Les causes de l’émigration et son organisation

la crise agricole

L’émigration qu’elle soit individuelle ou collective, temporaire ou définitive, spontanée ou organisée, est considérée par la majeure partie des personnes interviewées comme une réponse à la crise agricole.
La crue et les excellentes pluies ont permis d’avoir de bonnes récoltes durant des décennies dans la CR. Cependant vers le début des années 70, la rareté des pluies et la faiblesse des crues ont affecté profondément la CR. Ainsi les champs de décrue et les champs du diéri sont presque abandonnés, ils n’assurent plus le minimum vital. Cependant il faut comprendre: « qu’ avant que s’installe cette sécheresse, l’agriculture était déjà en perte de vitesse : après la suppression du système de la traite divers organismes d’Etat intervenant dans le domaine agricole (O.C.A Office de Commercialisation Agricole, puis l’ONCAD :Office Nationale de Coopération et d’Assistance au Développement ) eurent raison du paysan en fixant défavorablement le prix , en imposant les semences, leurs engrais, en se faisant grassement rembourser leurs prestations. »
Dans ce contexte de crise l’élevage et la pèche ont été touchés et l’émigration constitue une bouée de sauvetage. En effet sortir de la CR pour tenter sa chance ailleurs reste la seule alternative face à la menace de la famine et devant l’impossibilité de trouver un bon travail au niveau local.
Avec l’avènement de l’aménagement hydro agricole dans la vallée par la mise en place des barrages de Diama et de Manantali on assiste à une mutation agricole dans la région.
Les aménagements imposaient une économie rurale apparemment organisée autour de la production vivrière de mil, et transformaient complètement le mode de production immédiate et les anciens rapports sociaux de production.
L’encadrement de la S.A.E.D. et les technologies employées enlèvent toute latitude aux paysans qui par ailleurs sont responsables des variations aléatoires de la production agricole.
La terre auparavant possédée par les familles nobles est revalorisée par le capital étranger, approprié et géré par l’état national qui se réserve le monopole de la commercialisation des nouveaux produits agricoles et s’octroie les surplus qui lui sont attachés.
Dans un article où il se pose comme un idéologue de la planification au service des bureaucrates nationales, Samir Amin26 , cite en exemple les aménagements sur le fleuve Sénégal pour leur capacité théorique à tarir le flux de travailleurs vers les grands centres marchands ou capitalistes. Cette assurance découle de son analyse des migrations qui résulte d’une stratégie extravertie qui a négligé les zones rurales aujourd’hui reléguées dans la fonction de réserve de main-d’œuvre.

Les mutations sociales

L’émigration exerce un effet négatif sur les métiers traditionnels comme l’artisanat. La consommation27 s’oriente vers les produits importés qui envahissent le marché non protégé et couvrent une demande nouvelle, à laquelle les artisans locaux n’ont pu s’adapter. Les plus touchés sont les tisserands et les cordonniers concurrencés par les tissages et chaussures industriels. Les bijoutiers et les menuisiers subissent aussi la concurrence de l’industrie moderne pour les bijoux, les articles ménagers et le mobilier.

Le regroupement familial

Les migrations étaient au début le fait des hommes qui quittaient la CR à la recherche d’un travail mieux rémunéré, et d’un court séjour, sous contrat dont la durée est limité dans le temps, donc pas une nécessitée d’amener sa famille.
Leur habitat, situé dans la plupart du temps dans leur lieu de travail sous forme de baraque avec un nombre élevé de résident par toit, ne permettait pas un regroupement familial.
Selon l’OMI30, les premiers regroupements familiaux de la communauté sénégalaise et malienne datent des années 70. En fait plus une migration est ancienne, plus la population migrante est susceptible d’avoir opté pour le regroupement familial. Cependant au début des années 90, l’évolution des politiques migratoires a incité les populations migrantes au regroupement.
Face à la fermeture des frontières, cette procédure devient l’une des alternatives les plus fiables pour entrer légalement dans les pays européens et plus particulièrement dans les pays d’accueil traditionnels.

