En réponse à la globalisation et aux besoins d’innovation, les entreprises s’ouvrent davantage à l’international (Mayrhofer, 2011), entrainant un bouleversement de leurs structures organisationnelles (Doz et al., 2001) et une mutation des relations sièges – filiales (Mayrhofer, 2011). Au regard de la gestion des ressources humaines, les organisations envisagent désormais de manière plurielle la question de l’inscription des salariés dans des lieux et temps de travail différents. Cela se traduit par l’accroissement des besoins en ressources internationales et l’émergence des nouvelles formes de mobilité internationale (Petrovic, Harris et Brewster, 2000 ). Ces dernières, plus temporaires remplacent les affectations permanentes (Blackhurst Polovina, 2007 ; Cerdin, 2011). Les prévisions font ainsi état d’une poursuite de cette tendance (Mayerhofer, Schmidt, Hartmann et Bendl, 2011 ; Welch, Welch et Worm, 2007). Les formes alternatives de mobilité internationale incluent, par exemple, des affectations de court terme (trois mois à un an), le commuting européen ou international, l’utilisation de cadres pendulaires à l’international ou de grands voyageurs, les affectations virtuelles ou bien encore les rotations de personnel sur les postes à l’étranger (Petrovic, Harris et Brewster, 2000 ; Tahvanainen, Welch et Worm, 2005 ; Welch, Welch et Worm, 2007 ; Cerdin, 2011). Parmi ces différentes formes, la mobilité pendulaire internationale, forme hybride de flexpatriation (Mayerhofer, Hartmann, Riedl et Kollinger, 2004) et de commuting, regroupe les cadres qui, mandatés par leur entreprise, navettent de manière fréquente entre leur pays de résidence et un ou des lieux de travail, situés dans un ou des autres pays. La mobilité pendulaire internationale présente de nombreux avantage. Premièrement, elle répond aux besoins organisationnels : d’une part, dans une logique de création de valeur, elle favorise le transfert et l’échange de connaissances entre les entités du groupe et le développement des compétences des cadres mobiles (Barmeyer, 2007) et, d’autre part, elle permet aux organisations d’être réactives dans la mise en place de dispositifs de gestion efficaces, garantissant la performance des filiales à l’étranger et en assurant le contrôle. Deuxièmement, elle permet aussi aux cadres d’internationaliser leurs parcours professionnel sans pour autant s’expatrier. Cependant, elle suppose un certain nombre de contraintes comme un rythme de travail intensif ou les difficultés de concilier le travail avec la famille, qui peuvent se traduire par des déséquilibres psychosociaux et conduire à des situations de souffrance au travail.
Dans un objectif exploratoire, ce travail doctoral examine les caractéristiques et la relation au travail des cadres pendulaires à l’international. Il consiste en la mise en lumière, d’une part d’un certain nombre de contraintes de travail et de ressources dans le cadre du modèle exigences-ressources (Demerouti et al., 2001) et d’autre part d’éléments de stabilité et d’érosion de leur relation de travail à partir du cadre d’analyse du contrat psychologique (Rousseau, 1989). Il débouche sur des propositions concernant un dispositif de prévention efficace des risques psychosociaux propres à cette catégorie de personnel.
Après avoir brièvement défini le périmètre de la recherche, nous précisons les motifs et l’intérêt de la recherche. Puis, nous évoquons le positionnement épistémologique de la recherche ainsi que la méthodologie mobilisée. Enfin, nous présentons le déroulement de l’argumentation développée au fil de ce travail.
Exemples de cadres pendulaires à l’international
Nicolas, 32 ans, Ingénieur, Manager Projet dans le secteur automobile, est responsable du développement d’une nouvelle turbine. Il doit donc gérer le projet, physiquement, dans les différents sites de production de son groupe et est ainsi amené à se déplacer hebdomadairement à l’international.
