« Les aspects techniques et narratifs lors de la construction de la frontière filmique »

 « Les aspects techniques et narratifs lors de la
construction de la frontière filmique »

Le cinéma n’est pas un miroir ou la mimesis de la réalité ; le fait même de la « filtrer » à travers le cadre ajoute quelque chose d’autre à ses produits finaux, les films. Comme ce « cadre » n’est pas qu’un dispositif technique, mais une question discursive qui légitime, les films sont loin d’être une copie ou un reflet fidèle de l’original. De ce fait, ce que le cinéma construit par le biais du cadrage, du montage, etc., ce sont de nouvelles interprétations de la réalité. Selon Pierre Sorlin, les films ne sont pas le reflet-miroir de la réalité d’où ils ont été tirés, mais des réécritures du réel d’une époque et d’une société données. Une société ne se présente jamais en tant que telle sur l’écran, mais sous l’aspect requis par les formes d’expression du temps, les choix de mettre en scène, les attentes des spectateurs et la notion même de cinéma1 . En conséquence, les films de ma recherche ne sont pas considérés comme un duplicata de la réalité qui les entoure. Je pars du principe que les sélections et fragments qu’un film emprunte à la réalité acquièrent un nouveau sens une fois qu’ils sont reconstitués dans une nouvelle unité. L’image filmique confesse, plus qu’un état des choses, la partie visible d’une société. Le « visible » d’une époque est ce que les fabricants d’images cherchent à capter pour le transmettre, et ce que les spectateurs acceptent sans étonnement. C’est aussi ce qui apparaît photographiable et présentable sur les écrans à une époque donnée. […] Le cinéma ne nous donne pas une image de la société, mais ce qu’une société pense qu’une image doit être, y compris une possible image d’ellemême ; il n’en reproduit pas la réalité, mais la manière de traiter le réel2 .Pour traiter une réalité, les films se basent sur les spécificités du cinéma, lesquelles dérivent de la capacité filmique de reproduire espace et temps, image et mouvement. Ce processus s’est fait à travers des dispositifs techniques et des codes particuliers aux films. C’est ce que je chercherai à expliquer dans cette partie. Pour cela j’interpréterai les généralités et les particularités détectées lors des précédents découpages. Le but est de prouver à quel point leurs aspects techniques réécrivent et donnent du sens à leur perception de la réalité. Je me concentrerai sur les aspects et sur les « filtres » techniques que les films ont appliqués aux réalités qu’ils ont saisies, pour réécrire la problématique de la frontière, à l’aune des généralités remarquées lors de mes analyses préexistantes. En effet, j’ai observé dans les découpages des séquences l’importance des jeux de cadrage, des mouvements de caméra, du point de vue et même du son, lors de la construction filmique de la frontière. Dans l’ensemble tous ces éléments contribuent à faire de la frontière un terme à plusieurs significations. Une frontière au pluriel qui se construit comme espace et comme lieu ; parfois comme aspect imaginaire, d’autres fois comme quelque chose de « réel » ; parfois comme une image mimétique (sa propre présence sur l’écran), d’autres fois comme une image qui mérite un travail interprétatif (parce qu’elle assume de nouvelles valeurs). Cette partie intègre donc trois sections où je fais une brève interprétation des analyses séquentielles préexistantes. Le but est de souligner les différents enjeux des constructions filmiques de cette frontière au pluriel. La première section aborde les fonctions du cadrage et des mouvements de caméra pour construire la frontière dans l’histoire et le récit filmique, et faire d’elle un lieu ou un espace. La deuxième partie travaille notamment sur le point de vue lors d’une telle construction. Finalement, la troisième section se concentre sur les aspects sonores et auditifs des films qui contribuent à construire la frontière.  

1 La frontière. Un espace ou un lieu? Au cinéma, le cadre coupe et filtre la réalité. À travers certaines tailles et positions de point de vues physiques, ce cadre « capture » des espaces traduits en images, en désignant ses réécritures de la réalité. Or, le cadre et ses compositions de plan bougent non seulement dans l’espace, mais aussi dans le temps ; ils évoluent sous différentes formes institutionnalisées, comme les panoramiques verticaux ou horizontaux, ainsi que les travellings qui progressent dans le temps, que ce soit dans un plan séquence ou dans le montage de plans courts. Le cadre, les plans et les mouvements sont plus que des formes, mais des questions narratives. Ils contribuent tous à la construction de la forme et du contenu dans un film, car ils font partie d’un système indissociable, comme le dit bien David Bordwell. Il est donc nécessaire de les comprendre à l’intérieur du film, c’est-à-dire d’interroger leurs fonctions techniques face aux contenus, pour dévoiler l’image qu’une telle société a de la frontière. Je ferai une rapide révision sur les parties techniques des séquences abordées, notamment sur la façon dont elles ont participé à la construction de la frontière, que ce soit comme aspect imaginaire ou visuelle au sein de chaque film.

