Capteurs sans fil autonomes dans l’aéronautique
L’ industrie aéronautique compte parmi les principaux demandeurs de capteurs sans fil. Il s’agit en effet d’un important moteur de l’activité économique et ses acteurs, bien qu’assez peu nombreux, se livrent à une forte concurrence, accentuée par l’émergence de nouveaux protagonistes (Brésil, Chine, Russie, . . .). Dans ce contexte, ce secteur est de fait marqué par un fort besoin de ruptures technologiques.
Parallèlement, ces dernières années témoignent d’une rapide évolution dans le domaine des systèmes électroniques sans fil. Cette évolution, notamment en termes de consommation d’énergie, de taille et de coût, permet d’envisager le déploiement en grand nombre de capteurs sans fil autonomes. Leur intégration étroite au sein de systèmes cyber-physiques est considérée comme un moteur majeur des cent prochaines années de croissance du transport aérien [9].
Aujourd’hui, l’autonomie énergétique des capteurs sans fil est à la fois une condition (presque) nécessaire et un verrou technologique considérable. Les travaux réalisés dans le cadre de cette thèse visent à proposer des solutions pour l’alimentation en énergie électrique de capteurs sans fil, essentiellement destinés à être installés à bord d’un avion.
Ce premier chapitre a pour but de situer le contexte de ce travail. Une première partie présentera le cadre général des capteurs sans fil, en s’intéressant à leur évolution, leurs caractéristiques essentielles et leur champ d’application. Nous évoquerons en particulier la question de l’autonomie énergétique qui sous-tend le thème de la récupération d’énergie ambiante.
Par la suite, nous présenterons les aspects scientifiques et technologiques associés à ce thème de recherche selon trois grands axes :
1.la récupération de l’énergie ambiante,
2.le stockage embarqué de l’énergie électrique,
3.la gestion de l’énergie ensituation d’autonomie énergétique.
Suivant chacun de ces axes, nous ferons un tour d’horizon des techniques existantes et des dispositifs développés jusqu’à aujourd’hui.
Enfin, nous conclurons ce chapitre en situant le contexte applicatif dans lequel s’inscrivent nos travaux, nous préciserons alors les objectifs poursuivis dans le cadre de cette thèse.
Capteurs sans fil autonomes
Historique
Si la première expérience de réseau de capteurs sans fil (Wireless Sensor Network,abrégéWSN) remonte vrais emblablement à l’époque de la guerre froide projet Smart Dust à la fin des années 90.Celui-civoit le jour à l’université de Berkeley et est associé à l’équipe du Pr. Pister, qui propose en 1997 la description d’objets de taille millimétrique (fig.1.1), organisés en réseau, capables de réaliser des mesures dans leur environnement et de transmettre des informations de façon autonome [12]. Cette vision, concrétisée cinq ans plus tard [13], fait figure de l’événement ayant donné l’élan aux efforts de recherche d’une communauté scientifique grandissante.
Usages et applications
Bien entendu, les réseaux de capteurs sans fil ne se limitent pas à la poussière intelligente des terrains militaires, mais s’étendent aux concepts d’« intelligence ambiante » et d’« Internet des objets ». Cestermes supposent notamment une dissémination à grande échelle et une connectivité accrue des objets et environnements de notre quotidien au réseau informatique planétaire. Un comité d’experts du CNRS affirme ainsi,dans un rapport sur l’intelligence ambiante publié en 2008[19], que celle-ci « est appelée à devenir un pilier déterminant de l’économie ».
