Contenus à enseigner (objet de savoirs)
Quant aux contenus à enseigner, la question est à étudier dans un cadre beaucoup plus général. Le choix des savoirs scolaires soulève plusieurs interrogations et fait débats dans de nombreux pays de la part des décideurs politiques, éducatifs et syndicaux et parents d’élèves (organisations des états généraux de l’éducation, de séminaires et conférences internationales et régionales,…). De très nombreuses reformes ont ainsi vu le jour. Les grandes tendances internationales actuelles se basent sur le profil de sortie de l’élève. Les principaux types de contenus pris en compte dans les curriculums tournent autour des notions de standard de formation (liste de connaissances, habileté et attitude), de compétences de base et de socle de connaissances (Meunier, 2005, cité par Boilevin, 2010).
Ces trois grandes catégories de contenus sont présentées aussi sous la forme : les savoirs, les savoir –faire, et les savoir –être, compétences transversales (Roegiers, 2008). Pour cet auteur, le savoir-être, autrement dit le vivre ensemble en société, est l’approche dominante dans le cas des « Nations Unies » (PNUD, UNESCO, UNCEF,…), l’approche par les standards dans les pays anglo-saxons. Dans les pays africains francophones, l’approche par les compétences de base « interdisciplinarité » (compétence par l’intégration des acquis de base) domine et dans le cadre européen des qualifications, l’approche est aussi par standards (les savoirs, les savoir- faire).
La réflexion sur les contenus amène certains chercheurs à suggérer la refondation des disciplines scolaires et voire même l’inexistence de certaines d’entre elles (par exemple Gauthier, 2006) et d’autres à se poser la question de la culture à enseigner à travers cette notion de socle commun de connaissance (Paget, 2006) et celle de la définition des programmes scolaires (Raulin, 2006).
Mais comme l’a souligné, Boilevin (2010), en se référant à des études internationales comme Eurydice (2006), « le socle commun de connaissances a des implications sur l’enseignement des sciences ». Cette approche intégrée de science et de la technologie introduit dans le programme d’enseignement dans plusieurs pays au niveau du second cycle (collège et lycée) pose des questions aux chercheurs quant aux finalités de ce nouvel enseignement et sur la formation des professeurs (Hasni & al, cité par Boilevin (2010).
La transmission de ces contenus
Quant à la mise en œuvre de ces contenus d’enseignement, la question qui se pose est sa définition, c’est-à-dire la manière dont elle se réalise. Sachant que chaque matière scolaire est sous tutelle d’un programme ministériel, les contenus d’enseignement sont ainsi fixés et établis. Mais la transmission est elle effective, c’est-à-dire les contenus sont-ils transmis tels quels ? Les enseignants, acteurs principaux, émettent des jugements, font des choix, relatifs à leur vécu, leur expérience, leur représentation de l’enseignement et de l’apprentissage, leurs propres conceptions de la notion de savoir et de contenu d’enseignement en fonction des multiples contraintes didactiques, institutionnelles,contextuelles. Les contenus d’enseignement, même fixés par les programmes, sont modifiés et adaptés par le professeur. Face à de tels choix, certains chercheurs expliquent ceci par la différence existant entre expert et novices (Leinhard et Smith, 1985), tandis que d’autres insistent notamment sur les processus de planification de ces contenus d’enseignement (Tochon, 1989; Riff et Durand, 1993) et parlent de « routine ».
Le problème relatif aux contenus d’enseignement doit être vu à travers le rôle de l’enseignant dans la transformation scolaire des savoirs. Ainsi, depuis l’établissement officiel des savoirs fixés par les programmes et les référentiels jusqu’à leur mise en œuvre effective auprès des élèves, il y a toujours des problèmes ou des difficultés. Certains préfèrent dire des écarts ou des décalages, ces écarts ou ces décalages dont il est question ont des conséquences concrètes, inévitables, sur des variables telles que les méthodes pédagogiques, les évaluations, la gestion ou l’organisation ou la programmation des apprentissages tant dans leurs conceptions que dans leurs mises en œuvre.
