Les bibliothèques des clercs séculiers du duché de savoie du XVIIIe siècle à 6
Peu d’allusions aux lectures sont faites jusqu’au collège
La mise en pension des enfants chez les ecclésiastiques Certains curés de village prennent en pension de jeunes gens. Le curé Coppier, près d‟Annecy, héberge pendant deux années un fils d‟une famille noble, arrivé dans son presbytère, dès l‟âge de six ans. Il lui apprend « quelques teintures » de belles-lettres et de géographie, soit quelques rudiments de matières classiques. Par contre, c‟est un fonds solide de religion qui est inculqué à l‟enfant1 . Cela correspond à l‟objectif que les parents ont assigné à l‟ecclésiastique. L‟inverse est aussi vrai puisqu‟il arrive qu‟un neveu d‟un curé soit placé en pension chez un bourgeois. Ainsi, le curé Baussand d‟Arenthon reçoit en 55 une lettre de maître Audé, notaire à La Roche-sur-Foron, au sujet de son neveu placé dans son étude et de fait dans sa 1 Jean NICOLAS, La Savoie au e siècle. Noblesse et bourgeoisie, Maloine, Paris, 78, 2 t, 5 p. et 74 p., t.1, p famille1 . Le temps est venu de fixer le prix de la pension et c‟est l‟occasion de rappeler les obligations réciproques des deux parties contractantes : « Monsieur, pour répondre a la lettre que vous m’avé fait l’honneur de m’ecrire dattée de cejourdhuy. J’ay celluy de vous dire que vous m’aurié fait, et a mon epouse un veritable plaisir de fixer la pention de vostre neveu, ne le voulant faire si vous trouvé que ce soit trop de quatorze livres par mois vous en rabattre ce qu’il vous plaira, il sera nourris a nostre table tout comme nos filles, on blanchira son linge, et on aura du vin, je luy montreray l’arithemetique, et il me remplira des contracts pour s’occuper, et se mettre au fait des affaires luy demandant cependant le secret de ce qu’il verra, et de ce qu’il entendra dire ché moy. Mon epouse vous presente ses respects, et nos filles leurs respectueuses obeissances, et ay l’honneur d’être tres respectueusement. de La Roche, ce e may 55. Vostre tres humble et tres obeissant serviteur Audé G. ». Ainsi, il apparaît clairement que le curé peut jouer de ses relations pour placer des membres de sa famille en apprentissage, qu‟il se soucie du devenir de ses neveux, de ses nièces. Une véritable solidarité familiale et intergénérationnelle existe, avec comme vecteur de promotion sociale, le fait d‟acquérir un certain bagage culturel. Il existe de véritables dynasties cléricales, par exemple en Ile-de-France2 . Un individu suscite des vocations dans sa famille au sens large. En Pays de Caux, le curé de CriquetotL‟Esneval, le révérend Jean Thérouéime en poste de 92 à , attire près de lui comme vicaire, son neveu Justin, avant qu‟il ne devienne curé de Sausseuzemares. Il héberge également un autre neveu, nommé Pierre Le Febre, étudiant en philosophie à Rouen en 97. Comme souvent, c‟est un de ses neveux, Étienne Roche, qui lui succède de à . Un autre, Louis Chartier est affecté à la cure d‟Annet-sur-Marne, sans compter trois autres qui sont Nicolas-François Roche, Guillaume Géhenaut, Nicolas de Sacy, nommés respectivement à la cure de Bouillancy, dans le diocèse de Paris et dans le diocèse de Meaux. Au total, ce sont onze enfants, neveux et nièces, qui vont devenir membres du clergé séculier ou régulier. Bien sûr, cet exemple est extrême par son ampleur mais il se reproduit dans une moindre mesure un peu partout, que ce soit en Ile-de-France ou en Savoie. Certains clercs tiennent aussi le rôle de précepteurs en France au XVIIIe siècle. Pourtant, cette activité est condamnée par les évêques, comme celui de Cahors Henri-Guillaume Le Jay en 85 : « Deffendons à tous les prêtres et ecclesiastiques de notre diocèse de demeurer à l’avenir dans les maisons particulières des laïques pour y exercer l’office et charge de précepteur ou autre sans notre permission