Les bandes-annonces

Les bandes-annonces

La première saison de la série Romanzo Criminale continue d’exister bien après la fin des épisodes : elle est « tenue en vie » dans le temps entre les deux saisons et elle est revitalisée avec un grand déploiement de moyens en correspondance avec le lancement de la deuxième.
Pour le lancement de la deuxième saison, on observe par exemple des vidéos qui résument les événements de la première, mettant en avant la centralité du personnage du Libanais et le moment lyrique de sa mort. On observe aussi la proposition d’une bandeannonce officielle suivie d’une version longue diffusée plus tard. Ce cinéma des « attractions à venir », des « (coming) attractions », selon la formule de L. Kernan, empruntée à T. Gunning (Gray, 2010 : 50), joue avec les attentes des spectateurs, se construisant comme une promesse de ce qui viendra, contenant du connu et de l’inconnu.
Les fans se réjouissent de ces vidéos, qui confirment, avant la diffusion de la nouvelle saison, que le monde qu’ils ont aimé n’est pas fini, mais au contraire qu’il est encore là, prêt à les recevoir, avec les mêmes personnages devenus désormais des figures familières, et des nouveautés qui apporteront le frisson de l’inconnu. Les spectateurs des bandes-annonces se laissent surprendre par des images spectaculaires (voir par exemple la séquence de l’explosion de la voiture pour la deuxième saison) dont ils ne peuvent pas encore connaître le contexte narratif et qui, par-delà, nourrissent leurs discours, leur permettant de formuler des hypothèses sur la diégèse à venir. Dans le cas de Romanzo Criminale, tout se joue dans l’espace entre les textes et, cela, sous deux aspects : les spectateurs ont, avec la bande-annonce, de la matière à partir de laquelle se demander de quelle manière la saison à venir sera plus ou moins fidèle à la saison passée et, tout à la fois, au récit véhiculé par le film et par le livre.
Deux notions de fidélité sont en jeu dans la bande-annonce : la fidélité au style innovant et sombre de la série, aimé et célébré et dont on espère retrouver l’empreinte, et la fidélité au monde diégétique de Romanzo Criminale. Pour ce dernier élément, deux dimensions sont en jeu : le diégétique et l’éthique. Ainsi, tout en attendant de se laisser entraîner par le développement du récit, et en désirant connaître la « vérité », les spectateurs seront prêts à réagir à des coups de théâtre révélant des aspects méconnus du passé des personnages (et notamment la figure de Dandy, qui soulève de nombreuses réactions de haine lorsqu’on l’identifie, à la fin de la deuxième saison, comme le traître responsable de la mort du Libanais).
La bande-annonce devient un espace de négociation du pacte spectatoriel, définissant le genre, donc les normes, pour l’interprétation du texte (Altman, 1999).
Elle confirme l’hybridité de Romanzo entre série d’action et série dramatique, ainsi que la présence des acteurs aimés par le public (il n’y aura pas de changement dans la distribution, mais l’intégration d’un nouveau personnage), tout en rassurant les amateurs de l’atmosphère vintage par la présentation d’échantillons du décor, des lieux de la banlieue de Rome des années 1980. L’ensemble de ces éléments est accompagné par la bande sonore aux tons reconnaissables.
Ce type de paratexte peut souligner un aspect au point d’encourager de manière excessive un sens produit par les spectateurs, comme dans le cas de la deuxième saison, où le rôle du Libanais est réduit à quelques apparitions en tant que fantôme, mais que la bande-annonce laisse interpréter comme une présence encore centrale, se focalisant sur son statut mythique, allant ainsi dans la direction souhaitée par de nombreux fans. Nous verrons que les parodies jouent avec les mêmes éléments du texte pour produire des occasions comiques de fourvoyer les spectateurs, via l’altération de codes génériques1.
Jusqu’ici, le problème des paratextes et de l’intertextualité semble concerner celui des flux d’entrée dans le récit. La question que l’on peut se poser concerne l’organisation par l’ensemble des récits, de ses spectateurs potentiels, ses « would-be viewers » (Gray, 2010 : 118). Pour certains spectateurs, le film est corollaire de l’expérience du livre, alors que pour d’autres, qui découvrent d’abord la série, Romanzo Criminale n’est que la série, et tout le reste n’a aucun poids dans la construction du fandom conçu comme une passion qui découle à partir d’un texte reconnu comme primaire (les autres textes sont perçus comme des manières plus ou moins réussies de continuer l’expérience). Cela nous informe sur le fait que l’expérience intertextuelle est foncièrement contextuelle. Les bases changent selon le point de départ, ensuite des couches peuvent s’ajouter et constituer une expérience plus large du monde narratif, une dilatation dépendant des choix des consommateurs. On remarquera, tout de même, la tendance à une certaine « fidélité » à un des textes plus qu’à un autre : dans les cas étudiés, certains spectateurs nous déclarent que, pour eux, Romanzo Criminale est et sera toujours la série. Ainsi, les paratextes n’ont pas tous le même poids, dépendant de la diversité des expériences.