Los que se quedan

Une question diégétique Dès le départ, j’ai évoquée l’hypothèse que Los que se quedan était un film qui présentait la frontière à partir de son absence visuelle. Grâce aux découpages de certaines séquences, on a prouvé qu’effectivement la frontière n’y apparaissait pas. Maintenant, je verrai comment cette absence est produite. Dans la « Construction de l’absence » j’ai travaillé deux séquences qui présentent des plans panoramiques et des plans généraux des paysages de Yucatán et Puebla. Ces endroits désertiques servent à situer, respectivement, deux témoins (Maricela Panduro et Pascual Serrano). Ces deux séquences ne montrent aucune frontière, mais des routes et des chemins sans fin. À première vue, elles sont de simples transitions qui, dans son système filmique, deviennent l’espace rural mexicain. Or, cet espace rural acquiert une nouvelle valeur, car au-delà d’être une toile de fond, des lieux désertiques, cet espace rural signifie l’espace du champ mexicain. Disons que ce champ est désert comme résultat des fortes émigrations humaines parties pour franchir des frontières géographiques et imaginaires.Le cinéma n’est pas un miroir ou la mimesis de la réalité ; le fait même de la « filtrer » à travers le cadre ajoute quelque chose d’autre à ses produits finaux, les films. Comme ce « cadre » n’est pas qu’un dispositif technique, mais une question discursive qui légitime, les films sont loin d’être une copie ou un reflet fidèle de l’original. De ce fait, ce que le cinéma construit par le biais du cadrage, du montage, etc., ce sont de nouvelles interprétations de la réalité. Selon Pierre Sorlin, les films ne sont pas le reflet-miroir de la réalité d’où ils ont été tirés, mais des réécritures du réel d’une époque et d’une société données. Une société ne se présente jamais en tant que telle sur l’écran, mais sous l’aspect requis par les formes d’expression du temps, les choix de mettre en scène, les attentes des spectateurs et la notion même de cinéma1 . En conséquence, les films de ma recherche ne sont pas considérés comme un duplicata de la réalité qui les entoure. Je pars du principe que les sélections et fragments qu’un film emprunte à la réalité acquièrent un nouveau sens une fois qu’ils sont reconstitués dans une nouvelle unité. L’image filmique confesse, plus qu’un état des choses, la partie visible d’une société. Le « visible » d’une époque est ce que les fabricants d’images cherchent à capter pour le transmettre, et ce que les spectateurs acceptent sans étonnement. C’est aussi ce qui apparaît photographiable et présentable sur les écrans à une époque donnée. […] Le cinéma ne nous donne pas une image de la société, mais ce qu’une société pense qu’une image doit être, y compris une possible image d’ellemême ; il n’en reproduit pas la réalité, mais la manière de traiter le réel2 .Pour traiter une réalité, les films se basent sur les spécificités du cinéma, lesquelles dérivent de la capacité filmique de reproduire espace et temps, image et mouvement. Ce processus s’est fait à travers des dispositifs techniques et des codes particuliers aux films. C’est ce que je chercherai à expliquer dans cette partie. Pour cela j’interpréterai les généralités et les particularités détectées lors des précédents découpages. Le but est de prouver à quel point leurs aspects techniques réécrivent et donnent du sens à leur perception de la réalité. Je me concentrerai sur les aspects et sur les « filtres » techniques que les films ont appliqués aux réalités qu’ils ont saisies, pour réécrire la problématique de la frontière, à l’aune des généralités remarquées lors de mes analyses préexistantes. En effet, j’ai observé dans les découpages des séquences l’importance des jeux de cadrage, des mouvements de caméra, du point de vue et même du son, lors de la construction filmique de la frontière. Dans l’ensemble tous ces éléments contribuent à faire de la frontière un terme à plusieurs significations. Une frontière au pluriel qui se construit comme espace et comme lieu ; parfois comme aspect imaginaire, d’autres fois comme quelque chose de « réel » ; parfois comme une image mimétique (sa propre présence sur l’écran), d’autres fois comme une image qui mérite un travail interprétatif (parce qu’elle assume de nouvelles valeurs). Cette partie intègre donc trois sections où je fais une brève interprétation des analyses séquentielles préexistantes. Le but est de souligner les différents enjeux des constructions filmiques de cette frontière au pluriel. La première section aborde les fonctions du cadrage et des mouvements de caméra pour construire la frontière dans l’histoire et le récit filmique, et faire d’elle un lieu ou un espace. La deuxième partie travaille notamment sur le point de vue lors d’une telle construction. Finalement, la troisième section se concentre sur les aspects sonores et auditifs des films qui contribuent à construire la frontière.  