expresse donnée par écrit ». Mais les prélats ne sont pas forcément écoutés car, en 72, le vicaire Audibert privilégie le poste de précepteur des enfants de madame Chambert, source de trois cents livres de gages, à celui de maître de la régence latine du village. À Escatalens, la première fonction rapporte encore plus pour le clerc enseignant les enfants de la famille Domingon à leur domicile, soit trois cent soixante livres, en . Avant le collège, le passage dans un pensionnat Mais il existe également des pensionnats, particulièrement dans les villes et les bourgs du duché. Ceux-ci sont présents le plus souvent lorsqu‟existe un collège. Les deux institutions se révèlent complémentaires puisque la première assure l‟hébergement et garde pour la classe les élèves les plus jeunes ou les moins capables, alors que la seconde accueille dans ses cours les enfants désireux de poursuivre des études d‟un bon niveau. À Rumilly, le cas de figure se présente avec le pensionnat établi par Monsieur Donzel, dont on sait juste qu‟il est natif et habitant de la ville d‟Annecy1 . Voici les articles à respecter : L’on ne recevra aucun enfant qui sera au dessus de quinze ans Messieurs les parents payeront a l’entree de leurs enfants au pensionnat, la somme de soixante livres pour les trois premiers mois de la pension, ainsi à continuer et plus, selon la cherté des vivres. Les jeunes gens qui lui seront confiés mettront en depot entre ses mains l’argent qu’ils auront reçu de Mrs leurs parents et il le leur distribuera chaque semaine lorsqu’il le jugera a propos et qu’il sera content de leur conduite Ils ne sortiront jamais seuls de la maison lorsque la bienséance ou quelqu’autre motif les obligera à faire des visites, ils seront toujours accompagnés et ne seront jamais perdus de vûe, soit dans les recreations, soit dans les autres exercices Il leur est defendu de parler à aucun etranger sans en avoir obtenu la permission, ils ne pourront sans permission recevoir ni ecrire des lettres On les fera approcher chaque mois les sacrements, et on les y conduira L’étude du samedi soir sera consacrée en partie à leur apprendre le catéchisme du Diocèse. l’on instruira particulièrement tous les jours en Carême ceux qu’on destinera a la premiere Communion Ils se leveront à six heures en hiver ; à cinq heures en été et ils s’habilleront promptement, apres quoi ils feront la priere du Diocese en commun en presence du maitre, ensuite on commencera la classe, à huit heures et demi ils dejeuneront, apres cela ils reprenderont l’etude. A onze heures et demi, ils se mettront à table , pendant le repas ils se tiendront en silence, et on aura soin de les faire manger proprement. Après le repas on leur permettra une demi heure de récréation laquelle etant finie, ils se rendront à l’etude, qui durera jusqu’à ce que la classe commence Après la classe, on leur laissera une demi heure pour gouter et se delasser, après quoi ils se rendront à l’etude A.D.H.S. E Rumilly. Règlement du pensionnat de Monsieur Donzel, juillet 75 Ils souperont à sept heures, après le souper on leur permettra de se recréer jusqu’à huit heures. A huit heures ils feront la prière du Diocèse en commun. Laquelle étant finie, ils iront coucher en silence chacun dans le lit qui lui est assigné. Les jours de vacance ils se leveront à six heures. Lorsqu’ils seront habillés ils feront la prière comme à l’ordinaire. On les mettra ensuite sur leur propre. on leur donnera à dejeuner et on les conduira en bon ordre à la messe laquelle ils seront deux heures. Après la messe, ils se rendront a l’etude pour gouter et se delasser, après quoi ils se rendront à l’etude. La récréation sera prolongée les jours de congé jusqu’à une heure et ensuite ils reprendront l’étude. A deux heures, on les conduira a vêpres, si c’est le dimanche ou jour de fête, et puis à la