Le rôle de l’enseignant dans la transformation des savoirs
Dans le cadre théorique se référant à Chevallard, nous avons distingué deux étapes : la transposition externe qui produit les programmes scolaires (savoirs à enseigner) à partir des savoirs savants et une transposition interne qui traduit ces programmes ou ces contenus à enseigner en contenus d’enseignement (savoirs enseignés). Ce découpage en deux champs de la transposition fait intervenir des acteurs différents, ce qui conduit à la production de textes différents.
Dans le cas de la transposition interne, le rôle de l’enseignant est primordial car il est le garant de la transmission de ces savoirs. Le passage du savoir à enseigner au savoir enseigné fait l’objet de beaucoup de contraintes et certains chercheurs tentent d’introduire une relation entre les savoirs savants et les pratiques qu’ils appellent pratiques sociales de références (Martinand, 1981, 2003; Perrenoud, 1998). Il s’agit d’interrogations sociologiques qui essaient d’apporter des réponses aux contraintes liées aux actions didactiques en rapport avec le passage du champ externe au champ interne de la transposition de savoirs.
Les analyses descriptives et critiques du processus de transposition des didacticiens sont laissées de côté par la sociologie de la constitution des savoirs scientifique (Bourdieu, 1997) et la sociologie du curriculum (Forquin, 1984,1989). Ils se positionnent sur une critique sociologique et ils considèrent que les études didactiques sur la transposition didactique ne peuvent plus se limiter à l’analyse des produits du processus sans placer la transposition dans son contexte historique et sociologique.
Comme nous venons de le voir dans le chapitre 2, et comme disait Forquin (1984, 1989), cité par Savaton (2007, p.354) la sociologie du curriculum a su dégager les aspects déterminants des rapports de forces qui interviennent dans la construction des savoirs et la forme de contrôle social que représente la transposition didactique. Les écarts ou les décalages entre les prescrits et leur mise en œuvre ont plusieurs sources pas seulement didactique, plusieurs facteurs qu’ils soient sociologique ou épistémologique. Mais on peut aussi se demander si ces écarts ne trouvent pas leurs origines dans l’existence des acteurs différents pour la production et la transformation des savoirs et le contexte socio-économique et organisationnel du système éducatif qui les entourent.
Problématique
En conformité avec le cadre théorique développé dans le chapitre 2 et à la lecture du point de vue actuel sur l’enseignement des sciences physiques que nous venons de décrire, nous pouvons envisager de définir notre objet de la recherche.
Les questions de recherche
Toute nation veut transmettre des savoirs à ses enfants. Cette transmission est l’une des misions essentielles de l’institution scolaire qui essaie de définir les contenus de matières à enseigner. Mais la question des contenus à transmettre se pose. Chaque matière scolaire est sous tutelle d’un programme ministériel. C’est ainsi que le ministère de l’éducation de l’Union des Comores a remis en question les contenus existant et introduit une nouvelle reforme dans le programme d’enseignement de sciences physiques et invite les professeurs de l’enseignement secondaire de cette discipline à privilégier la construction de compétences et l’acquisition de connaissances de base (un socle commun de compétences et de connaissances). Mais comme le dit Dupin (2007), il faut s’attendre à ce que l’introduction de ce socle commun de connaissances et de compétences s’accompagne d’un décalage entre le prescrit et le réel. Ce qui n’est pas sans interroger d’une part, les finalités de ce nouvel enseignement et la définition des contenus de la matière à enseigner et, d’autre part, la façon de penser et d’agir des acteurs principaux, notamment les enseignants, sur ces finalités et ces nouveaux contenus. Les enseignants, acteurs du système éducatif, émettent des jugements, des choix, relatifs à leur vécu, leur expérience, leur représentation de l’enseignement et de l’apprentissage. Ainsi, ils vont avoir leurs propres conceptions de la notion des savoirs et des contenus d’enseignement et pourtant les recommandations ministérielles invitent les professeurs à la conformité des contenus à enseigner. Mais les enseignants, contrairement aux recommandations, modifient et adaptent les contenus d’enseignement fixés par les programmes, lors de leur mise en œuvre, ce qui pose la question sur ce choix.