Le champ d’application de cette technologie émergente s’étend ainsi à de nombreux domaines:médical,biologie,défense,génie civil, domo-tique, transports, . . .Les capteurs sans fil sont amenés à assurer des fonctions aussi variées que l’étude d’un milieu naturel [20], la mesure de paramètres physiologiques d’une personne [21], ou encore la surveillance de l’intégrité d’ouvrages de génie civil [22, 23] (voir fig.1.3)
Procédés de récupération d’énergie
Dans l’objectif de surpasser les limitations liées à l’autonomie énergétique des capteurs sans fil, la récupération d’énergie ambiante s’affirme progressivement comme une technologie-clé [35, 33, 36]. Celle-ci doit permettre la réduction du poids et du volume occupés par les dispositifs de stockage, supprimer la nécessité de remplacer les batteries(et le coût associé), et allonger l’autonomie de manière significative. On distingue couramment deux approches : la récupération d’énergie au fil de l’eau (energy harvesting)et la récupération d’énergie opportuniste (energy scavenging). Dans le premier cas de figure, la ressource est présente et accessible en permanence ; dans le second, la ressource est accessible par intermittence. La disponibilité de la ressource est en effet un facteur important vis-à-vis des besoins de stockage et des stratégies de gestion de l’énergie.
On parle de récupération d’énergie ambiante dès lors que l’on met en œuvre un système capable de convertir en énergie électrique une autre forme d’énergie (cinétique, thermique, électromagnétique, etc. . .) présente dans l’environnement du capteur. Hormis l’énergie solaire,lessources d’énergie les plus étudiées résultent d’activités humaines; citons par exemple les vibrations d’une machine tournante, la chaleur dégagée par un moteur ou encore le rayonnement électromagnétique émis par une antenne radio. Cette production locale d’énergie exploite une ressource qui serait autrement perdue. Néanmoins cela ne peut avoir lieu sans perturber
–de façon parfois négligeable–l’environnement en question; ainsi, la récupération d’énergie de vibrations mécaniques contribuein évitablement à leur amortissement.
Généralement, la connaissance des principes physiques mis en jeu et des technologies associées est déjà établie, notamment du fait de leurs applications dans le domaine des capteurs ou des actionneurs. Les transducteurs employés pour la récupération d’énergie sont souvent issus de l’adaptation et/ou de la miniaturisation de dispositifs traditionnellement développés pour réaliser une mesure. Toutefois, alors qu’un récupérateur d’énergie est optimisé pour extraire un maximum d’énergie,un transducteur destiné à la mesure est en principe optimisé pour être sensible à un paramètre physique en perturbant le moins possible son environnement.
Cela justifie le développement de nouveaux dispositifs dont la conception est spécifiquement orientée vers la récupération d’énergie.
Energie cinétique
La récupération d’énergie cinétique consiste à convertir l’énergie mécanique ambiante en énergie électrique. Cette ressource est disponible dans bon nombre d’environnements, notamment sous forme de vibrations, d’impacts ou d’autres types de déplacement. La récupération d’énergie cinétique est possible dans des contextes d’applications liés à l’industrie, aux transports, aux structures ou encore au mouvement humain.
Trois principaux types de générateurs sont employés, mettant en œuvre les mécanismes de transduction piézoélectrique, électrostatique et électromagnétique. Ces mécanismes permettent de générer de l’électricité à partir d’une contrainte mécanique ou du déplacement relatif qui a lieu dans le système.
Les matériaux piézoélectriques se polarisent lorsqu’ils sont soumis à une contrainte mécanique.On rencontre cet effet dans des monocristaux (quartz), des céramiques (PZT), des polymères (PVDF) ou encore des oxydes en couche mince (ZnO). Le comportement de ces matériaux est anisotrope, c’est pourquoi l est caractérisé par des constantes qui dépendent de la direction considérée 2.
Rayonnement radiofréquence
Les ondes électromagnétiques radiofréquence, émises notamment par les antennes de télécommunications (GSM, GPRS, WiFi, etc. . .), véhiculent de l’énergie au même titre que les ondes lumineuses, cependant avec une intensité nettement moindre.
E. Yeatman propose une approximation de la densité de puissance récupérable à partir du champ rayonné par une antenne UHF [73]. Celleci peut-être approchée grossièrement parE 2 /Z0,oùEest l’intensité du champ électrique etZ0l’impédance en champ libre. Il est montré que pour un champ électriqueE=10V/m, la densité de puissance vaut26µW/cm2, d’où il est déduit qu’un champ de plusieurs V/m est un minimum pour pouvoir alimenter un nœud autonome. Il rappelle enfin que des champs électriques d’une telle intensité sont rarement disponibles sauf à proximité d’antennes émettrices, ce qui limite de fait l’applicabilité de cette méthode de récupération d’énergie.
