LES AMENDEMENTS ORGANIQUES
Les amendements organiques sont largement utilisés en agriculture dans le but d’améliorer ou de maintenir la fertilité des sols (Diacono and Montemurro 2010; Hébert et al. 2010). La fertilité des sols est définie comme « la capacité d’un sol à répondre aux exigences physiques, chimiques et biologiques pour la croissance, la productivité et la reproduction de plantes de qualité selon le type de plante, le type de sol et les conditions climatiques » (Abbott and Murphy 2007). Il est connu que l’utilisation d’amendements organiques peut favoriser la séquestration de C par une accumulation accrue de biomasse et par le développement de la matière organique du sol, résultant en une plus grande stabilisation du C dans les plantes et dans le sol (Bolan et al. 2012; Bolan et al. 2013; Cooperband 2002). En agriculture, l’amendement organique le plus répandu est le fumier de divers types de bétail, alors qu’il en existe plusieurs autres types provenant de l’industrie forestière (copeaux de bois, brin de scie, biosolides de papetières), des activités urbaines (boues municipales) et de l’industrie de transformation des aliments (Faubert et al. 2017; Larney and Angers 2012).
Les caractéristiques des amendements organiques dépendent entre autres de leur origine et de leur composition (Garcia-Orenes et al. 2005; Gonzalez-Ubierna et al. 2012). Différents amendements auront donc différents effets sur les propriétés physicochimiques des sols (Diacono and Montemurro 2010; Haynes and Naidu 1998). Comme l’azote (N) est l’un des éléments nutritifs limitants dans les sols, le ratio C/N est un indicatif souvent utilisé pour classifier les amendements, puisqu’il influence directement le N disponible pour la végétation (Nave et al. 2009). Le matériel organique ayant un ratio C/N relativement faible relâchera du N disponible pour les plantes lorsqu’il se décomposera, alors que le matériel organique ayant un ratio C/N relativement fort sera caractérisé par une compétition entre les plantes et les communautés microbiennes des sols pour l’accès au N, ce qui résultera en une plus grande immobilisation du N par les communautés microbiennes (Amlinger et al. 2003). Puisque les plantes ne peuvent généralement utiliser que le N sous forme minérale (NO3 – et NH4 +), la quantité de N organique qui pourrait éventuellement être assimilable par les plantes correspond au « N potentiellement minéralisable » (Chantigny et al. 2001).
De manière générale, les résidus d’origine animale ont un ratio C/N plus faible que les résidus végétaux, en raison de leur forte concentration en N (Cooperband 2002). De plus, la majorité du N présent dans les lisiers de bétail l’est sous forme minérale et est donc directement assimilable par les plantes (Chantigny et al. 2001). Il s’agît d’une des raisons pour lesquelles les lisiers de bétail sont grandement utilisés en agriculture. Par exemple, le lisier bovin possède généralement un ratio C/N entre 5 et 25 (Diacono and Montemurro 2010), ce qui en fait une source importante de N assimilable par plantes (Cooperband 2002). Puisque les différents lisiers sont en grande demande dans le secteur de l’agriculture, leur utilisation comme amendement organique ne représente pas un gisement potentiellement important pour la végétalisation de parcs à résidus miniers. Ainsi, l’utilisation de matières résiduelles industrielles comme les biosolides de papetières (BP) correspond davantage à un gisement durable. En effet, lorsqu’ils sont utilisés comme amendement organique, les BP améliorent les différentes propriétés physicochimiques des sols tout en agissant comme une source d’éléments nutritifs pour les plantes (Camberato et al. 2006).
Les biosolides de papetières
Les BP sont un résidu organique de l’industrie des pâtes et papiers provenant du traitement des effluents des usines. Il existe trois types de BP, soit les BP de désencrage, les BP primaires et les BP secondaires, qui ont tous des caractéristiques différentes (Nemati et al. 2000b). Il est connu que l’utilisation de BP comme amendement organique peut augmenter le rendement des cultures ainsi que les propriétés physicochimiques des sols lorsqu’ils sont appliqués de façon répétée en milieu agricole (Gagnon and Ziadi 2012). Price and Voroney (2007) ont aussi trouvé que l’application annuelle de BP pendant trois ans en milieu agricole diminue la densité apparente de sols et l’infiltration de l’eau de surface et augmente la stabilité des agrégats, avec une amélioration de certaines variables après une seule année d’application dans certains cas. Une expérience en laboratoire menée par Nemati et al. (2000a) a montré que les propriétés structurelles et chimiques, ainsi que la stabilité et la répartition des agrégats, étaient améliorés avec l’application de BP de désencrage. Alors que ces recherches se concentrent sur l’utilisation de BP en milieu agricole pour la croissance d’espèces herbacées. Lteif et al. (2007) ont trouvé que l’application de BP seuls et d’un mélange de BP et de lisier de porc ont significativement augmenté la croissance du peuplier hybride (Populus trichocarpa x Populus deltoides) sur des terres agricoles marginales ayant une faible fertilité inhérente.