l’organisation et les transferts monétaires

les réseaux migratoires

les réseaux de la parentèle

Généralement, la migration sénégalaise, en dehors de celle des primo-immigrants, s’inscrit dans le cadre de réseaux familiaux, ethniques, villageois, nationaux et confrériques. La vie communautaire traditionnelle et la pratique ancienne de l’islam, dans la moyenne vallée du fleuve, facilitent la constitution de réseaux de solidarités familiale, ethnique, villageoise – système de sudu.
L’organisation des « Halpoulaaren »33 en réseaux trouve son origine dans l’organisation sociale du Fouta. La vie communautaire traditionnelle et la pratique ancienne de l’islam dans cette région ont constitué les deux principaux motifs qui ont favorisé la constitution des réseaux de solidarité. Un réseau de solidarité est un regroupement de personnes qui, partageant des objectifs communs, crée les conditions favorables à une vie communautaire basée sur l’entraide mutuelle. La solidarité dont il s’agit ici est basée sur une relation de réciprocité.
Elle n’est pas mécanique, c’est-à-dire qu’elle ne se reproduit pas de manière automatique, quelle que soit la situation. Dès lors, si le cadet se soumet à l’aîné, c’est plutôt pour bénéficier de l’expérience du second, d’autre part, le fait que l’esclave ou le membre d’une caste accepte l’autorité du noble est dû à l’attente qu’il nourrit vis à vis du premier. Au Sénégal, voire en Afrique en général, la communauté – groupe social dont les membres vivent ensemble – apparaît comme la valeur cardinale de la vie en société.
Contrairement à d’autres villageois qui s’élancent dans l’aventure urbaine, le jeune immigrant toucouleur ne part pas à la ville sans quelques assurances.

les réseaux internationaux structurés

Les émigrés utilisent des réseaux internationaux pour arriver à destination. On a demandé aux enquêtés d’indiquer s’ils avaient quitté directement leurs villages pour l’étranger. Si la réponse est négative, ils devaient indiquer les différentes étapes (pays-villes) de leur migration, la durée de séjour et l’emploi occupé dans chaque étape.
Sur notre échantillon 30 % ont quitté leurs villages et avaient effectué plusieurs étapes avant d’arriver à leur destination.
La multiplication des mesures de contrôle conduit les migrants qui ne remplissent pas souvent toutes les conditions d’entrée dans ce pays, à séjourner au Cameroun, auparavant simple lieu de passage; ils essaient d’y reconstituer leur capital – souvent totalement grevé par le passage au Bénin, au Nigeria. Puis ils s’informent des possibilités de traverser la frontière du Gabon, ultime destination à partir du Cameroun; le migrant doit alors trouver les réseaux de passeurs camerounais ou maliens.
C’est le groupe constitué de coxeur 34 qui accueille les émigrés en transit et les aider à poursuivre le chemin pour le Congo, le Gabon ou un visa pour l’occident moyennant une somme d’argent.
Les réseaux des pirogues qui convoient les candidats à l’émigration en Europe clandestinement datent il ya plus de 20 ans. Déjà en 1980 des pirogues arrivaient à Gabir (Maroc) pour rejoindre l’Espagne. Ces pirogues sont conduites par des pécheurs qui ont une expérience. La stratégie consiste à prendre contact des rabatteurs chargés de mettre les candidats en relation avec les matelots d’une pirogue pour l’Espagne.
Le prix est discuté et les clients attendent la nuit pour embarquer. L’autre moyen d’accéder à bord consiste à se faire embaucher comme manœuvre et chercher un matelot et lui proposer une protection moyennant une somme d’argent. Et une fois à destination attendre une bonne occasion pour quitter le port.
Parmi les interviewées, certains ont émigré par voie terrestre jusqu’au Maroc, puis ils achètent les billets pour embarquer dans les chalutiers qui les conduisent vers le sud de l’Espagne. Une fois arrivés, ils prennent le train pour rejoindre les pays du Nord. La plupart des voyages se font la nuit pour tromper la vigilance de la police des frontières. En outre, pour éviter d’être arrêtés, les candidats traversent les montagnes des Pyrénées pour s’introduire dans le territoire français.