promenade ou bien on leur procurera quelqu’autre amusement, lorsque le tems ne permettra pas de sortir. A cinq heures, l’etude recommencera à l’ordinaire, ou bien on leur fera faire quelques lectures spirituelles. Ceux qui seront capables d’aller au college, y seront accompagné par un precepteur en bon ordre soit en allant, soit en revenant. Reglement signé par le maître de pension Joseph Marie Duchêne en présence du secrétaire de la ville de Rumilly. Le règlement de 75 est relativement simple. L‟impression qui prédomine est le peu de temps laissé libre aux enfants pour faire autre chose qu‟étudier. Dans un ensemble de seize articles, pas moins de sept font référence à des obligations religieuses des élèves, qu‟il s‟agisse de faire la prière du diocèse, de se rendre à la messe, d‟approcher les sacrements, de faire des lectures spirituelles, d‟apprendre le catéchisme du diocèse. La vie du pensionnaire est rythmée par la prière. Le maître de pension veille à donner une éducation avant tout religieuse aux jeunes garçons. Cela est d‟ailleurs spécifié dans l‟en-tête du règlement. On doit veiller à la piété et aux bonnes mœurs puisque figurent également les mots « politesse » et plus loin « bienséance ». La piété, l‟étude et la politesse sont les trois principaux fondements sur lesquels on instruit les élèves. La durée des cours est fort longue pour des enfants si jeunes. Le pensionnat se veut un lieu dans lequel les activités du corps comme de l‟esprit sont étroitement surveillées. La présence des adultes est continue. Elle transparaît à travers la répétition du pronom personnel « on » dans le texte. La discipline est sévère. Inévitablement, ce règlement préfigure celui d‟un lieu qui va être le prolongement naturel du pensionnat pour certains élèves, à savoir le séminaire. Ce sont dans les pensionnats et dans les collèges que l‟Église va recruter les futurs ecclésiastiques des diocèses de Savoie.3. Le collège petit séminaire d’Annecy Les petits séminaires sont implantés dans le duché de Savoie, à Chambéry et à Annecy. Ce dernier est créé en . Il porte ce titre de à . Il s‟établit dans les locaux du collège chappuisien fondé au XVIe siècle. L‟histoire de cette institution est d‟une extrême complexité tant interfèrent des problèmes liés à l‟affectation des rentes permettant le fonctionnement du collège et l‟octroi de bourses pour des étudiants ; des dissensions entre les différentes autorités tant royales que municipales ou diocésaines ; des divergences au sein du personnel enseignant où se côtoient des ecclésiastiques et des laïques ; des enjeux de société puisque les parents sont plus ou moins satisfaits des possibilités d‟études offertes à leurs enfants ; sans compter la dimension européenne prise par cette œuvre émanant d‟un bienfaiteur qui envisage dès le départ que le collège d‟Annecy soit complémentaire du collège d‟Avignon, de l‟université de Louvain en particulier en vue de permettre aux meilleurs élèves de la ville d‟Annecy et même des provinces de la Savoie de faire des études jusqu‟à obtenir différents doctorats. Bien entendu, l‟établissement n‟échappe pas aux soubresauts de l‟histoire tels la Révolution ou les changements successifs de régimes politiques. L‟action de l‟Église est ici capitale à la fois dans sa volonté de contrôler cette institution, d‟en nommer les professeurs, d‟en administrer les bâtiments, de veiller à la gestion des bourses, d‟influer le plus possible dans le choix des cours, d‟où découlent non seulement le recrutement des élèves, mais aussi nécessairement la question de la formation et du renouvellement du personnel ecclésiastique du diocèse. Si les jeunes gens ont réellement débuté leurs études au collège, c‟est le passage au petit séminaire qui entérine leur choix de se destiner à revêtir plus tard la soutane. C‟est dans ce lieu que la culture