LES ATOMES TRES EXCITES EN INTERACTION AVEC LE RAYONNEMENT
Nous allons maintenant utiliser les outils et les images physiques du chapitre I pour déterminer et, le cas échéant, calculer de manière aussi précise que possible le comportement de tels atomes dans leur interaction avec leur environnement. Cette interaction est, bien entendu, en général électromagnétique. Nous avons choisi de diviser cette étude en deux parties : la première, qui constitue le présent chapitre, traite des interactions entre un état de Rydberg et les modes du champ électromagnétique libre -fussent-ils vides de photons-. Le chapitre III donnera quelques idées générales sur l’interaction entre un atome très excité et des champs électriques ou magnétiques statiques, ainsi que sur l’effet des collisions. Précisons maintenant l’ordre dans lequel nous exposerons les différentes propriétés décrites dans ce chapitre : nous commencerons par l’interaction avec les modes vides du champ, c’est-à-dire l’émission spontanée de ces niveaux. Nous étudierons ensuite l’effet d’une onde électromagnétique extérieure résonnante sur une transition donnée, l’effet du rayonnement thermique, puis les propriétés liées à l’interaction avec une onde électromagnétique non résonnante. Comme les ordres de grandeur des propriétés physiques des états très excités sont en général complètement différents de ceux des états fondamentaux ou peu excités « habituels », ces effets, bien connus dans ces derniers états, prennent parfois un côté surprenant dans les états très excités. L’objet de ce chapitre (et du suivant) est de mettre l’accent sur ces aspects inhabituels.
DUREES DE VIE DES ETATS EXCITES
Ce bref paragraphe va nous permettre de décrire les propriétés essentielles des durées de vie des états très excités. Si on appelle 03B3 a~b la probabilité de desexcitation spontanée de l’état a vers l’état b, il est bien 103 connu que 03B3 a~b est donné par l’expression (31) : où 03B1 est la constante de structure fine. Réécrivons cette expression en unités atomiques, sachant que Ry = e2 2a o Les niveaux de départ et d’arrivée sont en fait dégénérés. Il faut donc moyenner sur les différents états initiaux et sommer sur les différents états finals. On obtient finalement : La durée de vie totale 03C4 n~ d’un niveau donné s’obtient à partir de la somme des 03B3 n~~n’~’ sur tous les niveaux n’~’ connectés à n~ et d’énergie inférieure à celui-ci : Les taux de transfert partiels 03B3 n~~n’~’ apparaissent donc comme le produit de deux facteurs variant en sens opposés : le facteur(E n’~’ )3 lié à la densité de modes accessibles au photon spontané, croît rapidement lorsque le niveau n’~’ s’éloigne du niveau n~. Le facteur de couplage (R n’~’ )2décroît, lui, dans le même temps. L’effet total sur 03B3 n~~n’~’ mérite donc un examen plus approfondi.
LES DUREES DE VIE DANS LE CAS DU COEUR PONCTUEL
Nous utilisons ici les caractéristiques des éléments de matrice que nous avons établies dans le paragraphe I.E : 104 ~ pour les valeurs de n’ peu différentes de n, Rn’~’ varie proportionnellement à n2(A 0394n -5/3 + B 0394n -7/3 ) dès que 0394n 2; En’~’ est, lui, proportionnel à 0394n/n 3; 03B3 varie donc comme n-5 0394n -1/3(1-0,22 0394n -2/3 )2, c’est-à-dire que, pour une valeur donnée de n, il diminue très lentement avec 0394n, plus lentement que 0394n -1/3 . Les taux de transfert vers les niveaux voisins sont donc pratiquement constants dans cette zone. Le premier d’entre eux valant : la durée de vie partielle sur la transition liant un état de Rydberg à son voisin inférieur immédiat est donc approximativement 1,4 ms pour n = 20, 11 ms pour n = 30, 46 ms pour n = 40, et croît très rapidement avec le nombre quantique principal. ~ pour les écarts énergétiques plus importants, lorsque n’est petit devant n tout en restant grand devant 1, l’élément de matrice, comme nous l’avons vu dans le paragraphe I.E, est proportionnel à n’ 11/6n-3/2 . L’écart d’énergie tend à devenir constant par rapport à n , valant 1/n’ 2. Le taux de transfert varie alors comme n-3 n’ -7/3 : lorsque n’ diminue et se rapproche des faibles valeurs, le taux de transfert croît maintenant rapidement avec n’. ~ Lorsque n’ est proche de 1, il faut utiliser les formules (I.129) à (I.131) : la dépendance en n de Rn’~’ est simplement n-3/2 , alors que la dépendance en n’ devient plus compliquée, son expression faisant intervenir des fonctions hypergéométriques