Les apprenants et le numérique éducatif

Les apprenants et le Numérique éducatif

Les jeunes ont une forte sensation d’apprendre via les écrans La place prépondérante de l’écrit et de la lecture dans notre système scolaire, en font des vecteurs principaux de production des savoirs et comme nous le rappelle André Tricot en parlant du numérique et d’Internet, « le temps passé à lire par un Américain moyen a presque triplé entre 1973 et 2005, passant de 1 h 46 en moyenne à près de 4 h 30 de lecture quotidienne (et en excluant de ce compte toutes les activités de lecture inférieures à 1 minute) » (Tricot, 2016, p. 48). Il est donc logique de penser que les usages numériques hors contexte institutionnel soient potentiellement sources d’apprentissages, surtout si lesdits usages font référence à la lecture, à la production de médias numériques ou à la consultation de sources éducatives (tutos, chaines éducatives, cours en ligne, forums thématiques…). Or nous parlons ici du quart de vie numérique des jeunes, donc de milliers d’heures par an255 . Voyons ce qu’en pensent les principaux concernés ; nous leur avons posé la question suivante : « as-tu la sensation d’apprendre beaucoup de choses à travers les écrans et Internet, que ce soit pour toi ou pour l’école ? » :Seulement 5.6 % des répondants n’ont pas la sensation d’apprendre avec les écrans. Pour le reste, 64.8 % d’entre eux considèrent apprendre beaucoup ou énormément avec les écrans et 29,6 % un peu. Les écrans sont donc ressentis comme des vecteurs importants d’apprentissages. Il est alors intéressant de chercher à en savoir davantage, sur les différents profils qui semblent se dégager. Croisons ces résultats avec le niveau scolaire pour débuter le profilage de notre apprenant numérique (Figure 50) 256 . Il apparait que les collégiens ont peu (ou pas) la sensation d’apprendre via les écrans.En première approche, les 6e et 5e sont particulièrement positionnés sur le « non », indiquant un usage plutôt ludique (jeux vidéo et usages télévisuels) pour lequel ils n’ont pas cette sensation d’apprendre souvent liée à un effort : nous y reviendrons plus bas. Le cycle terminal universitaire, de la L3 à M2, à l’opposé, déclare une sensation très forte d’apprendre via les écrans pour 77.5 % des étudiants (69.2 % pour l’ensemble des niveaux L1 à M2), en rapport probablement avec les recherches bibliographiques, la lecture numérique d’articles et de thèses, etc. Il en est de même pour les lycéens, en tête du classement par établissement, avec une sensation forte d’apprendre avec le Numérique pour 77.9 % d’entre eux. Commentons ces chiffres : la sensation d’apprendre avec le Numérique est moins présente chez les collégiens (42.2 %), et corrélée à une pratique numérique également plus faible. En effet, l’usage des écrans est bien cadré par la famille à 11 ans, beaucoup moins à 15 ans257. Ce cadrage familial à la baisse ainsi qu’un taux d’équipement qui progresse avec l’âge de l’élève, induisent une potentielle augmentation de la pratique numérique interactive et créative et donc de la sensation d’en retirer du savoir258. Nous pourrions ajouter à cela que ces jeunes élèves apprennent aussi à l’école à faire un usage pédagogique du Numérique (à apprendre avec), qu’ils réinvestissent le cas échéant dans leur sphère privée (Collin, 2013). L’influence des usages du Numérique est donc bidirectionnelle entre la sphère privée et scolaire. Mais surtout, les usages des plus jeunes tournent le plus souvent autour de l’audiovisuel (musique, séries, dessins animés) et des jeux comme en témoigne Chloé, élève de 6e (11 ans) : ­ Chloé : Bah, après moi je suis plutôt télé que ordinateur… donc moi, je suis souvent sur la télé. (rires) ­ J.-F. : D’accord, donc si tu dois faire un choix entre la télé et l’ordinateur, tu choisis la télé ? ­ Chloé : Oui. (rires)La sensation d’apprendre devant la télévision est logiquement plus faible qu’avec un écran interactif : l’apprentissage est plus manifeste lorsque l’individu est un acteur engagé dans la tâche et qu’il répond à des questions qu’il se pose plutôt que passif. Selon Dominique Bellec (2015), il existe même quatre niveaux d’engagement et d’attention (voire cinq si nous incluons le niveau « inattentif »), que nous synthétiserons ainsi : • un premier niveau « passif » lorsque l’étudiant est attentif aux explications et accorde son attention, • un deuxième niveau « actif » lorsqu’il réalise une activité qui lui permet de manipuler les supports d’apprentissage, • un troisième niveau « constructif » correspondant à l’étudiant qui génère de l’information « au-delà de ce qui a été enseigné », • un quatrième niveau « interactif », lorsque les étudiants travaillent en groupe et collaborent, en dialoguant, à une co-construction. Selon cet ordre, chaque niveau apporte une plus-value en matière d’engagement et d’apprentissage tel que le spécifie Dominique Bellec (2015, p. 29-30) en s’appuyant sur le modèle ICAP (Chi et Wylie, 2014). Les 6e sont moins équipés (smartphone, tablette, ordinateur) et en font un usage télévisuel plutôt passif (voir exemple plus haut), peu générateur d’apprentissages selon le modèle ICAP. En 3e , le cadre familial plus permissif (ou moins regardant) et l’équipement plus fréquent voient évoluer les usages vers davantage d’interactions humaines ou médiatiques, génératrices d’apprentissages plus conséquents, l’interaction étant un des quatre piliers de l’apprentissage selon Stanislas Dehaene (2013). Les sensations de nos collégiens vont en ce sens. Pour finir sur cette question, nos résultats montrent que la sensation d’apprendre avec les écrans n’est pas genrée (pas de différences significatives). Mais est-elle liée à la sphère scolaire ? 

