Les batteries redox à circulation d’électrolyte

En ce début du XXIe siècle, la production énergétique mondiale est encore largement dominée par l‟utilisation de combustibles fossiles, qui constituent près de 80 % de l‟énergie primaire exploitée par l‟homme. Parmi elles, le pétrole pour le domaine des transports et le charbon pour la production d‟électricité tiennent la tête. Les autres sources d‟énergies exploitées sont, par ordre d‟importance, la biomasse et les déchets (10 %), le nucléaire (6 %), l‟hydroélectricité (2 %) et les énergies dites renouvelables (1 %) représentées principalement par le solaire et l‟éolien.

L‟économie mondiale, de par sa forte dépendance aux énergies fossiles, se retrouve face à une double menace. D‟une part, la quantité nécessairement limitée des combustibles fossiles associée à une demande en constante augmentation conduira à une rupture à plus ou moins long terme des approvisionnements. L‟offre ne pourra ainsi plus suivre la demande. Ce risque est aggravé par des facteurs géopolitiques du fait de la concentration de ces ressources dans certaines régions du monde, comme au Moyen-Orient dans le cas du pétrole. L‟autre risque majeur associé à l‟exploitation des ressources fossiles est, bien entendu, d‟ordre environnemental et sanitaire. Les pollutions diverses, et surtout le réchauffement climatique global dû à l‟émission massive de gaz à effet de serre comme le dioxyde de carbone, font planer une menace grandissante sur la planète. Les experts s‟accordent à dire que pour éviter une catastrophe environnementale d‟ordre mondial due à une augmentation de la température moyenne supérieure à 2°C, il faudrait réduire de moitié les rejets atmosphériques de CO2 d‟ici 2050 [Sto10].

Dans ce contexte il est alors nécessaire d‟engager une transition énergétique qui permette de fournir à long terme l‟énergie nécessaire à l‟humanité tout en réduisant très significativement la part des énergies carbonées au profit des énergies non carbonées telles le nucléaire ou les énergies renouvelables. L‟objectif des « trois fois 20 » que l‟Union Européenne s‟est fixé pour 2020 va dans ce sens : diminuer la consommation d‟énergie de 20 %, réduire les émissions de CO2 de 20 % et atteindre pour les énergies renouvelables une part de 20 % dans la fourniture d‟énergie primaire. Pour opérer cette transition, le stockage aura un rôle prépondérant à jouer.

Les intérêts du stockage de l‟énergie et de l‟électricité en particulier sont multiples. Tout d‟abord, stocker l‟énergie électrique produite par les centrales permet d‟adapter l‟offre à la demande. Les sources d‟énergies renouvelables étant très souvent intermittentes, notamment dans le cas du solaire et de l‟éolien qui varient suivant la latitude, l‟heure de la journée, la saison et les conditions météorologiques, il est impossible de produire de l‟électricité à une puissance qui soit en phase avec la demande des utilisateurs. La pénétration massive des sources d‟énergie renouvelables dans la production d‟électricité ne pourra ainsi se faire qu‟en les couplant à des moyens de stockage adaptés. Il en va de même pour le nucléaire, dont les centrales nécessitent d‟être opérées de manière continue et qui doivent avoir recours à des centrales thermiques d‟appoint fonctionnant au gaz ou au fioul pour pallier les pics de demande. Ainsi, l‟utilisation de moyens de stockage pour récupérer l‟électricité produite pendant les périodes creuses pourrait éviter les pollutions associées. Le stockage a aussi un intérêt primordial pour les sites isolés (îles, refuges, régions éloignées du réseau) qui ne peuvent être raccordés au réseau et qui doivent produire leur propre électricité. Le stockage de secours permet également d‟assurer une continuité de fourniture d‟électricité en cas de panne sur le réseau. Enfin, pour les systèmes mobiles, le stockage d‟électricité embarqué assure le fonctionnement de bon nombre d‟appareils électriques et permettra peut être au domaine des transports de s‟affranchir du pétrole

Les solutions pour stocker l‟énergie électrique sont nombreuses. On distingue les systèmes de stockage électrochimiques (batteries, supercondensateurs) des systèmes de stockage mécaniques (volant d‟inertie, air comprimé, stockage gravitaire de l‟eau…). Les critères de sélection d‟un système de stockage sont tout aussi nombreux (quantité d‟énergie et puissance disponibles, densité de stockage en énergie et en puissance, durée de vie, coûts d‟acquisition et de maintenance, sécurité…) et le choix se fait en fonction de l‟application. Pour les applications embarquées, on privilégiera une grande densité de stockage pour limiter le poids, alors que ce dernier n‟est pas primordial dans les applications stationnaires pour lesquelles la quantité d‟énergie et la puissance disponibles sont prépondérantes.

Concernant les systèmes de stockage stationnaires de masse, le plus ancien et de très loin le plus répandu est le stockage gravitaire de l‟eau dans des stations de transfert d‟énergie par pompage (STEP). Il permet de stocker de très grandes quantités d‟énergie (plusieurs centaines de MWh) pour un coût de fonctionnement favorable sur le long terme. Le nombre de sites disponibles est cependant limité. Les systèmes à compression d‟air constituent le second type de stockage stationnaire d‟importance dans le monde. Viennent ensuite les systèmes électrochimiques, avec notamment la batterie sodium-soufre principalement installée au Japon et intéressante en terme de prix, tout comme la batterie au plomb qui peut délivrer de fortes puissances. Les batteries redox à circulation constituent un type particulier de stockage électrochimique potentiellement intéressant pour les applications stationnaires.

