnistie), en le facilitant. Les objectifs de l’unité nationale donc et de la 7 Article 3, alinéa (1) Amnistier l’apartheid, op. cit., p. 284 85 réconciliation « en facilitant l’octroi de l’amnistie à des personnes qui auront fait une pleine divulgation de tous les faits pertinents relatifs à des actes associés à un objectif politique et qui se seront conformées aux exigences de cette loi »341. Le passage devant la commission est une question délicate puisqu’elle a la double mission de faire connaître la vérité et de faire pardonner les fautes commises, à travers l’amnistie. Il a été entièrement encadré par l’amnistie pour éviter des risques qui pèseraient sur des témoins et des gens qui ont pris la responsabilité de dire les choses. C’est un cas compliqué puisque dans ce passage peuvent être révélées des vérités dont les concernés ne sont plus de ce monde, des gens dont peut être le sort ne serait pas connu sans cette entreprise de divulgation. Ainsi, dans l’alinéa (c) associé à cet objectif d’unité nationale et de réconciliation, il est expliqué pour le compte de ces victimes : « en établissant et faisant connaître le sort tragique ou les disparitions des victimes et en rendant aux victimes leur dignité humaine et civique en leur accordant la possibilité de livrer leur propre version des violations dont elles ont souffert, et en recommandant des mesures de réparations adaptées » Le dernier acte dans le cadre de ces objectifs reste la production littéraire dans un rapport qui met en exergue tous ces faits déterminés et déterminants. Il s’agit de prendre en compte le passé, de mettre les personnes ayant permis l’éclosion de la vérité dans un registre « transcendant ». Ceci en « dressant un rapport aussi détaillé que possible des activités et conclusions de la Commission visée aux paragraphes (a), (b), (c), et contenant les recommandations des mesures de réparation adaptées »343. Les objectifs de la commission font assoir une société où toutes les leçons sont tirées sur le passé tragique du pays avec la promotion de l’unité nationale et la réconciliation.
Les fonctions de la commission sud-africaine
Les fonctions sont importantes pour la commission sud-africaine dans la mesure où elles visent à « réaliser ces objectifs ». Elles sont le support et sa première fonction est de « faciliter et, en cas de nécessité, initier ou coordonner des enquêtes »345. Ces dernières portent spécifiquement sur les causes qui ont conduit à ces violations graves des droits de l’homme et de déterminer la nature de cette dernière. Dans les paragraphes (i) et suivants346 de cette loi, il est spécifié les domaines dans lesquels doivent porter ces enquêtes. Ainsi, ces domaines sont surtout « les graves violations des droits de l’homme, comprenant les violations qui participent d’un modèle systématique d’abus ; la nature, les causes et l’étendue des graves violations des droits de l’homme, comprenant les antécédents, les circonstances, les facteurs, le contexte, les motivations et les perspectives qui ont conduit à de telles violations ; l’identité de toutes les personnes, autorités, institutions impliquées dans de telles violations ; la question de savoir si de telles violations étaient le résultat d’un plan délibéré de l’Etat ou d’un Etat précédent ou de l’un de leurs organes, ou de toute organisation politique, mouvement de libération ou autre groupe ou individu ; et ; la responsabilité, politique ou autre , d’une telle violation »347. Les fonctions spécifient plus la nature des infractions visées dans le travail de la commission. Elles étendent en outre les faits à considérer dans le cadre des objectifs d’unité nationale et de réconciliation. Les évènements et les rencontres de nature à faire atteindre ces objectifs sont le plus possible mis en exergue. Dans ses fonctions, la commission veille également à rassembler des éléments qui peuvent faire connaître de manière claire le déroulement des faits, les organisations et associations éventuellement impliquées, etc. L’alinéa (b) précise qu’elle doit « faciliter et initier ou coordonner le rassemblement des 344 Loi Créant la commission Vérité et Réconciliation, article 4 345 Ibid., alinéa (a) 346 Paragraphe (ii), (iv) 347 Ibid. 87 informations et la réception des preuves provenant de toute personne, y compris de personnes