L’effet de plusieurs matières résiduelles fertilisantes, dont les BP, a été étudié dans une optique de végétalisation de sites dégradés (Larney and Angers 2012). Dans une étude en serres, Green and Renault (2008) ont trouvé que l’application de BP et une fertilisation adéquate a augmenté la croissance de Medicago sativa, Festuca rubra et Agropyron trachycaulum dans des résidus miniers aurifères ayant un pH neutre. Ils ont aussi trouvé que l’application de BP sur les mêmes résidus a augmenté la stabilité des agrégats et a diminué la densité apparente du sol. Des études au champ ont montré que l’application de BP compostés sur des résidus d’une mine de taconite a augmenté la croissance de Panicum virgatum et amélioré les propriétés physicochimiques du sol (Johnson 1998). En vertu du plan d’action 2011-2015 sur la politique québécoise de gestion des matières résiduelles, le gouvernement du Québec s’est engagé à dresser une stratégie visant à bannir l’enfouissement des matières organiques putrescibles pour 2020 (MDDEP 2011). Comme les usines de pâtes et papiers ne pourront plus enfouir leurs biosolides, différentes avenues de valorisation devront être étudiées par cette industrie, dont la valorisation comme amendement organique. Puisque les biosolides fraîchement sors de l’usine ne représentent pas une source d’approvisionnement suffisamment importante pour assurer une disponibilité lors des périodes d’épandage, l’utilisation de biosolides déjà enfouis devient une alternative intéressante. Les BP, qui étaient jusqu’ici enfouis, deviendraient donc disponibles pour être utilisés comme amendement organique, dans une perspective d’écologie industrielle.
ESPÈCES LIGNEUSES
Afin de favoriser le succès de la remise en valeur de parcs à résidus miniers et pour maximiser la séquestration de C, plusieurs stratégies peuvent être adoptées en ce qui a trait au choix d’espèces ligneuses. Par exemple, l’utilisation d’espèces colonisatrices, comme l’aulne crispé (Alnus viridis (Chaix) DC. ssp. crispa), pourrait favoriser un taux de survie élevé des arbres sur les sites dégradés, assurant une séquestration du C atmosphérique à long terme. D’un autre côté, l’utilisation d’espèces à croissance rapide, comme l’épinette blanche (Picea glauca (Moench)) et l’épinette de Norvège (Picea abies (L.) H. Karst), pourrait permettre une accumulation accélérée de biomasse sur le site, favorisant une séquestration potentiellement significative de C, en assumant que la capacité de support du milieu puisse soutenir la croissance et la productivité d’espèces ayant une forte demande en élément nutritifs. Comme l’utilisation d’espèce ligneuses en milieu minier a peu été étudiée, il y a un vide de connaissances sur la capacité des différentes espèces à survivre et à croître sur ces sites dégradés.
De plus, dans le contexte du Plan d’action sur les changements climatiques (PACC), reconduit jusqu’en 2020, et de la mise en place du Système de plafonnement et d’échange des droits d’émission de gaz à effet de serre (SPEDE) du Québec, intégrant plusieurs entreprises québécoises au marché de la Western Climate Initiative (WCI), des solutions favorisant les absorptions de GES doivent être mises en oeuvre rapidement pour aider les industriels réglementés à respecter leurs intensités cibles d’émission de GES. Bien que l’absorption du carbone atmosphérique par la végétalisation des terres privées n’est pour le moment pas incluse dans la liste de projets admissibles à des crédits compensatoires, le site du Ministère du Développement Durable, de l’Environnement et de la lutte contre les Changements Climatiques indique qu’une protocole est en cours d’élaboration.
HYPOTHÈSES ET OBJECTIFS
Les hypothèses testées dans cette étude sont que l’application d’amendements organiques, en fonction de leur nature et de leurs propriétés physicochimiques, vont (1) améliorer la fertilité des résidus miniers en augmentant la concentration de N minéral, N potentiellement minéralisable, P, K, Ca, Mg et la capacité d’échanges cationiques (CEC), ainsi qu’en diminuant la saturation en base et la densité apparente du sol, (2) augmenter le taux de survie et la croissance des arbres plantés et (3) améliorer le statut nutritif des arbres plantés en augmentant les concentrations de N, P, K, Ca et Mg contenues dans leur feuillage. L’effet du lisier bovin (LB) sur la fertilité du sol devrait être observé plus rapidement que celle des BP, en raison de la disponibilité des éléments nutritifs dans le premier amendement. Les BP devraient aussi avoir un effet plus important sur la densité apparente du sol que le LB en raison de sa plus grande durée de vie dans le sol lorsqu’il est utilisé comme amendement. La survie de l’ensemble des espèces ligneuses plantées devrait être augmentée par la présence d’amendements (BP ou LB). La croissance et le statut nutritifs des arbres plantés, après une saison de croissance, devraient être supérieur dans les résidus amendés avec du LB puisque la disponibilité des éléments nutritifs de cet amendement est susceptible de favoriser la performance des arbres à court terme. Pour tester ces hypothèses, une expérimentation a été réalisée sur une plantation de trois espèces d’arbres sur un parc à résidus miniers amendés, avec comme objectifs de quantifier (1) l’effet des amendements testés (lisier de bovins et biosolides de papetières) sur les variables physicochimiques mentionnées plus haut dans les sols, (2) l’effet de ces amendements sur la survie et la croissance et (3) sur le statut nutritif des espèces ligneuses étudiées (aulne crispé, épinette blanche et épinette de Norvège).
RÉSUMÉ |