Nous tentons de mener une réflexion sur la situation actuelle de l’enseignement de sciences physiques aux Comores pour identifier les véritables contraintes qui entravent une appropriation effective par les enseignants.
Les questions de la recherche peuvent alors être formulées comme suit :
1) Quels sont les objectifs et les finalités de l’enseignement de sciences physiques à travers les textes officiels de l’Union des Comores ?
2) Comment les enseignants les appréhendent-ils ?
Notre objet de recherche
La recherche entreprise cible trois axes :
les objectifs généraux assignés par les politiques d’état en matière d’éducation, d’enseignement secondaire et particulièrement en sciences physiques ;
leur transcription dans les textes officiels institutionnels de l’éducation nationale (programmes et curriculum) ;
leur prise en compte et leur mise en œuvre par les enseignants.
L’objectif de la recherche entreprise est d’analyser et de clarifier les enjeux liés au renouvellement du curriculum. Il s’agit aussi de proposer une amélioration de l’ajustement entre les intentions générales (finalités et objectifs définis par les programmes de sciences physiques) et les pratiques déclarées des enseignants de terrain, en prenant en charge, de façon opératoire, les interrogations des enseignants de sciences physiques et les réalités ou les spécificités du pays. Dans une certaine mesure, l’objectif est aussi de fournir des jalons susceptibles de faire avancer l’enseignement scientifique, autrement dit de sciences physiques (de l’éducation scientifique) dans le cadre Comorien.
Les questions centrales de la recherche s’intéressent donc aux finalités ou objectifs et contenus de l’enseignement de sciences physiques et à leur appréhension par les enseignants.
Les points de vue épistémologiques et psychologiques, ainsi que la didactique (transposition didactique) nous permettent de proposer des hypothèses explicatives.
Hypothèses de la recherche
Nous envisageons la présence d’écarts (décalages) entre ce que disent les textes officiels prescrits et leur prise en compte et leur mise en œuvre par les enseignants. Nous supposons que ces écarts ont comme source :
H1 : les objectifs généraux assignés à l’enseignement des sciences physiques sont irréalistes ;
H2 : le manque de lecture et d’analyse des prescriptions officielles par les enseignants ;
H3 : la résistance des enseignants aux innovations concernant les programmes et les pratiques d’enseignements ;
H4 : l’inadéquation entre les pratiques prescrites et la formation initiale des enseignants ;
H5 : les méthodes pédagogiques proposées sont inapplicables.
Pour réduire ces écarts, il faudrait redéfinir ou intégrer les objectifs généraux de cet enseignement de manière à les adapter à la réalité du pays. Il serait aussi possible de proposer des actions pour modifier les attitudes des professeurs ou leurs habitudes. En cherchant à comprendre comment les enseignants lisent les nouvelles instructions officielles,Hirn (1995) a mis évidence que les habitudes des enseignants influencent la façon dont ils comprennent les propositions de nouveaux programmes. Il faut agir sur leur comportement, leurs conceptions personnelles sur la manière d’enseigner, c’est-à-dire sur leur propre rôle, leurs conceptions sur leurs élèves et sur les sciences physiques, leur connaissance envers les contenus à enseigner, les finalités et objectifs. Leur sentiment envers les sciences physiques, leur réaction envers l’objet d’enseignement devraient permettre de réduire cet écart d’une manière significative. Une autre possibilité serait de créer les conditions matérielles et humaines favorables aux innovations pédagogiques accompagnant des tels contenus d’enseignement.
Ces hypothèses explicatives méritent notre attention.