1 La frontière. Un espace ou un lieu? Au cinéma, le cadre coupe et filtre la réalité. À travers certaines tailles et positions de point de vues physiques, ce cadre « capture » des espaces traduits en images, en désignant ses réécritures de la réalité. Or, le cadre et ses compositions de plan bougent non seulement dans l’espace, mais aussi dans le temps ; ils évoluent sous différentes formes institutionnalisées, comme les panoramiques verticaux ou horizontaux, ainsi que les travellings qui progressent dans le temps, que ce soit dans un plan séquence ou dans le montage de plans courts. Le cadre, les plans et les mouvements sont plus que des formes, mais des questions narratives. Ils contribuent tous à la construction de la forme et du contenu dans un film, car ils font partie d’un système indissociable, comme le dit bien David Bordwell. Il est donc nécessaire de les comprendre à l’intérieur du film, c’est-à-dire d’interroger leurs fonctions techniques face aux contenus, pour dévoiler l’image qu’une telle société a de la frontière. Je ferai une rapide révision sur les parties techniques des séquences abordées, notamment sur la façon dont elles ont participé à la construction de la frontière, que ce soit comme aspect imaginaire ou visuelle au sein de chaque film.

Los que se quedan

Une question diégétique Dès le départ, j’ai évoquée l’hypothèse que Los que se quedan était un film qui présentait la frontière à partir de son absence visuelle. Grâce aux découpages de certaines séquences, on a prouvé qu’effectivement la frontière n’y apparaissait pas. Maintenant, je verrai comment cette absence est produite. Dans la « Construction de l’absence » j’ai travaillé deux séquences qui présentent des plans panoramiques et des plans généraux des paysages de Yucatán et Puebla. Ces endroits désertiques servent à situer, respectivement, deux témoins (Maricela Panduro et Pascual Serrano). Ces deux séquences ne montrent aucune frontière, mais des routes et des chemins sans fin. À première vue, elles sont de simples transitions qui, dans son système filmique, deviennent l’espace rural mexicain. Or, cet espace rural acquiert une nouvelle valeur, car au-delà d’être une toile de fond, des lieux désertiques, cet espace rural signifie l’espace du champ mexicain. Disons que ce champ est désert comme résultat des fortes émigrations humaines parties pour franchir des frontières géographiques et imaginaires.

En effet, les images des plans, des séquences en question, montrent les routes qui se situent en bas du cadre et se prolongent vers sa partie supérieure, comme la métaphore d’un exode qui commence au Sud et va vers le Nord. La composition visuelle des deux séquences construisent un même espace narratif : le champ mexicain abandonné. Les deux ne montrent pas de frontière, mais elles signifient une absence ou les absences humaines (Fig. 1 et 2). Dans les découpages de « Rêves partagés et maisons imaginées », la construction de la frontière absente continue. Les séquences montrent les futures  maisons des témoins, des logements qu’ils construisent avec l’argent envoyé par les Mexicains qui ont abandonné le champ mexicain pour aller au nord : aux ÉtatsUnis. Ces maisons imaginées sont en pleine construction. D’un point de vue, elles sont le résultat des absences humaines suivies de l’émigration massive. La représentation de l’absence continue dans la séquence « Maisons vides », où cinq plans moyens présentent les images de maisons seules, comme résultat d’un grand déplacement migratoire ; en effet, dans le plan 4 deux paysans traversent le cadre de droite à gauche (Fig. 3a et 3b), c’est un adolescent et un homme âgé qui marchent avec deux chevaux qui tirent une charrette de chaume. La construction de l’absence se poursuit avec un bref témoignage de  Gerardo Castillo. Il explique comment, depuis un temps non précisé, les maisons  de chez lui (un village moyen de Michoacán) ont presque fini par se vider.

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