Les autres structures présentatives en français et en chinois
Après avoir décrit les structures présentatives biclausales en AVOIR du français (chapitre III) et du chinois (chapitre IV) nous nous intéressons ici aux autres structures présentatives disponibles dans ces langues. En effet, nous retrouverons toutes ces structures dans les données tirées de notre expérience de linguistique appliquée (chapitre VI), lesquelles, de ce fait, partagent la fonction présentative d’introduire les nouveaux référents en discours. Le présent chapitre est structuré comme suit. Une grande partie est consacrée à l’étude des énoncés suivant l’ordre V-S en chinois, étant donné qu’il s’agit d’une construction fréquemment utilisé à l’oral pour introduire les nouveaux référents dans le discours, contrairement au français, langue qui s’appuie sur les structures biclausales pour obtenir le même effet. En 5.1 nous distinguons entre l’inversion « absolue » et l’inversion « locative » en chinois, en mettant en avant leurs différences sémantiques (5.1.1), formelles (5.1.2) et fonctionnelles (5.1.3) et maintenons que seule la première porte la fonction de mise en avant référentielle tandis que la deuxième s’utilise surtout à l’écrit et dans des contextes descriptifs. Les sections de 5.2 à 5.4 sont ensuite consacrées à l’inversion absolue en chinois : nous analysons les exemples obtenus par notre recherche dans le corpus de chinois oral BJKY. Notre étude de cas porte sur les verbes de trajectoire, étant donné qu’il s’agit d’une classe de verbes susceptibles d’apparaître dans le contexte de l’inversion absolue, en chinois mais aussi d’un point de vue typologique (voir le chapitre I § 1.2.1). En 5.2.1 nous présentons les verbes de trajectoire du chinois et leurs caractéristiques morphosyntaxiques. La section 5.2.2 donne des détails sur le corpus consulté (le même qui a été interrogé pour analyser les structure biclausales en AVOIR du chinois, voir le chapitre IV § 4.6.1), ainsi que sur les séquences recherchées. En 5.3 nous présentons les résultats de notre enquête, en nous focalisant sur la distribution des verbes au sein de la structure (5.3.1) et sur la forme du SN postverbal, essentiellement en relation à l’opposition entre noms nus et noms quantifiés (5.3.2). Ensuite, nous analysons ces données d’un point de vue fonctionnel. Trois fonctions principales sont dégagées dans les énoncés à inversion absolue de notre corpus, à savoir : la fonction présentative (5.4.1), événementielle (5.4.2) et quantificative (5.4.3). Enfin, en 5.4.4 nous montrons que le verbe qù ‘aller’ exprime souvent un déplacement causé et de ce fait est à considérer à part. La section 5.4.5 fait le point sur notre analyse de V-S en chinois.
L’ordre V-S en chinois : deux types, deux fonctionnements
L’inversion locative et l’inversion absolue en chinois
La phrase qui comporte un sujet postverbal, appelée phrase existentielle (Zhū 1982 : 184, Huang 1987, Niè 1989) ou phrase présentative (Li and Thompson 1981, Hu 1995)187 est une configuration qui a été beaucoup étudiée en chinois. La position initiale y est typiquement occupée par une expression locative, laquelle est analysée comme le « sujet » dans la grammaire traditionnelle (Chao 1968 : 729)188. La terminologie de Li and Thompson (1981 : 511), qui est entrée dans les usages, est plus compatible avec la terminologie occidentale, en appelant l’expression locative préverbale le locus, pour en mettre en avant les propriétés sémantiques (Li 2014a). La structure générale de ce type d’énoncé est, selon nos conventions, [SNG + V + SNF], où le premier syntagme nominal SNG dénote la référence spatiale tandis que le nom postverbal SNF indique l’entité introduite par la phrase (G et F référant respectivement aux notions de Ground et de Figure189). Comme le suggère le terme chinois cún-xiàn jù [phrases d’existence/apparition] (Sòng 1987), la grammaire chinoise distingue généralement deux sous-groupes : les phrases existentielles (V.1) d’une part, et les phrases dénotant l’apparition (V.2) ou la disparition (V.3) de l’autre (Lü 1946190, Chao 1968, Zhū 1982) Dans les phrases existentielles, on asserte l’existence de l’entité encodée par le SNF, ou mieux, sa présence dans un lieu donné (voir les remarques faites dans le chapitre I, section 1.2.2.2 sur le rapport entre existence et présence) – en l’occurrence celui dénoté par le SNG. Dans les phrases d’apparition/disparition, l’entité apparaît ou disparait de la scène du discours (ou en référence au SNG, lorsque ce dernier est exprimé). Dans les phrases existentielles, les verbes impliqués sont yǒu w – le verbe d’existence par excellence ; discuté en détail dans le chapitre IV – et des verbes indiquant la posture ou l’emplacement, mais aussi de verbes transitifs. Par conséquent, la catégorie de verbes pouvant paraître dans les phrases existentielles du chinois est très hétérogène, car outre des verbes de posture comme zuò B ‘être assis’, tǎng À ‘être allongé’, zhàn ¥ ‘être débout’, piāo Ñ ‘flotter’ (au vent), y figurent certains verbes indiquant le mode du mouvement (manner of motion verbs) comme zǒu º ‘marcher’, pǎo ¼ ‘courir’, tiào ¿ ‘sauter’. Notons enfin que des verbes d’activité non motionnels sont également rencontrés dans ces phrases, comme shuì ‘dormir’ (V.4), ainsi que des verbes transitifs (xiě $ ‘écrire’ [V.5], yìn * ‘imprimer’ [V.6]) comme nous le venons de dire. Ces verbes ont en commun le fait d’être suffixés par le morphème -zhe marquant l’état résultant193 (nous en décrivons les propriétés dans la section suivante).
Propriétés discursives distinguant l’inversion absolue de l’inversion locative
Li Wendan (2014a), dans la première étude sur l’emploi effectif des phrases existentiellesprésentatives du chinois d’un point de vue pragmatique203, montre que la construction existentielle (inversion locative) se retrouve dans des descriptions scéniques, descriptives (dans son corpus les constructions existentielles se rencontrent presque exclusivement dans des description physiques de lieux et de personnages), tandis que la construction présentative (inversion absolue) encode des événement ponctuels de premier plan, et peut ainsi être exploitée pour introduire des nouveaux référents dans le discours : « ECs [existential constructions] designate stative situations; they are used extensively in narrative background descriptions. PCs [presentative constructions], on the other hand, record bounded dynamic situations of motion or emergence; they introduce new entities into discourse scenes. PCs are potentially foregrounding in the sense that they may introduce thematically important participants into discourse. » (Li 2014a). Les phrases existentielles sont, d’après Li (2014a), un cas de structuration topiquecommentaire, où le SN locatif positionné en tête de phrase joue le rôle de topique. En (V.15) par exemple, nous observons quatre instances de structure existentielle : la structure en shì ‘être’204 (a), deux cas d’inversion locative formés avec les verbes de placement (de « posture » dans Li 2014a) chēng ‘soutenir’ suffixé par le marqueur d’aspect duratif -zhe (b) et pái ‘ranger’ suffixé par le marqueur perfectivisant -le (c) ainsi qu’une structure en yǒu monoclausale (d).