confluentes. Le taux 03B3 n~’’ se factorise en une partie dépendant de n’ multiplié par n-3. Pour donner une idée de la variation avec n’ de 03B3 n’~’ , le tableau suivant donne les valeurs du facteur 03B3 n’~’ n3, indépendant de n, dans le cas d’une transition nP ~ n’ S : 105- Le taux de transfert d’un niveau de Rydberg donné vers un niveau n’S décroît donc très rapidement avec n’ (comme n’ -2 pour n’ 5, plus lentement au début). Le plus fort taux est donc celui liant le niveau très excité avec l’état le moins excité compatible avec les règles de sélection dipolaire électrique. Par exemple, dans le cas particulier de la deséxcitation d’un niveau nP vers la série S, le rapport de branchement est d’environ 79% pour la transition nP ~ 1S. Pour une transition atteignant un niveau peu excité donné |n’~’ >, le taux de transfert varie proportionnellement à n -3, donc décroît beaucoup moins avec n que le taux de transition spontanée entre niveaux de Rydberg voisins (formule (II.5)) : plus n croît et plus les transitions vers les niveaux les plus bas sont favorisés. Au total, l’émission spontanée d’un niveau de Rydberg peuple un très grand nombre de niveaux inférieurs : il y a transfert essentiellement vers les niveaux les plus profonds, mais il y a aussi un transfert important vers les niveaux proches du niveau de départ ; la desexcitation d’un état très excité s’accompagne donc d’une émission non négligeable d’ondes de très grande longueur d’onde (micro ondes pour n de l’ordre de quelques dizaines). C’est ce qui est expérimentalement observé en radioastronomie où l’on détecte l’émission d’ondes millimétriques rayonnées par les états très excités des atomes du milieu interstellaire (11) . Pour calculer la durée de vie totale d’un niveau de Rydberg |n~ > donné, il faut donc sommer tous ces taux de désexcitation partiels. Or, nous l’avons vu, la contribution essentielle vient des transitions vers les niveaux les plus liés (lorsque le moment cinétique du niveau croit, ceci est cependant de moins en moins vrai). Pour toutes ces transitions, les taux 03B3 n~ ~ n’~’ sont proportionnels à n-3. Il en résulte que la probabilité totale de désexcitation d’un niveau n~ va être proportionnelle à n-3. D’un point de vue expérimental, cette propriété est très importante, car elle assure un caractère de plus en plus stable aux états les plus excités des atomes. Ainsi, les niveaux S de n supérieur à 800 dans l’hydrogène ont une durée de vie supérieure à la seconde. Notons que l’on retrouve le facteur n-3 dans le taux de desexcitation, qui est aussi proportionnel à la fréquence de rotation de l’électron autour du noyau : on peut donc dire que le nombre 106 de « révolutions » effectuées par l’électron avant de se désexciter est constant et indépendant de la taille de l’orbite sur laquelle se trouve l’électron. Cela peut se comprendre aisément par un raisonnement quasi-classique : l’électron ne rayonne que lorsqu’il est fortement accéléré, c’est-à-dire principalement lorsqu’il passe au périhélie de son orbite très excentrique; à ce moment, comme nous l’avons vu au début du chapitre I, son orbite est pratiquement indépendante de l’énergie : le temps de désexcitation reflète simplement le nombre de passages de l’électron au périhélie. Que se passe-t-il alors lorsque l’orbite devient de plus en plus circulaire, c’est-à-dire lorsque ~ augmente ? Classiquement, l’accélération de l’électron diminue et tend vers une constante : la probabilité de désexcitation va donc décroître avec ~. Quantiquement, cela apparaît à travers deux propriétés : tout d’abord, les états de basse énergie accessibles correspondent à des transitions de fréquence de plus en plus basse. Un niveau |n~ > ne peut atteindre au mieux que le niveau |~ , ~-1 >, par une transition d’énergie voisine de Ry/~ 2. Le facteur 03C9 3figurant dans la probabilité de transition donne une variation en 1/~ 6 à 03B3 n~ ~ ’~’ . En outre, le recouvrement des fonctions d’onde est moins grand et l’élément de matrice dipolaire décroît lui aussi avec ~. La durée de vie d’un niveau n~ croît donc très rapidement avec ~. On peut calculer simplement la limite pour les niveaux de moment cinétique maximum. En effet, le niveau |n, n-1 > ne peut se desexciter que sur le niveau |n-1, n-2 >. Lorsque n est grand, l’élément de matrice correspondant tend vers la constante ao/4 et l’écart énergétique vaut environ 2Ry/n 3.