se prétendant victimes de telles violations ou représentantes de ces victimes, qui établissent l’identité des victimes de telles violations, leur sort tragique ou leur disparition et la nature et l’étendue des souffrances endurées par elles »348. Les fonctions précisent la nature de l’amnistie octroyée. Elles mettent en évidence les liens entre divulgation d’actes pouvant être considérés comme une atteinte des droits de l’homme, les éléments de cette divulgation, l’amnistie à accorder, et les faits présentés. La fonction de la commission, à ce niveau, est de « faciliter et promouvoir l’octroi de l’amnistie correspondant aux actes associés à des objectifs politiques, en recevant des personnes désirant faire une pleine divulgation de tous les faits pertinents relatifs à ces actes, et en soumettant de telles demandes à la décision du Comité d’amnistie, et en publiant les décisions d’amnistie dans la gazette349 »350. C’est-à-dire les pièces sont jugées extrêmement précieuses comme élément de preuve. Les faits déclaratoires à eux seuls ne suffisent pas pour constituer une vérité définitive dans le cadre de la reconstruction de l’identité nationale par le simple fait qu’ils peuvent être tendancieux ou impartiaux ou non fondés. Les preuves donnent la crédibilité convenue aux différents moments de la séquence collective et installent les délibérations dans une sphère de fiabilité connue. Il s’agit pour la commission, en amont, et pour ce faire, de « déterminer quelles pièces ont été détruites par une personne en vue de dissimuler des violations des droits de l’homme ou des actes associés à un objectif politique » 351. L’ensemble des éléments retrouvés doivent faire l’objet d’un rapport à toutes fins utiles, et c’est à la commission qu’il revient la charge d’effectuer une telle tâche. L’alinéa (e) dit : « préparer un rapport détaillé faisant état de ses activités et conclusions, fondées sur des informations et des preuves factuelles et objectives 348 Ibid. 349 C’est le journal officiel de la République d’Afrique du Sud 350 Loi Créant la Commission vérité et réconciliation, Article 4, alinéa (b) 351 Alinéa (d) 88 collectées ou reçues par elle ou mises à sa disposition »352. Et l’alinéa suivant (f) dit : « faire des recommandations au Président relativement »353. Les preuves trouvées constituent des éléments qu’il faut analyser avec la dextérité qu’il faut dans la mesure où elles peuvent être de simples objets du décor, des objets pour manipuler, ou des objets fabriqués. De ce fait, elles doivent être scientifiquement avérées comme telles. Leur l’analyse exacte donne la latitude au Président de l’usage qui doit en être fait et du type de mesures appropriées pour réparer le tort fait à quelqu’un s’il s’agit de cela. Les recommandations354 doivent être faites autour de deux points au moins : dans un premier temps, elles doivent être relatives « à la politique qui doit être suivie ou aux mesures qui doivent être prises dans le but de réhabiliter les victimes et de leur rendre leur dignité humaine et civique »355. Dans un second temps, elles ont trait « aux mesures qui doivent être prises pour accorder aux victimes une réparation provisoire d’urgence »356. Les fonctions de la commission prévoient des mesures à court terme. Dans le cadre de témoins menacés, pour assurer leur sécurité notamment. Elle doit « faire des recommandations au Ministre quant au développement d’un programme restreint de protection des témoins aux fins de la présente Loi »357. Ceci est retenu pour faciliter leur prédisposition à témoigner preuves à l’appui et à aller vers la commission à cette fin. De manière plus générale, elle doit aussi « faire des recommandations au Président quant à la création d’institutions contribuant à une société stable et équitable et à l’édiction ou à la proposition de mesures institutionnelles, administratives et législatives, visant à empêcher la Commission de violations des 352 Ibid., 353 Ibid. 354 Il s’agit de celles de l’alinéa (f) 355 Le même alinéa au paragraphe (i) 356 Ibid., paragraphe (ii) 357 Alinéa (G) 89 droits de l’homme »358. Pour réaliser les objectifs fixés donc, les fonctions assignées à la commission sont essentielles et permettent une prise en charge plus grande des éléments qui doivent entrer en jeu dans l’analyse situationnelle