Les caractéristiques d’une bonne question de recherche 

Les caractéristiques d’une bonne question de recherche 

Le cœur d’une bonne question de recherche, c’est d’abord l’absence de réponse évidente ou la présence de plusieurs réponses opposées qu’il faut confronter. Pour être digne de ce nom, une question doit ouvr.ir la porte sur l’inconnu : personne ne gagne à se poser une question dont on connaît d’avance la réponse. Par contre, se poser une question, c’est déjà y répondre de quelque façon. «Prenez le temps de lire le problème, nous répétaient nos professeurs, la solution est là» . Ils disaient vrai : une bonne question de recherche ferme le moins de portes possible . Un bon sujet est donc marqué au coin de l’incertitude. Est-il besoin de souligner le caractère éminemment personnel de maintes recherches : bien souvent, les travaux les plus intéressants débutent par la question qu’une personne se pose avec insistance, et se caractérisent par l’effort de fournir aux autres une réponse à cette question initialement d’ordre privé : Mais en tous cas, chacun a son visage, son hameau ou sa banlieue, ses voyages, sa langue ou ses langues, son métier, éventuellement sa religion ou sa non-religion, ses alliances ou ses conflits, son itinéraire et ses sinuosités, ses souvenirs et ses espérances, ses rétrospectives et ses prospectives, ses réussites et ses échecs … Chacun sait des choses que d’autres ne savent pas. Il a des éveils pour des domaines qui laissent d’autres allergiques. Il peut aller où d’autres ne pourront pas aller. Tout cela, tout cela compose une combinatoire qui donne à chacun son chiffre ( Desroche, 1971 : 26). Comme il arrive souvent dans la vie, la question de recherche n’est pas toujours retenue logiquement, pour son seul mérite intrinsèque, ni après une longue étude. La plupart du temps, c’est une affaire de chance, de hasard, de circonstances fortuites : on trouve ses meilleurs sujets de façon accidentelle . Par exemple, le politicologue Vincent Lemieux s’est intéressé au patronage parce que dans une recherche antérieure, quelqu’un lui avait glissé, à propos de l’époque post-duplessiste :«Il y a du bon patronage». La remarque l’avait intrigué et il a conduit un peu plus tard une recherche sur ce phénomène ( Lemieux et Hudon, 1977 ; Lemieux, 1977). J ‘ai trouvé mon sujet de doctorat en lisant un livre sur la démocratie, un ami a trouvé le sien en lisant un roman, un autre en regardant une carte géographique. Une étudiante de maîtrise a décidé de rédiger son essai sur les maisons de jeunes après avoir discuté avec son jeune frère qui en fréquentait une. Les façons de se trouver une bonne question de recherche sont multiples mais elle apparaît souvent sous la forme d’une illumination, d’une synchronicité. Je reviendrai plus longuement sur ce dernier point dans la partie traitant de l’analyse .

