Définition
Tel que défini par Characklis and Marshall (1990), un biofilm est constitué de cellules immobilisées sur un support et généralement ancrées dans une matrice de polymères organiques d’origine microbienne. Ce terme de ≪ biofilm » apparaît pour la première fois dans un article scientifique en 1975 dans la revue Microbial Ecology (Mack et al., 1975). Si le terme existe depuis une quarantaine d’années seulement, les biofilms quant à eux représentent un mode de vie bactérien bien plus ancien, retrouvé notamment dans des fossiles vieux de plus de 3,3 milliards d’annees (Hall-Stoodley et al., 2004). Ainsi, à la différence des bactéries dites planctoniques, c’est-à-dire libres et en suspension dans un milieu liquide, un biofilm est un regroupement plus ou moins dense et organise d’individus sur un support solide. Avec plus de 99% des especes bacteriennes capables de s’organiser sous forme de biofilm, ce mode de vie est omniprésent au sein des procaryotes (Costerton et al., 1987). Preuve de l’avantage stratégique que ce mode de vie confère, la majorité des bactéries dans les milieux naturels se retrouve sous forme de biofilms (Costerton et al., 1978).
De manière simplifiée, cinq compartiments définissent et interagissent avec le biofilm : le support, le biofilm basal, le biofilm de surface, la phase liquide dans laquelle le biofilm est immergé, la phase gazeuse (Characklis and Marshall, 1990). Ils sont représentés sur la Figure I-1. Le support constitue la phase solide sur laquelle les microorganismes vont s’adherer. Il peut être lui-même mobile ou fixe. Dans certains cas, ce support est fait de matières inertes issues de la dégradation et minéralisation de microorganismes : il s’agit d’un biofilm autoporté communément appelé granule (Liu and Tay, 2002). Le biofilm basal est une couche de faible épaisseur, celle la plus proche du support. Ces propriétés en termes de composition microbiologique, composition des polymères de la matrice, cohésion, densité sont généralement sensiblement différentes à celles du biofilm pris dans son ensemble (Besemer et al., 2009a; Derlon et al., 2008; Ras et al., 2013; Rochex et al., 2009).
Le biofilm de surface quant à lui peut présenter des architectures diverses : des microcolonies séparées par des canaux, des streamers, des bouquets de protozoaires… (Böhme et al., 2009; Rusconi et al., 2011; Stewart, 2012). Il est beaucoup plus sujet aux agressions que le biofilm basal, notamment la predation, le detachement, l’erosion ou l’action de produits chimiques. La phase liquide est en contact direct avec le biofilm. Grâce aux phénomènes de convection et de diffusion, elle permet aux microorganismes d’acceder à des substances solubles indispensables à leur croissance. De la même manière, elle est aussi le vecteur des produits chimiques et antibiotiques s’attaquant aux biofilms. La phase liquide permet en outre d’alimenter le biofilm en gaz dissous issus du dernier compartiment, la phase gaz. Les echanges gazeux se font en effet generalement par l’intermediaire de la phase liquide. Ces echanges vont dans les deux sens, par exemple pour un biofilm phototrophe, l’oxygene est apporté et le dioxyde de carbone évacué.
Composition Concernant plus précisément les compartiments purement biologiques (biofilm basal et de surface), un biofilm est principalement constitué de microorganismes pris dans une matrice de substances polymériques extracellulaires (EPS) secrétées par les dits microorganismes. Sa composition globale est détaillée dans le Tableau I-1. Les biofilms sont essentiellement constitues d’eau. Les microorganismes, qu’ils soient procaryotes, protozoaires ou metazoaires, et la matrice d’EPS ne representent que quelques pourcents de la masse totale. Néanmoins, la matrice seule peut representer jusqu’a 50 a 90% du carbone organique total du biofilm (Bakke et al., 1984). Les EPS qui composent la matrice sont determinantes pour l’acquisition de la structure morphologique. Elles confèrent notamment aux biofilms leur densité et leur force de cohésion interne et donc leur résistance aux phenomenes de detachement. Leur composition est tres variable, puisqu’elle depend des microorganismes qui les produisent mais aussi de signaux environnementaux qui vont générer des métabolismes et des communications intercellulaires qui influencent leur synthèse (Liu and Tay, 2002; Stoodley et al., 2002).