Les batteries redox à circulation d‟électrolyte (redox-flow batteries ou RFB en anglais) constituent un type particulier de générateurs électrochimiques qui utilisent les changements d‟état d‟oxydation d‟espèces redox solubles ou en partie solubles pour stocker et restituer l‟énergie électrique.

Divers systèmes ont été proposés à ce jour qui ont tous en commun la mise en œuvre de deux couples redox dont chacun est associé à une polarité et dont au moins une des espèces est dissoute en électrolyte. La plupart des systèmes utilisent deux électrolytes distincts, dans lesquels sont dissoutes les espèces correspondant à chaque couple. Ces électrolytes sont stockés en réservoirs externes et acheminés, par un système de pompage, vers le réacteur où les espèces réagissent électrochimiquement au contact d‟électrodes inertes, générant ou accumulant l‟énergie électrique désirée. Les deux électrolytes sont alors séparés par une membrane conductrice ionique dont le rôle est d‟assurer l‟électroneutralité du système tout en évitant la migration d‟espèces actives d‟un électrolyte à l‟autre.

Les espèces électroactives impliquées dans les réactions aux électrodes peuvent être toutes solubles, conduire à la création d‟un dépôt solide ou d‟une espèce gazeuse à l‟une des deux électrodes, ou bien de dépôts solides aux deux électrodes. La présence de deux électrolytes distincts et d‟une membrane est requise quand il y a nécessité de séparer les produits de charge, afin d‟éviter l‟autodécharge du système. Certains systèmes, cependant, ne nécessitent pas de membranes et peuvent fonctionner avec un seul électrolyte (voir classification des systèmes redox ci-après). Dans tous les cas, la tension de la cellule dépend des potentiels standards respectifs des couples redox mis en jeu, de la cinétique de chacune des demi-réactions aux électrodes et des chutes ohmiques se produisant dans l‟électrolyte, dans la membrane éventuelle et dans les collecteurs de courants.

Une batterie complète est constituée d‟un ensemble de cellules élémentaires associées en série et/ou en parallèle. Le montage le plus courant est le montage dit « bipolaire » qui permet de mettre en série un grand nombre de cellules par l‟intermédiaire de parois étanches et conductrices électroniques séparant les compartiments, Ces parois sont en contact d‟un côté avec une électrode positive et de l‟autre avec une électrode négative. Elles assurent le collectage et le transfert des électrons entre deux cellules adjacentes. En modulant le nombre d‟éléments connectés en série et en parallèle, il est possible d‟obtenir une large gamme de courants, de tensions et donc de puissances pour le système de stockage.

Table des matières

Introduction générale
1. Les batteries redox à circulation d’électrolyte
1.1. Présentation générale
1.1.1. Constitution et architecture
1.1.2. Classification des systèmes redox en circulation
1.1.3. Exigences des différents éléments
1.2. Avantages et utilisation des batteries redox à circulation
1.3. Quelques technologies de batterie redox
1.3.1. Fer/Chrome
1.3.2. Vanadium-vanadium
1.3.2.2. Electrolytes
1.3.2.3. Electrodes
1.3.2.4. Membrane
1.3.2.5. Installations des batteries vanadium à travers le monde
1.3.2.6. Autres technologies employant le vanadium
1.3.3. Brome-polysulfure
1.3.4. Systèmes hybrides zinc-brome et zinc-cérium
1.3.4.1. Zinc-brome
1.3.4.2. Zinc-cérium
1.4. Limites et challenges futurs des batteries redox à circulation
1.4.1. Performances
1.4.2. Durée de vie
1.4.3. Coûts
2. Technologie plomb soluble-acide méthanesulfonique
2.1. Introduction
2.2. Principe de fonctionnement d’une cellule redox Pb-AMS
2.3. Etudes de cellules à électrodes planes de faibles dimensions
2.3.1. Caractéristiques générales (tension, rendements)
2.3.1.1. Réponses en tension
2.3.1.2. Rendements faradiques et énergétiques : influence des conditions d‟utilisation
2.3.2 Etudes du plomb à l’électrode négative
2.3.2.1. Additifs pour le plomb
2.3.2.2. Influence de la densité de courant et de la composition d‟électrolyte
2.3.3. Etudes du dioxyde de plomb à l’électrode positive
2.3.3.1. Morphologie et phases cristallographiques d‟un électrodépôt
2.3.3.2. Dioxyde de plomb en cyclage
2.4. Etudes de cellules à électrodes planes de 100 cm²
2.4.1. Réponse en tension
2.4.2. Analyse des modes de défaillance
2.4.3. Prolongement de la durée de vie
2.4.3.1. Maintien de la concentration en Pb2+
2.4.3.2. Cyclages en décharges partielles
2.4.3.3. Traitement du réacteur à l‟eau oxygénée
2.4.4. Modélisation du réacteur Pb-AMS
Conclusion générale 

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