Les biens culturels : elements du patrimoine culturel

La problématique du rapatriement ou de la restitution nécessite de définir ce qu’est un bien culturel, sans omettre de l’associer à la notion, plus vaste, de patrimoine culturel et sa fonction de transmission.

En effet, La notion juridique de bien culturel comporte une certaine part d’indétermination, cette notion dépendant des conceptions et des sensibilités propres de la civilisation concernée. Cette imprécision tient dans la difficulté évidente à appréhender la notion d’art. Sous réserve d’engagements internationaux, chaque Etat est en effet libre de décider s’il entend protéger certains biens culturels particuliers, et, dans l’affirmative, la manière par laquelle il souhaite le faire. Sur le plan général, la convention de l’UNESCO concernant les mesures à prendre pour interdire et empêcher l’importation, exportation et le transfert de propriété illicite des biens culturels du 14 novembre 1970 définit les biens culturels comme « les biens qui, à titre religieux ou profane sont désignés par chaque Etat comme étant d’importance pour l’archéologie, la préhistoire, l’histoire, la littérature, l’art ou la science » qui appartiennent à différentes catégories d’objets parmi lesquelles figurent en particulier les biens d’intérêts artistique tels que les tableaux, peintures, dessins et sculptures. En marge de tout, il est nécessaire de souligner que la notion de bien culturel repose initialement sur un jugement de valeur qui doit être opéré par les autorités concernées mais qui ne passera outre les critères prévus par les conventions internationales à la matière, ce jugement portant précisément sur la valeur artistique et, ou culturel. C’est ainsi, ils ont été prévus dans certaines législations la terminologie assez significative afin de protéger certains types des biens culturels. Ainsi, le droit français connait l’appellation de « trésor national » .

Par ailleurs, Ces biens culturels protégés font partie du patrimoine culturel mobilier d’un Etat qui doit être transmis de génération en génération. Ce qui fait que la notion du patrimoine culturel soit plus large et vaste que celle des biens culturels car elle englobe cette dernière dans la mesure où le bien culturel est un élément du patrimoine culturel. C’est ainsi, porter atteinte aux biens culturels par le pillage, le trafic illicite, la saisie forcée quel que soit le contexte, c’est aussi porté atteinte au patrimoine culturel d’un Etat ou d’une communauté puisque celui-ci ne se résume pas seulement par les connaissances (patrimoine culturel immatériel) transmises d’une génération à une autre, mais aussi par les objets culturels (patrimoine culturel matériel : mobilier) qui cimentent l’imaginaire culturel d’un peuple.

Ainsi, La restitution des biens culturels ne constitue qu’un aspect de la coopération internationale en matière culturelle. En outre, elle n’est pas envisagée exclusivement en cas de trafic illicite, de pillage pendant le conflit armé ou encore de saisie pendant l’expansion coloniale. Raison pour laquelle les Etats sont appelés à régler la question de restitution des biens culturels d’abord par des moyens pacifiques de règlement des différend internationaux (voie diplomatique et judicaire) avant d’envisager d’autres moyens puisque la restitution est un aspect particulier de la protection des biens culturels.

De ce fait, animée par la volonté manifeste de lutter pour la reconstitution de son patrimoine culturel longtemps démembré, la R.D.C est dans une phase de réclamation de ses biens culturels se trouvant en dehors de son territoire (en Belgique) comme le font d’autres pays africains. D’une part, il sera question dans ce premier chapitre de circonscrire d’une manière générale le contexte africain et congolais en particulier de dépossession de ces biens ainsi que les différentes tentatives de réappropriation de ces joyaux. D’autre part, nous aborderons les principes majeurs qui accompagnent la restitution des biens culturels afin de voir dans le deuxième chapitre dans quelle mesure la R.D.C compte protéger ses biens culturels ainsi que la nécessité qu’il y a de rapatrier ceux qui se trouvent sous l’emprise de l’ancienne puissance coloniale pour lui permettre non seulement d’être rétabli dans son droit de participer à la vie  culturelle , mais aussi de jouer une carte pour son économie dans ce monde où tout secteur pouvant contribuer au budget de l’Etat n’est pas marginalisé.

CONTEXTE HISTORIQUE DE DEPOSSESSION ET DE REAPPROPRIATION DES BIENS CULTURELS

La question du rapatriement et de la restitution interfère dans divers domaines. Elle surgit dans la spoliation des biens suite au pillage des sites archéologiques, dans le commerce illicite tout comme dans les biens confisqués pendant la colonisation. Ainsi, il existe une disproportion flagrante et insupportable dans la répartition des biens patrimoniaux congolais : près de 90% de son patrimoine mobilier se trouverait en dehors du territoire national. Il est aussi à préciser que le patrimoine culturel africain et congolais en particulier inclut autant les œuvres d’art que les objets botaniques, zoologiques et religieux que les fétiches, les bijoux, les armes, les masques et les restes humains.