Le jeu : RC the game

Si l’audiovisuel engage déjà une participation des spectateurs qui mobilise beaucoup plus que le simple fait d’assister à un spectacle, comme les études en sciences cognitives, l’anthropologie, la sociologie de la réception le prouvent et comme nous avons tenté de le décrire dans l’analyse du film et de la série, il existe des extensions du produit fictionnel qui proposent d’étendre le potentiel de jeu déjà présent dans l’expérience de spectateurs. Film et série proposent un mécanisme d’identification avec les personnages des bandits, de manière déclarée. Bien que certains spectateurs admettent qu’ils préfèrent le personnage de Scialoja, le flic, et que la structure de livre, film et série, encourage également une lecture en termes génériques du polar, les vrais héros de Romanzo Criminale sont les bandits. Le scandale médiatique lié aux « modèles d’inconduite » le prouve et, conformément à un esprit postmoderne, les producteurs de la série, au lieu de travailler contre ces accusations, diffusent un produit en ligne destiné aux fans, mais accessible à tout usager d’Internet, qui a pour slogan « il crimine paga » (« le crime paie ») et qui propose de prendre la place, pour quelques heures, d’un des trois protagonistes de la bande. La clé de lecture est celle de l’ironie, d’une lecture au deuxième degré des comportements criminels. Cette perspective est centrale dans la création des produits dérivés qui ne doivent pas reproposer le texte de départ ni en faire une simple publicité. Au contraire, ils servent comme lien affectif avec des communautés « d’initiés » qui exposent ainsi leur adhésion au produit sans tomber dans un fanatisme au premier degré « socialement inacceptable » (Barra, 2010 : 46) et se reconnaissent dans le partage d’un savoir approfondi sur le monde de la série, qu’ils aiment mettre à l’épreuve, ainsi que d’un plaisir ludique de la répétition du connu. En correspondance avec la sortie de la première saison, les producteurs de la chaîne Sky Cinema diffusent le lien à RC The Game, jeu accessible exclusivement en ligne, développé avec la technologie Flash. Le jeu est inspiré du plus célèbre Mafia Wars, un MMORPG (Massive(ly) Multiplayer Online Role-Playing Game, jeu de rôle basé sur des missions que les joueurs doivent porter à terme pour avancer dans leur niveau, en réseau avec d’autres joueurs.
L’aspect graphique du jeu s’inspire directement des images de la série : le joueur a devant soi un carnet où, écrit au stylo, il trouve une liste de drogues, d’armes et de l’argent qu’il a à sa disposition ; ces objets, ainsi que des voitures et des motos de l’époque qu’il pourra s’acheter une fois obtenu un premier capital, sont illustrés par des images connotées par une patine vintage. Les espaces où le joueur peut installer ses activités d’achat et de revente sont des villes réelles : Rome, Naples, Milan, avec même la possibilité de choisir le quartier dans lequel opérer. Certains utilisateurs de forums se moquent de la popularité que le modèle de vie criminel est en train d’obtenir, lisant donc le jeu comme une possibilité d’adhérer à un modèle d’inconduite et non selon des modalités exclusivement ludiques.