Néanmoins, un certain nombre de travaux s’intéressent à cette technologie [74, 75, 76, 77], et portent en particulier sur le développement de rectenna(voir fig.1.20), dispositifs jouant le rôle d’antenne et de redresseur.
Energie thermique
La plupart des environnements sont le lieu d’échanges thermiques, où de l’énergie évacuée sous forme de chaleur peut être récupérée et convertie en électricité.
La conversion d’un flux d’énergie thermique est possible grâce à deux propriétés différentes observées chez certains matériaux et alliages : la pyroélectricité et la thermoélectricité.
Pyroélectricité
De façon analogue à l’effet piézoélectrique, l’effet pyroélectrique correspond à la propriété qu’un matériau possède de se polariser lors qu’il est soumis à des variations de température. Le pouvoir pyroélectrique est décrit par un coefficient p(C.m -2.K -1 )reliant la variationduchampélectrique à la variation de température.
Contexte aéronautique et positionnement de la thèse
Nous avons présenté dans ce chapitre un état de l’art des techniques existantes en matière de récupération d’énergie ambiante, de stockage d’énergie embarqué, de circuits de gestion de l’énergie pour les systèmes électroniques autonomes.
Dans le prolongement de l’introduction générale, où nous avons présenté les liens – présents ou à venir – entre les réseaux de capteurs sans fil et l’industrie aéronautique, nous nous intéressons ici plus en détail aux applications concrètes pour lesquelles les capteurs sans fil sont de potentiels candidats.
Les capteurs autonomes dans le contexte aéronautique
Applications
La réduction du poids des appareils, de leur consommation encarburant, et des coûts associés à la maintenance, constituent ainsi une part essentielle des problématiques aujourd’hui connues par les avionneurs.
En particulier, l’utilisation de structures en matériaux composites est une approche importante vers la réduction du poids [136], toutefois cela soulève de nouvelles problématiques quant au vieillissement des structures. Traditionnellement, certains assemblages mécaniques structurels fortement contraints, comme les systèmes de propulsion et l’APU (Auxiliary Power Unit), sont des éléments critiques dont la surveillance automatisée est fortement désirée [137].
La détection précoce de l’apparition de défauts structurels représente donc un défi majeur pour l’industrie aéronautique. Celle-ci doit notamment permettre de réduire significativement les opérations de maintenance non planifiées, qui pèsent le plus lourdement sur les coûts de maintenance [138]. Le Structural Health Monitoringre présente ainsi une des applications clés envisagées pour les WSN. La vision du SHM vise, à l’instar du corps humain, à doter un appareil d’un système nerveux capable de détecter l’apparition de défauts, de les localiser et d’en suivre l’évolution (cf. figure1.42).
En outre, l’implémentation de systèmes sans fil possède un avantage certain dans le cadre dure trofit sur des appareils déjà en service.
Positionnement de la thèse
L’objectif général poursuivi par les travaux présentés dans ce mémoire consiste au développement et à la mise en œuvre de solutions de récupération d’énergie ambiante dans un contexte applicatif aéronautique. Ces solutions doivent naturellement être en mesure de générer une puissance électrique compatible avec celle requise par un capteur sans fil. Cet objectif contient une importante composante système,c’est-à-dire que nous nous intéressons à la mise en œuvre de systèmes autonomes complètement opérationnels.
Financées conjointement par la DGA et la société Intesens, nos activités se sont inscrites dans différents cadres contractuels.Nous avons ainsi débuté, dans le cadre d’un contrat direct avec Airbus, par une étude sur la récupération d’énergie thermique, dans le but d’alimenter un système de capteurs sans fil voué à la détection d’impacts lorsque l’avion estausol.