Voilà l’importance de relever le contexte de dépossession ainsi que les tentatives de réappropriation d’une partie de ce patrimoine africain en général et congolais en particulier afin de voir dans quelle mesure il est nécessaire aujourd’hui d’évoquer la question du rapatriement et de la restitution de ces biens pris dans des circonstances scandaleuses.

Période précoloniale et coloniale

Aux origines de l’humanité, l’Afrique a constamment échangé avec d’autres continents. Elle n’a pas seulement fourni sa force de travail, son or et ses matières premières depuis les millénaires, mais également son savoir-faire et ses cultures constamment remodelés. Son histoire est inscrite dans les dynamiques mondiales”.

Pourtant l’Afrique ne constitue qu’une terra incognita au sud des Canaries sur la cartographie du XVème siècle. A l’instar des Portugais, elle attire de plus en plus d’explorateurs européens à partir du XVIème siècle. Ces derniers rapportent les premiers objets africains en Occident qu’ils obtiennent à travers des achats et des échanges. Autour de 1540, l’Europe se dote de précieux “Cabinets de curiosité”, avec un certain goût pour l’hétéroclisme et l’inédit. Ces cabinets sont initialement destinés aux princes,  désireux de constituer des collections d’objets extraordinaires, des sortes de trésors. Ces œuvres exotiques sont en majorité fabriquées par des artisans spécialisés pour l’exportation occidentale, d’après des modèles proposés par les Européens. Au fil du temps, les cabinets se démocratisent. L’existence de ces cabinets va perdurer jusqu’au XVIIème siècle et sont ensuite disloqués dans d’autres collections.

Vers 1870 apparaissent les explorateurs, parmi lesquels STANLEY, LIVINGSTONE et SAVORGNAN DE BRAZZA. Des collections botaniques, de restes humains, d’objets de cultes, de masques et d’armes se forment en Europe, notamment dans le Musée du Trocadéro ou encore au Jardin des Plantes. Ces objets sont obtenus à travers des échanges, des achats ou des dons mais aussi par la force.

Grace aux explorations, Vient le moment de la Conférence de Berlin de 1884-1885, aussi connue comme la Conférence sur le bassin du Congo. Elle procède au partage colonial de l’Afrique entre pays européens. L’événement coïncide avec la création de nouveaux musées en Europe : le British Museum en 1881, le Musée d’ethnographie du Trocadéro en 1882, le Musée de Tervuren en 1897, le Linden Museum de Stuttgart en 1911 ou encore le Musée Colonial de Lyon en 1911. De plus, à la fin de la Première Guerre mondiale, les Allemands perdent leurs colonies et souhaitent approvisionner leurs musées.

C’est le début d’une “exportation bon gré mal gré” de 66% du patrimoine africain à travers des collectes par quatre types d’acteurs : l’armée, les scientifiques, les missionnaires chrétiens et les explorateurs. L’armée opère de façon systématique concernant les butins de guerre culturels. Il s’agit principalement d’armes et de trophées de guerre. Une première sélection, sous forme de tri d’ordre hiérarchique et de ventes internes, s’effectue sur place .

Ainsi, en RDC particulièrement la guerre de conquête s’est déclarée rapidement à la fin du 19éme suite aux révoltes des populations locales qui ne supportaient pas l’envahissement des européens dans leur territoire. Nous avons connu des révoltes telles que celles de Luluabourg, de la colonne de Dhanis, de shinkakasa et autres. Qui, d’ailleurs réprimées avec agressivité par les belges en emportant tout y compris les objets culturels sur le passage.  Arrivés en Europe, les objets les plus prestigieux incorporent directement les collections nationales. D’autres sont vendus aux enchères, atterrissent dans des collections privées ou restent dans les familles des militaires impliqués.

Les missionnaires procèdent par un système d’échange : des fétiches contre une âme chrétienne. Les premières congrégations religieuses détruisent les fétiches pour leur symbolique animiste. Mais au fur et à mesure de leurs longs séjours sur place, les missionnaires deviennent de fins connaisseurs et commencent à constituer de véritables collections, notamment d’objets rituels. Ces ensembles sont envoyés en Occident dans les congrégations respectives ou alors vendus aux musées, très en demande de ce genre d’objets ethnographiques.

Les mêmes musées confient des missions de grandes collectes aux expéditions scientifiques et aux explorateurs. Les demandes des musées européens sont telles que les mandatés les placent en concurrence pour faire monter les enchères. Les scientifiques mettent l’accent sur des séries, sur l’exhaustivité et la transformation des objets. Une grande partie des objets confisqués serait le résultat d’un butin de guerre. Les autres collectes s’effectuent avec ou sans consentement. Elles se matérialisent sous forme d’échanges (contre des boutons, des draps légers, des fils de cuivres, des perles, des soieries ou des cuillères), de donations, d’achats plus ou moins équitables, mais aussi par des vols.