cléricale se forme avant d‟être approfondie au grand séminaire. En cela, le passage au petit séminaire, étape dans la formation des ecclésiastiques, mérite d‟être envisagée. Pour comprendre la création du petit séminaire, il faut remonter le cours du temps jusqu‟à l‟établissement du collège. Dès l‟origine, le collège chappuisien est géré par une administration composée du doyen de l‟église collégiale de Notre-Dame, du prieur du couvent des Dominicains, de quatre syndics de la ville. On voit ici l‟importance du rôle de l‟Église. Dès , ce sont les Barnabites qui sont choisis pour enseigner les élèves de la classe des abécédaires jusqu‟à celle de philosophie, ce qui n‟empêche pas des conflits et des procès concernant les bâtiments par exemple. En , le souverain de Savoie retire l‟enseignement aux Barnabites. Un mémoire sur le collège datant de l‟extrême fin du XVIIIe siècle évoquant le nom des instituteurs, le nombre des élèves, comporte une rubrique intitulée « Observations » particulièrement intéressante, même si elle traduit un parti-pris qui est vraisemblablement celui d‟un homme d‟Église, nostalgique d‟une époque où le collège était synonyme de discipline et d‟un enseignement de qualité, ce qui expliquait le nombre élevé d‟élèves1 : « L’instruction pour atteindre un but salutaire et sujette à diverses reformes tant dans le mode que dans l’objet de l’enseignement ; on devrait appliquer les jeunes gens aux principes de la langue latine, aux connaissances les plus utiles à la société, et les former dans une étude qui les conduise à la vertu, et aux bonnes mœurs, au lieu de s’attacher à ces grands discours oratoires sans but, ni conclusion. La ville d’Annecy a environ £ 6 de revenus provenant de la fondation d’Eustache Chappuis pour acquitter le traitement des instituteurs. Avant la revolution le collège chappuisien jouissait d’une grande consideration et étoit le 1er du mont blanc et comptoit dans son seing annuellement 5 étudiants, dez son renouvellement qui a eu lieu en l’an 6, on y en comptoit déjà près de la moitié du nombre ordinaire, mais des principes revolutionnaires enseignés dans quelques cours en ont éloignés les habitants des campagnes, qui son imbus de l’opinion que les enfants y reçoivent une education contraire aux bonnes mœurs, à la soumission, et au respect qui sont dus aux parents, de sorte que on sait peu de choses des conditions de vie des séminaristes. Ce collêge bien loin de reprendre son ancien lustre, est dans le cas de tomber insensiblement, si le gouvernement ne prend des mesures efficaces pour y établir une discipline, un ordre et un enseignement, où l’on puisse 1 A.M.A R 68 Nombre des élèves des différents professeurs, note et observations sur les progrès des étudiants (92-), p76. acquerir des mœurs, et les sciences les plus analogues aux besoins de l’ordre social, ainsi qu’on est dans le cas de l’établir, et d’en reclamer dans peu l’autorisation aupres des autorités superieures, afin de servir le public qui depuis quelques années croupit dans l’ignorance, et procurer à cette ville une ressource, qui donnoit l’existence à beaucoup de familles ». Vers l‟année , il n‟y a plus que cent quatre-vingt six élèves au collège. Ce point de vue montre que l‟inscription des enfants au collège dépend en partie de la perception qu‟ont les parents de la qualité de l‟enseignement, donc des professeurs. Un paragraphe, intitulé « Progrès des étudiants », le confirme : « D’après les examens, qui ont eu lieu à la fin de l’année, on s’est convaincu, qu’on a suffisamment cultivé dans chaque cours la mémoire des elèves, qui ont montré dans cette partie beaucoup d’émulation, et leurs progres auroient repondu à l’attente du public, si l’instruction étoit dirigée vers les connaissances les plus utiles dans l’ordre social ».
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