Kelly Peterson, 30 ans, Auditeur Interne dans le secteur agro-alimentaire, est en charge des missions fraude de la zone « reste du monde ». Elle effectue des missions dans les entités de sa multinationale en Afrique et Asie. Elle voyage donc entre ces différents continents et son siège social en Europe.
Il existe de nombreuses définitions des cadres. Ce travail s’ancrant dans une perspective internationale, nous avons retenu celle proposée par le Bureau International du Travail (1977) : « toute personne qui a terminé un enseignement et une formation professionnelle de niveau supérieur ou qui possède une expérience reconnue équivalente dans un domaine scientifique, technique ou administratif, et qui exerce, en qualité de salarié, des fonctions à caractère intellectuel prédominant, comportant l’application à un haut degré des facultés de jugement et d’initiative et impliquant un niveau relativement élevé de responsabilité.». Pour l’office statistique de l’Union européenne (1988), les cadres se divisent en deux groupes. Le premier comprend « les membres de l’exécutif et des corps législatifs, cadres supérieurs de l’administration publique, dirigeants et cadres supérieurs d’entreprise », le second «les professions intellectuelles et scientifiques ». Dès lors, la population des cadres concernerait une catégorie étendue de salariés qui exercent une activité demandant un certain niveau de connaissances et d’expériences. Si la catégorie des cadres renvoie à un personnel bien spécifique et identifiable en France, ce n’est pas le cas partout (Bouffartigue, 2002 ; Desmarais, 2006). Bien qu’il n’existe pas une définition légale de cette notion, le rôle de cadre est attribué par l’entreprise sur la base d’accords collectifs et d’accords de branche. Ainsi, la catégorie de personnel équivalente aux cadres correspondrait aux professionals et dirigenti en Italie, aux managers en GrandeBretagne.
Quel que soit le pays concerné, un certain nombre de problématiques sont à mettre en relation avec cette catégorie de personnel :
➤ la disparition du modèle traditionnel de carrière verticale. Les organisations, plus flexibles et plus internationales, recherchent des profils de cadre différents privilégiant la disponibilité à la mobilité et la capacité d’adaptation à des milieux culturels. Par ailleurs, la promesse d’un emploi à long terme cède la place à la promesse d’employabilité (Guerrero, 2001). A la promotion verticale est préférée la promotion horizontale, c’est-à-dire la promotion du cadre à un poste dont le niveau de responsabilité reste le même mais avec un changement de fonction ou de domaine d’activités (Guerrero, 2001) ;
➤ l’absence d’activité d’encadrement pour 20 à 50% des cadres. La fonction d’encadrement est soumise à de nombreux bouleversements (Desmarais et Tessier, 2006), comme la valorisation de nouveaux modèles managériaux et organisationnels qui se traduisent par une intensification du travail (Livian et Burgoyne, 1997 ;Tomas et Dunkerley, 1999) et un accroissement de la pression, de l’augmentation du stress (Desmarais 2006) et de la banalisation de la catégorie des cadres (Dupuy, 2005) ; les frontières entre cadres en noncadres sont de plus en plus difficile à discerner, en raison de la banalisation de la catégorie et de ses conditions de travail (Delteil et Dieuaide, 2001). Les cadres, à l’exception des cadres dirigeants, ne sont plus forcément acteurs dans la prise de décision stratégique de l’organisation (Dupuy, 2005) ;
➤ la diffusion anglo-saxonne d’une typologie : les profils experts vs. managers (Boltanski et Chiapello, 1999). Selon Kornhauser (1962), l’expert est considéré comme un « homme de la profession à opposer au manager, homme de l’organisation ». L’expert démontre en général une implication dans son métier plus importante que son implication dans l’organisation. Ainsi, l’expert ferait carrière dans plusieurs entreprises alors que le manager ferait carrière dans une seule organisation avec laquelle il tisserait d’étroits liens. Le nombre de personnes encadrées semble être une variable explicative assez pertinente du lien avec l’organisation et des modes de gestion des cadres.
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