EFFET DU COEUR
Nous allons voir que les conclusions générales énoncées pour l’hydrogène sont largement valables pour les alcalins. Cela est évident pour les orbites non pénétrantes, où l’effet du cœur est une faible perturbation. Examinons donc uniquement le cas des orbites pénétrantes. 107 En ce qui concerne les transitions n~ ~ n’~’ pour lesquelles n est grand et n’ n’est pas de l’ordre de l’unité, les ordres de grandeur des éléments de matrice et des écarts d’énergie sont les mêmes que pour l’hydrogène, la seule différence étant l’apparition d’un facteur sinusoïdal dans l’élément de matrice de période proche de 2 en 039403BD (équation (I.166)) qui rend compte des effets d’interférence constructive ou destructive entre fonctions d’onde déphasées par le défaut quantique. Nous avons vu que ce facteur tendait cos03C0(039403BD+0,18) cos 0,1803C0 dès que 039403BD est supérieur à quelques unités. En général, ce facteur modifie peu les taux de desexcitation sur ces transitions de grande longueur d’onde (il multiplie les probabilités 03B3 dans le sodium par un facteur 0,43 pour les transitions S ~ P, 0,38 et 0,33 pour les transitions P ~ S et P ~ D, 1,40 et 1,05 pour les transitions D ~ P et D ~ F). Lorsque la différence des défauts est proche de 0,3, il peut y avoir cependant annulation quasi totale de l’élément de matrice, par un phénomène analogue à celui qui se produit dans le continuum (74). Il est par contre beaucoup plus difficile d’énoncer des propriétés générales pour l’émission spontanée vers les niveaux les plus bas. En effet, nous ne disposons pas d’expression simple donnant l’élément de matrice en fonction des nombres quantiques effectifs lorsque l’un des niveaux correspond à un état très lié. Les calculs numériques à partir des fonctions d’onde hydrogénoïdes La figure 17 permettent donne la variation tout de même de 03B3 28S ~ de calculer nP en les fonction taux de de transfert 03BD pour n 03B3 n~ ~ n’~’ . 15 dans le cas du sodium (valeurs calculées par GOUNAND, réf. (46)) et dans le cas de l’hydrogène (valeurs calculées à l’aide de l’expression (I.131)). On constate une différence d’un facteur 2 oour les petites valeurs de n, qui décroît ensuite rapidement lorsque n grandit. Dans ce cas, le taux de transfert est plus grand pour le sodium que pour l’hydrogène; dans d’autres cas, l’effet peut jouer dans l’autre sens (niveaux P du sodium par exemple). Dans le cas des alcalins comme pour l’hydrogène, un niveau très excité donné se désexcite principalement vers les niveaux les plus bas. Ceci a plusieurs conséquences générales : la première est que la probabilité totale de désexcitation va varier comme 03BD -3en première approximation puisque En’~’ FIGURE 17 : Taux de transferts spontanés 03B3 28S ~ nP dans l’hydrogène.