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les structures de transfert d’argent

Il n’y a pas de banque dans la CR. Nous avons trois bureaux de poste (Bokidiawé, Dondou, Nguidjilone), un CMS à Bokidiawé, l’IMCEC à Bokidiawé et Doumga Ouro Alpha.
La poste, par sa durée d’implantation a eu un avantage concurrentiel face à de nouvelles institutions de micro finances comme le CMS, IMCEC (Mars 2009).Les institutions de financement décentralisé offrent des canaux pour mobiliser l’épargne migratoire aux cotés des banques classiques. Elles apportent ainsi une diversification et une stratégie plus adaptée au financement de micro projets de développement au niveau local, dans la CR.
Ces différents opérateurs utilisent des mécanismes ayant de grandes similitudes, même si chacun cherche à se distinguer par des stratégies commerciales plus ou moins différentes pour chercher à accroître ses parts de marché. Une de leurs caractéristiques principales, en plus de la rapidité et de la fiabilité du service, est la possibilité d’envoi des fonds sans avoir un compte bancaire.
La poste utilise ses services habituels pour les transferts locaux (nationaux) et des services de l’opérateur WU dont elle est également un agent pour les transferts internationaux comme le CMS.
Les transferts de fonds des émigrés, évalués à 720 millions de F CFA par an environ, sont devenus un enjeu socio-économique déterminant dans l’économie de la CR et constituent la première source financière des familles des émigrés. Les institutions de transfert de fonds rencontrent des problèmes de retard des fonds du fait de l’enclavement « Dande Maayo » et de l’insécurité.
En mars 2009 un montant de 37 664 431 millions a transité par la poste de Bokidiawé et un montant de 37179387 millions à la poste de Dondou, dans le « Dande Maayo »(cf tableau).
A coté de ces institutions il y a le secteur informel de transfert d’argent appelé communément « fax » qui est un véritable circuit de transfert pour les émigrés.
Diverses recoupements et vérifications ont permis de constater que pour l’évaluation des montants financiers transférés, ce sont les immigrés qui fournissent les informations les plus fiables. Ces derniers sont en effet les principaux intermédiaires concernant les transferts de fonds. Les villageois indiquent de « l’à peu prés », ne savent pas précisément par qui tel projet a été financé, ni quels en étaient les partenaires.
Le passage de l’Euro en F CFA et de l’Euro en Ouguiya est assuré par des « agents » qui font la navette entre les villages de la CR pour se retrouver en Mauritanie afin de vendre l’Euro qui y est très sollicité.
Des millions de F CFA passent par ces canaux chaque mois (30 millions par mois). Notre étude sur les transferts financiers des émigrés avait montré la prééminence des structures informelles grâce à l’adoption des NTIC. En effet, les transferts bancaires étaient plus sûrs, mais les transferts informels étaient plus rapides et plus accessibles.
Chaque village dispose de son « fax » qui est un réseau disposant de représentants dans chaque pays d’accueil des émigrés. Ce dernier est chargé de recevoir les fonds des mains de l’émigré avec un coût pour prestation de service qui défie toute concurrence ‘un appel téléphone et l’opération est faite.
Ces données qui passent par le secteur formel ou informel montrent que l’émigration est un levier important pour le développement économique et social de la CR.
Cependant depuis un certain moment on note des attaques des bandits contre les propriétaires des « fax » dans la CR et en France. Cela a eu comme conséquence la diminution des nombres de « fax ». En dépit de certains difficultés, il est incontestable que les transferts effectues par les émigres sont une source de devises substantielle pour la CR et une manne financière importante pour les communautés d’origine.
En outre les institutions financières qui sont en partenariat avec la CR dans sa politique de développement sont :
La CNCAS (Caisse Nationale de Crédit Agricole du Sénégal) en ce qui concerne les banques classiques. Elle assure le crédit de campagne pour les GIE en règle et le financement des autres activités du milieu rural.
La CAPEC créée par le PRODAM a pour objectif de collecter l’argent pour épargne auprès de la population locale et de la redistribuer sous forme de crédits pour les porteurs de projets.
Son siège se trouve à Nguidjilone. La fédération des GPF dispose également d’un GEC à Matam.

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