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L’apprentissage avec le Numérique relève majoritairement de la sphère privée

Lorsqu’un apprenant apprend avec le Numérique, est-ce majoritairement sous l’impulsion d’un enseignant ? Nous avons établi que nos jeunes palois utilisent les écrans en moyenne 5 h 40/jour et qu’ils avaient une sensation, plus ou moins affirmée suivant le niveau scolaire, d’apprendre par leur intermédiaire (médiatisation numérique). Mais quelle est la part ressentie, correspondant aux usages numériques en contexte institutionnel (le Numérique éducatif) ?Parmi les répondants, une petite moitié des apprenants (48.5 %) ne sait pas trancher et considère que lorsqu’ils apprennent avec le Numérique, cela relève à parts égales du cadre formel et informel. L’autre moitié affiche majoritairement une sensation d’apprentissage avec le Numérique plutôt informelle à 43.2 %, contre 8.3 % pour le cadre formel. Cela indique que la sensation d’apprendre avec le Numérique relève plutôt de la sphère privée, tout comme la pratique numérique globale (ce qui était déjà le cas en 2008 selon le rapport de l’OCDE). De plus, à la question « combien d’heures par semaine, toutes les activités que tes enseignants te font faire sur écrans (en classe) représentent-elles environ ? », 71 % des répondants déclarent   – 253 moins de 4 h/semaine (moyenne 3 h 36). La courbe de la Figure 52 montre un plateau très homogène de la 5e à L2 autour des 3h/semaine. En fin de cycle universitaire (L3 à M2), l’usage des écrans en classe est plus intense, car autorisé voire impulsé autour des logiciels métiers, de la rédaction de mémoires, des recherches bibliographiques, etc. Nous avons vu que l’apprenant moyen passe 5 h 40/jour sur écrans. Si nous ne prenons en compte que les jours de semaine pour nous faire une idée simple, 3 h 36 en moyenne sont consacrés à des activités scolaires sur écrans, contre 28 h 20 (5 x 5 h 40) pour des activités plutôt informelles sur écrans. Nous devons nuancer ces chiffres en précisant que : toutes les activités scolaires avec le Numérique ne sont pas forcément porteuses d’apprentissages malgré l’intention pédagogique ; toutes les activités numériques qui relèvent de la sphère privée ne découlent pas forcément d’une intention d’apprentissage. Nous comparons simplement deux temporalités « capacitantes » en matière d’apprentissages avec le Numérique et les sensations qui en découlent pour l’apprenant. Ainsi, cela nous permet d’expliquer en partie pourquoi la sensation d’apprendre avec le Numérique relève plutôt de la sphère privée, car il y a fondamentalement une forte différence quantitative de pratique (rapport de un pour huit, juste en semaine et cela se creuse le week-end ou pendant les vacances). Sans compter que nous avons montré (ci-avant) que les jeunes passent deux fois plus de temps sur écrans qu’à l’École ! Étudions à présent le croisement de cette sensation d’apprentissage formel ou informel avec le niveau scolaire. La sensation d’apprentissage formel avec le Numérique (courbe jaune moyennée) oscille entre 13.6 % en collège et 6.7 % à l’université, avec une moyenne générale à 8.3 %. Globalement donc, la sensation d’apprendre avec les écrans est minoritairement rattachée à  l’École et tous les apprenants sondés ont conscience d’apprendre par eux-mêmes, via les outils numériques. En collège et en fin de cycle universitaire, les apprentissages formels instrumentés par le Numérique (la médiatisation évoquée) sont plus fréquemment ressentis mais au mieux dans un équilibre avec les apprentissages relevant de la pratique personnelle des écrans (courbe rose). 

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