Les arrêts fondateurs de la Cour
La mobilité transfrontalière des sociétés a connu ses premières applications à travers la jurisprudence de la CJUE. En l’absence d’une telle jurisprudence, trois obstacles s’opposaient en effet à une telle mobilité : l’imprécision des traités européens (i) ; le manque d’harmonisation des règles entre États membres (ii) et les problèmes liés aux migrations d’entreprises (iii).
Dans un premier temps (i), il était malaisé de déterminer si la liberté d’établissement s’appliquait également aux entreprises. En effet, les traités UE garantissaient cette liberté aux personnes physiques, sans mentionner explicitement les personnes morales. Ensuite (ii), les États membres étaient – et sont toujours – partagés entre deux théories, la théorie dite du « siège réel » et celle du « siège statutaire ». La première de ces théories requiert une concordance entre la localisation du siège social et celle du centre de direction de la société. La deuxième retient, quant à elle, le lieu où la société est enregistrée sous l’angle du droit des sociétés . Ce manque d’harmonisation fait courir un risque dans le chef des entreprises qui exercent leurs activités dans plusieurs États membres et qui pourraient être gouvernées par des législations différentes et ne permettent pas non plus de déterminer avec certitude le droit applicable , ce qui peut avoir des répercussions négatives sur certains acteurs économiques essentiels pour les sociétés comme les actionnaires ou les créanciers . Enfin (iii), les problèmes liés aux migrations d’entreprises sans raisons légitimes et le préjudice que cela pouvait causer aux parties liées à l’entreprise avait pour conséquence que cette liberté n’était pas fréquemment usitée par les acteurs du droit des sociétés .
La CJUE a progressivement reconnu un droit à la mobilité transfrontalière des sociétés via les articles 49 et 54 du TFUE . Cette institution européenne a joué un rôle considérable en précisant le champ d’application ainsi que la portée de ces articles. Dans un premier temps, la Cour refusa d’assimiler entièrement les personnes morales aux personnes physiques étant donné que les personnes morales n’ont d’existence qu’à travers les différentes législations nationales qui en déterminent la constitution et le fonctionnement . Il avait également été envisagé de conclure une convention entre les six États fondateurs de l’UE afin de reconnaître les sociétés établies dans un État membre qui décide de se réincorporer dans un autre État membre. Cependant, ce projet fut abandonné à la suite de la décision finale des Pays-Bas d’adopter le critère de l’incorporation .
La mobilité des sociétés au sein de l’UE s’est ainsi développée en vertu de la jurisprudence de la CJUE. En effet, un contentieux opposant, d’une part, les sociétés, réclamant leur droit à la liberté d’établissement, et d’autre part, les États membres, soucieux d’assurer l’intégrité économique, sociale, culturelle ou publique de leur ordre juridique interne, s’est matérialisé par une intervention de plus en plus importante de la Cour en la matière . Comme susvisé, les États disposent principalement de deux manières afin d’essayer de restreindre la liberté des différents opérateurs économiques. Premièrement, l’État d’origine peut décider de priver une société de sa personnalité juridique lorsque cette dernière souhaite quitter cet État pour s’incorporer dans un État de destination. Ensuite, l’État d’accueil peut faire obstacle à l’opération de transformation transfrontalière. Par conséquent, nous avons fait le choix d’opérer une distinction afin d’analyser le volet « sortie » (I) et le volet « entrée » (II) des opérations de transformation transfrontalière.
Les transformations transfrontalières à la sortie (outbound)
La Cour de justice va tout d’abord confirmer, en 1988 au travers de l’arrêt Daily Mail , que les États membres ont la liberté de déterminer les conditions auxquelles une société pourra se voir reconnaître la personnalité juridique . Elle institue de la sorte un principe de neutralité du droit européen. Cependant, cette liberté d’établissement ne permet pas à une société d’exiger que l’État de sortie accepte sa volonté de se réincorporer dans un autre ordre juridique national . Par la suite, la CJUE va étendre explicitement le champ d’application de la liberté d’établissement. Dans l’arrêt Cartesio , la juridiction européenne reconnaît aux sociétés un droit au transfert transfrontalier de leur siège sans perte de leur personnalité juridique . Ce droit ne peut être restreint par les États membres. La Cour rappelle, cependant, que les États membres restent compétents afin de choisir le critère de rattachement des personnes morales à leur ordre juridique . Enfin, l’arrêt National Grid Indus dans lequel la Cour précise que la législation qui imposerait la taxation des plus-values latentes sur les actifs d’une société qui transfère son siège de direction effectif dans un autre État membre et qui exigerait son recouvrement immédiat, est incompatible avec le principe de liberté d’établissement . Le droit de l’UE ne s’oppose néanmoins pas à une telle imposition, pour autant que son recouvrement ne soit pas exigé immédiatement .
Les transformations transfrontalières à l’entrée (inbound)
En ce qui concerne le volet entrée, la Cour a, dans un premier temps, reconnu un droit à la constitution déconnecté de l’activité réelle . En 1999, elle affirme, dans l’arrêt Centros , qu’en l’absence d’harmonisation des législations au niveau européen, le simple fait de profiter d’une législation plus accueillante ne saurait être assimilé à un abus . Cet acte ne saurait dès lors faire échec à l’application de la liberté d’établissement . Dans l’arrêt Überseering , la CJUE précisera qu’une société valablement constituée dans un État membre, appliquant le critère du siège statutaire, peut déplacer son siège réel dans un autre État membre de l’Union où elle doit y être acceptée, tant dans sa capacité juridique que dans sa possibilité d’ester en justice .
Introduction |