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L’application pour iPhone

En correspondance avec le lancement de la deuxième saison de la série, Sky Italia développe une « appli » pour iPhone, iPod Touch et iPad2 , téléchargeable gratuitement sur iTunes, qui se propose comme une porte d’entrée dans le monde de la série, spécialement réservée aux fans italiens (la seule langue est l’italien). « Entre dans le monde sans scrupules et fascinant de Romanzo Criminale – la série, à travers la nouvelle application gratuite3 », récite la description dans le site d’Apple.
Le logiciel, qui pour fonctionner requiert une connexion à Internet, offre des contenus variés, dans un format respectant la maquette graphique de la série et divisés en quatre sections : « News », « Extra », « Jeux », « Enregistrer ». Les deux premières sections permettent de voir en avant-première des vidéos, lire des informations sur les épisodes et consulter des mini biographies de chaque personnage, visionner des images en haute définition, ainsi qu’écouter des répliques célèbres du Libanais, Dandy, Froid ; mais l’application se révèle également comme un support pour l’expérience de visionnage d’épisodes entiers : les abonnés de la chaîne Sky ont la possibilité d’enregistrer les épisodes en haute définition.
Enfin, dans la section « Jeux », l’utilisateur peut défier les personnages au billard, « se refaire le look » en style années 1970, tester sa connaissance du monde de la série avec un Quiz. Par le biais de ces outils, la série se mue en une série de questions, encourageant auprès des fans le développement d’un savoir spécialisé, selon une formule typique des phénomènes-culte, comme le souligne U. Eco dans son étude consacrée à Casablanca (Eco, 1986). L’univers de Romanzo Criminale, décomposé dans des détails que seuls les « experts » connaissent, peut être cité par ses consommateurs comme une encyclopédie1 : l’expérience du Quiz met à l’épreuve une compétence commune, permettant aux initiés de se reconnaître.
Cette application s’adresse à un public d’initiés et de fans, en mettant en avant l’aspect ludique et glamour de la série et des personnages, conformément à la perspective choisie à son temps par RC the game, développé pour la sortie de la première saison. Célébrant l’esthétique de la série, l’application contribue à rendre de plus en plus reconnaissable sa marque de fabrique. Romanzo Criminale se constitue comme un brand2 . Les commentaires des utilisateurs sont enthousiastes et, en félicitant la qualité du logiciel, ils en soulignent le rôle comme outil idéal au service de l’expérience de la série : « Tout ce qu’il faut pour attendre la suite de l’une des meilleures séries télévisées italiennes ! ».
Néanmoins, encore une fois, un problème surgit, lié à la mythisation des protagonistes : « Excellent ! Bien que […] attention à ne pas les faire passer pour des mythes dans la réalité ».
En effet, le risque est reconnu par les producteurs. En lisant la description du produit sur la page du site Apple, nous apprenons que, en raison des fréquentes références à l’usage de substances stupéfiantes, à des « thèmes adaptés à un public adulte », à une mise en scène réaliste de la violence et à la simulation du jeu de hasard, ce logiciel est interdit aux moins de 17 ans, conformément aux réglementations du « App Store Review Guideline » diffusé en septembre 2010 par Apple3 . La première règle est de respecter les enfants et les adolescents qui téléchargent sans contrôle parental ; les développeurs sont encouragés à fixer des ratings bien définis.
Lors de sa diffusion sur la chaîne Sky, ainsi que dans sa distribution en DVD, la série ne subit pas de censure : on se limite à en conseiller le visionnage à un public adulte. La question des modèles d’inconduite semble acquérir davantage de sensibilité dans le cas d’un produit ludique, lorsque le spectateur est appelé à se mettre en jeu directement. Dans le cas d’un parcours interactif, la place du spectateur est désormais celle d’un visiteur d’un espace virtuel qui se propose comme une expérience de plus en plus réaliste. L’expérience du monde de Romanzo Criminale paraît d’autant plus envoûtante et, pour cela, dangereuse, du moment où la série s’offre comme un territoire à explorer. Plus que RC the game, elle construit une expérience transmédiale, grâce à des éléments caractérisés par une ouverture qui, dans les mains des utilisateurs, peut potentiellement donner lieu à des résultats diversifiés (l’emploi dans les réseaux sociaux, comme pour les photos et les résultats du Quiz, qui peuvent être publiés sur Facebook grâce à la fonction Facebook Connect ; le partage d’un savoir, pour les informations en avant-première).

Le marchandisage

T-shirts et CD représentent le maillon entre la textualité traditionnelle et le produit marchand, encourageant certaines lectures et confirmant la puissance symbolique du produit dans le contexte italien et notamment romain. Ces deux exemples montrent le passage d’une forme connue de marketing, bien qu’insérée dans un réseau qui favorise le retour de la part des consommateurs, à une forme de construction de la narration qui s’appuie sur un matériel étranger aux textes d’origine et qui se caractérise par une nature expérimentale. Romanzo Criminale est conçu désormais comme brand, auquel est liée une image précise de la ville de Rome, centrée sur les banlieues et opposée à la carte postale pour les touristes. L’image de marque renvoie également à des personnages incarnés dans des visages d’acteurs (notamment ceux de la série) et, en général, aux valeurs de la fidélité, l’amitié, le respect, toujours dans un flirt avec le vertige des « modèles d’inconduite »

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