Avantages
du mode de vie biofilm L’organisation sous forme de biofilm présente des avantages significatifs par rapport aux bactéries planctoniques. Comme rapporté par Hall-Stoodley et al. (2004), le développement sur un support solide permet d’apporter une certaine stabilité dans les paramètres environnementaux, facilitant ainsi la croissance bactérienne. De plus, cette organisation permet de se premunir contre divers dangers environnementaux tels que l’exposition aux UV, la presence d’elements toxiques (metaux, acides, antibiotiques…), la salinite, la déshydratation ou encore la phagocytose et la présence de virus. En effet la matrice joue le role de barrieres chimique et physique, limitant l’acces de potentielles agressions a l’ensemble de la population. Cependant, il est à noter que ces mêmes propriétés peuvent être responsables d’une limitation de l’acces aux substrats au sein des couches inferieures du biofilm. En outre, plusieurs etats physiologiques des cellules peuvent etre trouves au sein d’un meme biofilm. Chaque etat pouvant avoir une sensibilite differente a l’agression donnee (notamment certaines cellules dites dormantes peuvent présenter une résistance accrue aux antibiotiques), cette diversité garantit la pérennité de la colonisation microbienne (Walters et al., 2003). Audelà de cette diversité physiologique, on trouve dans les biofilms matures une diversité de micro-habitats permettant la recrudescence d’une large variete de metabolismes et/ou d’especes (Battin et al., 2007; Ohashi et al., 1995; Rochex et al., 2008; Stoodley et al., 2002). La encore, par ses differents degres d’organisation et de variabilite, le biofilm assure une colonisation durable et robuste de son milieu. Enfin les différents phénomènes de dispersion, qu’ils soient actifs via la motilite microbienne ou passifs via les forces exercees par le fluide, permettent aux microorganismes de coloniser de nouveaux milieux (Hall-Stoodley et al., 2004). Ainsi ces arguments expliquent l’avantage strategique d’une organisation en biofilm par rapport a une configuration planctonique et donc l’ubiquite de ce mode de vie.
biofilms « négatifs »
Un biofilm peut etre dit negatif pour differentes raisons. Tout d’abord dans le milieu médical, les biofilms peuvent être responsables de maladies infectieuses (Costerton et al., 1987). Ils peuvent se développer sur les équipements médicaux tels que des lentilles de contact (Andrews et al., 2001), des prothèses et implants (Yu et al., 2012), des outils chirurgicaux (Busscher and van der Mei, 2006; Hall-Stoodley et al., 2004). Ils sont ainsi à l’origine de la plupart des maladies nosocomiales et leurs consequences peuvent etre fatales pour les patients touchés. Ils se retrouvent aussi directement sur certains organes comme les poumons ou la bouche (Bos et al., 1995; Ojima et al., 1998; Park et al., 2011). L’etude des biofilms est donc fondamentale pour prévenir le développement de certaines maladies. Dans les milieux industriels, les biofilms négatifs peuvent là encore être la source de problèmes sanitaires graves. Dans les secteurs agroalimentaires, un développement de biofilms pathogènes sur des produits destinés à la consommation est un risque majeur. Des maladies telles que la listériose ou la salmonelle sont dues aux développements bactériens sur des denrées alimentaires (Mangalappalli-Illathu et al., 2008; Meylheuc et al., 2006). De la même manière, les réseaux de distribution en eau potable peuvent être sujets à la croissance de biofilms (Gagnon and Slawson, 1999; Revetta et al., 2013). Non seulement sanitaires, les conséquences de la présence de biofilms peuvent être économiques. Dans les milieux industriels, un développement de biofilm peut engendrer des pertes de performance de procedes. A titre d’exemple, un biofilm qui se developpe dans un échangeur thermique, dans un procéde membranaire ou dans une conduite qu’il va corroder, peut perturber le bon fonctionnement du système (Brugnoni et al., 2011; Habimana et al., 2014). De nombreux travaux s’interessent a la prevention de la formation de biofilms et au nettoyage d’installations industrielles colonisees (Brugnoni et al., 2012; Florjanič and Kristl, 2011; Lelièvre et al., 2002).
biofilms « positifs » Les biofilms jouent aussi un rôle positif pour notre santé. La surface de notre peau est recouverte d’un biofilm dont la presence engendre une competition microbienne rendant plus difficile la colonisation par des organismes pathogènes (Percival et al., 2012). Les biofilms gastro-intestinaux assurent également un rôle de protection et participent au processus de digestion (Macfarlane et al., 2011). De plus, les biofilms peuvent s’averer etre des outils biotechnologiques d’un interet majeur. Leur usage est reconnu pour la restauration de sols pollués notamment par les hydrocarbures: on appelle cette technologie la bioremédiation. Ils sont aussi très couramment utilisés dans le traitement des eaux usées, que celui-ci se fasse en conditions aérobies, anoxiques ou encore dans le cadre d’un procede de methanisation (Derlon et al., 2012; Elenter et al., 2007; Habouzit et al., 2011; Martin and Nerenberg, 2012). De manière plus générale, les procédés à biofilms présentent de nombreux intérêts comparativement à des procédés de type boues activées (Lazarova and Manem, 1995; Nicolella et al., 2000). Leur résistance aux composés toxiques et leur capacité à résister à des fluctuations en ressources en font une technologie robuste. De plus, le fait que les microorganismes soient fixés à un support solide permet de grandement faciliter le traitement aval de séparation entre le liquide et la flore épuratoire. Pour cette même raison, une rétention de biomasse est possible, les concentrations en biomasse bactérienne peuvent être largement augmentées et les micro-organismes à faibles taux de croissance (ex : Archées dans les procédés de digestion anaérobie) peuvent être retenus. De plus, comme évoque precedemment, l’organisation de biofilms multi-espèces en plusieurs microhabitats va permettre de traiter plus efficacement différentes pollutions au sein du même réacteur. La Figure I-3 represente le fonctionnement d’une technologie d’assainissement a biofilm : la biofiltration ou Filtre Biologique Aéré (BAF). Cette technologie à lit fixe consiste à faire croitre un biofilm sur un materiau filtrant. L’eau a traiter va passer en flux ascendant au travers de ce matériau. La dépollution soluble est donc concomitante à la dépollution particulaire.
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