La translocation des biens culturels africain en générale et congolais en particulier toutes catégories confondues (œuvres d’art, armes, objets du quotidien, fétiches, objets de cérémonie mais aussi objets religieux, botaniques, zoologiques et des crânes) dans les institutions muséales européennes est planifié de manière systématique et devient l’un des objectifs principaux de la collecte coloniale . Des rapports et des correspondances entre les fournisseurs et les institutions sont très explicites à ce sujet. En témoigne Michel Leiris qui prit part à la Mission Dakar Djibouti : « Les méthodes de collecte des objets sont 9 fois sur 10 des méthodes d’achats forcés pour ne pas dire des réquisitions (…) Tout cela jette une certaine ombre sur ma vie et j’en ai la conscience à demi tranquille (…) Autant des aventures comme celle de l’enlèvement du Kono me laissent sans remords puisqu’il n’y a pas d’autres moyens pour obtenir de tels objets et que le sacrifice lui-même est un élément assez grandiose. Autant les achats d’objets communs me laissent perplexes car j’ai bien l’impression que l’on tourne dans un cercle vicieux. On pille des nègres sous prétexte d’apprendre aux autres comment les aimer, c’est-à-dire en fin de compte informer d’autres ethnographes qui iront eux aussi les aimer et les piller ».

Au début du XXème siècle, une grande catégorie d’artistes d’avantgarde européens comme Picasso, Le Corbusier, Kirchner, Nolde et Derain visitent les musées ethnographiques européens et s’inspirent grandement dudit “art nègre”. Cet “art exotique” influence autant le travail des architectes et des artistes que des cinéastes européens.

Autour de 1900, des maisons de commerce se mettent en place, notamment Webster en Grande Bretagne et le Musée Humlauff en Allemagne. Le premier se fournit en Grande-Bretagne, mais le marchand allemand passe des commandes en Afrique et fait venir la marchandise par bateau. Les marchands fournissent des catalogues détaillés et illustrés, parcourent l’Europe pour vendre leurs biens auxmusées et font aisément monter les enchères, tant la demande est grande. Des maisons de ventes comme Drouot commencent également à proposer des objets africains dans leurs ventes. Dans les années 1930-1940, les artisans africains commencent à fabriquer des objets pour le marché européen. L’Occident, en quête d’’authenticité, commence à s’en désintéresser. Cela n’empêche que l’on retrouve beaucoup de ces objets encore aujourd’hui dans les musées.

En 1940, le missionnaire Grébert, qui fournissait beaucoup de pièces au Musée d’ethnographie de Genève, écrivait : “les descendants des Fang devront, pour connaître leurs arts passés, venir en Europe contempler dans nos musées l’habileté ancestrale, et si les barbares modernes ne détruisent pas toutes nos bibliothèques, ils pourront lire leur passé et se demanderont si, dans certains domaines, “moderne” signifie toujours “progrès”.

Table des matières

INTRODUCTION
O.1 PROBLEMATIQUE
0.2 HYPOTHESES
0.3. METHODES ET TECHNIQUES
0.4. CHOIX ET INTERET DU SUJET
O.5. DELIMITATION SPATIO-TEMPOREL DU SUJET
0.6. ANNONCE DU PLAN
CHAPITRE I. LES BIENS CULTURELS : ELEMENTS DU PATRIMOINE CULTUREL
SECTION 1. CONTEXTE HISTORIQUE DE DEPOSSESSION ET DE
REAPPROPRIATION DES BIENS CULTURELS
§.1 Période précoloniale et coloniale
§2. Période postcoloniale
SECTION 2. LES PRINCPES AUTOUR DU RAPATRIEMENT OU DE LA
RESTITUTION DES BIENS CULTURELS
§1. La cohérence du patrimoine reconstitué, la primauté de l’objet et la
personne légale à agir
§2. Règlement pacifique des différends
CHAPITRE II. LA R.D.C. A LA QUETE D’UNE PARTIE DE SON PATRIMOINE CULTUREL
SECTION 1. PROTECTION DES BIENS CULTURELS
§1. Protection en temps de paix
§2. Protection en temps de conflit armé
SECTION 2. RAPATRIEMENT DES BIENS CULTURELS CONGOLAIS, UNE
NECESSITE ET UN DROIT RECONNU A LA R.D.C
§1. Patrimoine culturel de la R.D.C, son impact dans la réaffirmation de
l’identité culturelle et sur le développement
§2. Le droit du peuple congolais à participer à la vie culturelle
CONCLUSION

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