Les travaux que nous avons réalisés sur la génération thermoélectrique – et que nous présentons au chapitre 2–seplacentdanslecadre collaboratif qui nous a associé à un projet de récupération d’énergie dans la zone du mât réacteur d’appareils Airbus. Cette étude a été financée par l’Etat et la région Midi-Pyrénées, dans le cadre du programme ELECTRA portant sur le thème de l’avion plus électrique.
Table des matières
Avant-propos
Table des matières
Liste des figures
Introduction générale
1 Capteurs sans fil autonomes dans l’aéronautique
1.1 Capteurs sans fil autonomes
1.1.1 Historique
1.1.2 Usages et applications
1.1.3 Autonomie énergétique
1.2 Procédés de récupération d’énergie
1.2.1 Energie cinétique
1.2.2 Energie électromagnétique
1.2.3 Energie thermique
1.3 Méthodes de stockage d’énergie
1.3.1 Stockage électrochimique
1.3.2 Stockage électrostatique
1.3.3 Micro-dispositifs de stockage
1.4 Stratégies de gestion d’énergie
1.4.1 Conversion AC/DC
1.4.2 Conversion DC/DC
1.4.3 Multi-sources
1.5 Contexte aéronautique et positionnement de la thèse
1.5.1 Les capteurs autonomes dans le contexte aéronautique
1.5.2 Positionnement de la thèse
2 Récupération d’énergie par génération thermoélectrique
2.1 Physique de la thermoélectricité
2.1.1 Effet Seebeck
2.1.2 Facteur de mérite
2.2 Modélisation d’un module thermoélectrique
2.2.1 Modèle électrique équivalent
2.2.2 Rendement
2.2.3 Influence des contacts thermiques
2.2.4 Paramètres dimensionnants
2.3 Convertisseurs thermoélectriques
2.3.1 Modules thermoélectriques
2.3.2 Dissipateurs thermiques
2.3.3 Convertisseurs DC/DC
2.4 Application: alimentation d’un datalogger autonome embarqué sur avion
2.4.1 Contexte
2.4.2 Spécifications
2.4.3 Choix technologiques
2.4.4 Générateur thermoélectrique
2.4.5 Circuit de gestion de l’énergie
2.4.6 Validation du système complet
2.4.7 Conclusion
Conclusion
3 Super condensateurs et stockage adaptatif
3.1 Principe de l’architecture adaptative
3.1.1 Structure de base
3.1.2 Extension à un ordre supérieur
3.1.3 Comportement en charge
3.1.4 Comportement en décharge
3.1.5 Choix des seuils de commutation
3.2 Réalisation en composants discrets
3.2.1 Maquette expérimentale
3.2.2 Circuit de commande
3.2.3 Validation du principe
3.3 Une tentative d’intégration
3.3.1 Un circuit simplifié
3.3.2 Résultats expérimentaux
Conclusion
4 Récupération d’énergie aéroacoustique
4.1 Un état de l’art
4.1.1 Récupération d’énergie acoustique
4.1.2 Récupération d’énergie d’un flux d’air
4.2 Phénomène aéroacoustique
4.2.1 Bruit de cavité
4.2.2 Modèle de Rossiter
4.3 Tests sur cavités rectangulaires
4.3.1 Banc de mesures B2A
4.3.2 Test de cavit és seules
4.3.3 Ajout d’une membrane piézoélectrique
4.3.4 Résonateur de Helmholtz
4.4 Circuit de gestion de l’énergie
4.4.1 Introduction des choix architecturaux
4.4.2 Convertisseur AC/DC
4.4.3 Convertisseur DC/DC
4.4.4 Stockage et étages de protection
4.5 Mise en œuvre du système complet
4.5.1 Conditions de test
4.5.2 Résultats expérimentaux
Conclusion
Conclusion générale
A Annexes
A.1 Détermination du seuil de commutation optimal pour l’architecture adaptative
A.2 Structure du programmeVHDLpour la commande de l’architecture adaptative
Bibliographie