La délimitation du sujet de recherche 

Il est normal que l’objet de recherche soit plutôt vague au début, il n’est pas obligatoire de viser à la précision extrême ; il faut avoir une bonne idée, repérer les grands jalons et les lignes directrices, mais rien ne sert de tout planifier en détail. Si le chercheur n’est pas trop sûr de la question qu’il étudiera, le contact avec le terrain l’aidera à la préciser; la vraie question émerge parfois en cours de réalisation du projet. Le milieu ne propose pas seulement des réponses mais aussi des questions, et souvent plus intéressantes que celles que s’était initialement posées le chercheur. Bref, une fois que le chercheur sait à peu près où il s’en va, il peut commencer. Un bémol ici. De peur de manquer de matériel, l’étudiant retient un sujet ordinairement trop large au début. Il arrive aussi que la question posée au point de départ s’avère trop étriquée et qu’il soit nécessaire de l’élargir chemin faisant. Toutefois, la situation inverse se rencontre beaucoup plus fréquemment : le sujet est trop vaste et il faut le restreindre. Il m’a toujours semblé plus difficile de réduire le champ d’une recherche que de l’étendre : l’ampleur de la question apparaît alors qu’on est avancé et il est coûteux de couper dans le vif. Après avoir investi temps, énergie, et parfois argent, il n’est pas facile de réduire ses ambitions ( Deslauriers, 1 982 : 2). Il arrive aussi qu’en cours de route, on s’aperçoive qu’on s’est trompé de question, voire de sujet. Plus d’un est alors tenté de tout laisser tomber, ce qui est fort regrettable, car il y a souvent moyen de «recycler» des éléments de la recherche, de tirer profit de lectures faites dans une autre optique, ou de soumettre les mêmes données à une autre analyse . Avec un peu de ténacité, on verra que le travail déjà fait peut être utilisé parce qu’il a servi à éclaircir le sujet. C’est rare qu’on reparte complètement à zéro. D’habitude, quelques visites sur le terrain aident à préciser le sujet; on se rend vite compte si son projet est trop ambitieux compte tenu des moyens disponibles en termes de temps, d’argent, d’accessibilité des données, d’expérience, de capacités personnelles ( Desroche, 1971 : 29-36 ; Howard et Sharp, 1983 : 33-36 ) . Il est donc préférable de démarrer avec un sujet plus restreint pour limiter les erreurs, quitte à l’élargir par la suite. Une fois la trajectoire bien établie, il sera toujours temps de lui donner de l’ampleur. Car l’important est de terminer la recherche entreprise, c’est même capital . Il semble donc plus avantageux de donner une réponse satisfaisante à une question de plus petite envergure, que de tomber en   panne avec un projet qui restera en chantier ( Silverman, 1985 : 12; Locke, Spirduso et Silverman, 1987 : 18). Tous les sujets de recherche sont valables en autant qu’ils nous apprennent quelque chose . Certes, poussée à l’extrême, une telle position nous entraîne dans la banalité, mais l’avenir décidera de l’intérêt des recherches poursuivies actuellement et ce qui paraît futile pour l’instant soulèvera peut-être la curiosité des citoyens de l’avenir. De plus, nous pouvons être certains que les situations sociales en apparence les plus simples sont en fait plus complexes que nous ne serions portés à le croire de prime abord. Ceci dit, rien n’empêche qu’à l’aune du présent, certains sujets revêtent plus d’importance que d’autres, et tous n’ont pas la même pertinence . 

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La revue de la documentation

 Les auteurs recommandent ordinairement d’effectuer d’abord une revue approfondie de la documentation pour identifier concepts et théories pertinents. La première tâche du chercheur serait donc de se rendre à la bibliothèque pour voir ce que d’autres ont écrit avant lui ; les travaux effectués précédemment contribueraient à préciser le sujet de recherche, à développer des hypothèses et à fournir une base théorique . Alors, et alors seulement, le scientifique pourrait se risquer à aborder le terrain. Certains chercheurs qualitatifs sont d’accord avec cette position et croient toujours en la valeur d’une revue exhaustive de la documentation avant toute démarche sur le terrain : La recension des écrits constitue la pierre angulaire de l’organisation systématique d’une recherche . En effet, aucun chercheur sérieux n’oserait entreprendre une recherche sans avoir, au préalable, vérifié l’état de la question au niveau des écrits sur le sujet investigué . La sélection d’un problème de recherche exige de se familiariser avec les démarches effectuées sur le sujet de recherche ( Ouellet, 1982 : 95). D’autres par contre prétendent qu’il faut lire le moins possible pour ne pas développer de préconceptions et se garder ouvert aux questions que le terrain soulèvera, qu’il faut toucher au terrain avant de se réfugier dans la bibliothèque . Ce serait seulement après avoir recueilli des données et les avoir analysées brièvement qu’il serait utile de lire ce que les autres ont écrit. Les questions posées sont  alors plus précises car les données indiquent une orientation à suivre . La revue de la documentation revêt plus de signification, elle est moins aléatoire, davantage guidée et d’autant plus facile et efficace. Par contre, si la revue de la documentation présente des a van – tages, on n’insiste peut-être pas assez sur les inconvénients, plus subtils mais néanmoins réels. Par exemple, à mettre l’accent sur les recherches que les autres ont faites dans le passé, on oublie ce qu’on doit faire aujourd’hui, on perd son ouverture aux idées nouvelles et aux dilemmes de ses contemporains. Les idées que les autres ont développées cachent aussi celles qu’ils ont abandonnées, ignorées ou exclues, intentionnellement ou par hasard. Ce qu’un auteur dit est intéressant, mais ce qu’il tait l’est tout autant. Des idées négligées parce que moins eertinentes hier peuvent être davantage d’actualité aujourd’hui. A trop lire les autres, on oublie parfois des arguments qu’ils n’ont pas développés, mais qu’on devrait élaborer avec sa sensibilité, son expérience et, surtout, les données recueillies ( Becker, 1986 : 146). 

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