aux fins de reconstructions sociopolitique. B- Mission de la commission togolaise Les missions de la commission togolaise ne sont pas définies en termes d’objectifs et de fonctions comme celles concernant la commission sud-africaine. Elles sont définies dans le cadre du décret359 portant création de la CVJR. L’article deux (2) décrit cette mission 360 en précisant d’emblée qu’elle est indépendante361. Sa mission principale cadre avec les orientations des commissions d’enquêtes mises sur pied sur les violences qui ont touché le pays pendant plusieurs années à savoir « procéder à la mise en œuvre des recommandations issues de l’Accord Politique Global notamment ses points 2.2.2 et 2.4, en faisant la lumière sur les actes de violence à caractère politique commis par le passé et d’étudier les modalités d’apaisement des victimes »362. Ce sont des points qui vont occuper une place centrale dans son travail dans la mesure où eux seuls définissent tout le travail qui doit être accompli pour l’évaluation du passé. Les autres dispositions vont plus dans le sens du travail en amont qui doit être fait pour informer les populations des démarches à entreprendre. C’est le cas de la deuxième disposition qui a pour mission aussi de : « réaliser des activités préalables telles que la sensibilisation et l’information des populations sur les missions et le fonctionnement »363. La commission tient à ce travail d’information puisque pour faire un bilan exhaustif, il lui faut avoir en main toutes les données du problème aux fins de lui donner une suite objectivement réalisable. La 358 Alinéa (h) 359 N° 2009-046/PR 360 CVJR, Rapport-final, p. 62 361 Ibid. 362 Ibid. 363 Ibid. 90 nature du rapport qui est demandé sur ces évènements ne peut se faire sans avoir en main tout le nécessaire sur la question. La commission doit justement, comme autres missions, « établir un rapport circonstancié sur la nature, l’étendue et les causes des actes de violence à caractère publique commis par le passé au Togo et reconstituer le contexte dans lequel ces violences sont produites »364. Cette disposition est intéressante pour la suite de la mission d’identification de la commission. Elle doit, avec les éléments dont elle dispose sur la base de ce rapport circonstancié, « identifier à la suite d’enquête et d’investigations, les auteurs responsables de ces violences et violations des droits de l’homme »365, afin de « proposer au gouvernement des mesures à prendre pour les réparations ainsi que les diverses formes de réparation des préjudices subis par les victimes »366. Les missions de la commission s’imbriquent les unes des autres et restent interdépendantes dans la mesure où sans rapport qui naît de la lumière sur les actes commis, il ne saurait avoir de coupables et de victimes, ou encore moins de préjudices et de réparation. La grille d’interventions des missions les unes les autres semble suivre une certaine rationalité dans la démarche. Le travail préalable est de savoir sur quoi repose toute la suite. C’est la raison pour laquelle, il doit être suivi d’éléments qui rendent compte de la cohérence générale. La charnière principale demeure toutefois, ce qui va être fait de la production issue de ces « étages ». Les recommandations sont importantes, mais n’ont de sens que si elles sont adressées ou faites à l’endroit de qui de droit. C’est pourquoi, le décret prévoit, dans les missions, de « faire des recommandations au gouvernement portant sur le sort à réserver aux auteurs des violations des droits de l’homme les plus graves, les mesures 364 Ibid. 365 Ibid. 366 Ibid. 91 à prendre pour éviter la répétition de ces actes de violence ainsi que des initiatives à prendre pour la lutte contre l’impunité et renforcer le réconciliation nationale »367. Les missions sont importantes à préciser pour les commissions pour éviter qu’elles aillent dans des directions qui ne permettent pas de réaliser l’objectif de réconciliation visé. Dans le cadre de la commission togolaise, elles se posent des objectifs à atteindre car elles sont à remplir pour que la totalité des visées soient satisfaites. Elles ne sont pas prises en charge dans des segmentations fonctionnelles, mais elles sont uniques et restent dans la partie du travail qui exige le plus de déploiement d’intelligences.
INTRODUCTION GENERALE |