Angles d’approche théoriques de la recherche : représentations sociales et carrière
Le sujet de ce mémoire permet de lier les apports de la sociologie (sociologie de l’argent, de l’engagement, de l’action collective) à ceux de la psychologie sociale à travers le concept de représentation sociale. Cette recherche s’inscrit dans la lignée des travaux de Moscovici sur les représentations sociales. Il convient ainsi de définir préalablement ce qu’est une représentation sociale : « Le terme « représentation sociale » renvoie aux produits et aux processus caractérisant la pensée de sens commun, forme de pensée pratique, socialement élaborée, marquée par un style et une logique propres, et partagée par les membres d’un même ensemble social ou culturel »23. Ce concept est d’abord apparu en sociologie avec Durkheim à travers le terme de « représentation collective », puis sa théorie s’est développée en psychologie sociale avec S. Moscovici24. Une représentation sociale pourrait se définir comme une « connaissance socialement élaborée et partagée, ayant une visée pratique, et concourant à la construction d’une réalité commune à un ensemble »25 . Elle est socialement construite et en construction constante car elle se construit à partir de nos « expériences, informations, savoirs, modèles de pensée auxquels nous sommes confrontés (par la socialisation, l’échange) »..
Elle œuvre à la « construction sociale de notre réalité »27. Mais c’est également une « forme de connaissance sociale » qui permet à l’individu d’appréhender son environnement28, et une « connaissance pratique » qui permet l’action. La représentation sociale est définie en co-construction par son objet et par le sujet qui la porte. La représentation dépend alors de la position occupée par le sujet29. C’est un phénomène interindividuel, inter-groupe et collectif..
Il y a plusieurs orientations théoriques autour du concept de représentation sociale, dont deux qui seront utilisées dans ce mémoire31. Premièrement, l’approche de Moscovici décrit « les conditions et les processus impliqués dans l’émergence des représentations » et leurs conditions de transformation. Les représentations se forment lors de confrontations à des situations ou événements inconnus ou inhabituels, l’activité cognitive tente d’appréhender le phénomène. Les représentations sociales sont ainsi envisagées comme des « systèmes de signification qui expriment le rapport que les individus et les groupes entretiennent avec leur environnement »32. En ce sens, partager des représentations participe à la formation ou à l’accentuation d’une identité de groupe33. L’approche structurale d’Abric34 se focalise quant à elle sur les contenus des représentations, leur organisation et dynamique. Abric développe la théorie du noyau central pour étudier la structure des représentations sociales..
Elles sont composées d’un noyau central et d’un système périphérique, qui contient des éléments plus ou moins proches du centre. Le système périphérique est la partie « concrète et opérationnelle », qui permet de décrypter les situations sociales auxquelles l’individu est confronté, et ainsi de pouvoir adapter les représentations aux situations concrètes. Il protège le noyau central37, personnalise la représentation et les conduites associées, et prescrit ainsi des comportements à adopter. Quant au noyau central, c’est l’élément le plus stable, il génère du sens et organise l’agencement des éléments de la représentation. C’est également le garant de la permanence de la représentation comme base commune et partagée38. Selon Moliner, c’est en agissant sur les éléments périphériques, par les pratiques sociales ou la communication, que les représentations du noyau central peuvent changer.
Une diversité de manières d’utiliser la Gonette
De prime abord, l’utilisation de la gonette pourrait se résumer à l’acte monétaire d’acheter des biens ou services au moyen de la monnaie locale la « Gonette », que ce soit sous la forme de l’échange de monnaie papier ou bien de paiement numérique. Néanmoins l’acte de consommation en gonettes s’inscrit dans un ensemble plus vaste de pratiques. Pour utiliser la gonette, il faut d’abord être adhérent·e de l’association. Ensuite, l’adhérent·e doit échanger ses euros en gonettes, de manière physique, dans un bureau de change, ou bien sur son compte numérique gonette. Avoir en sa possession des gonettes est donc un préalable inéluctable à l’utilisation de la gonette. L’intensité de l’utilisation de la gonette recouvre des pratiques variées. Si certains adhérent·es se sont rendu·es à un événement organisé par l’association la Gonette, ou bien lors duquel l’association était présente, et ont pris leur adhésion et utilisé la gonette lors de cette même journée, sans jamais la réutiliser par la suite ; d’autres payent régulièrement leurs courses en gonettes, voire sont devenu·es bénévoles de l’association.
Il ne s’agit pas seulement de payer en gonettes pour alimenter le circuit de la monnaie locale, l’utilisation de la gonette englobe un ensemble de pratiques visant à faire vivre et circuler la gonette. Les adhérent·es contribuent à visibiliser et promouvoir la gonette en parlant de la monnaie locale autour d’eux pour informer et convaincre d’autres personnes à adhérer et utiliser la gonette, ainsi qu’en demandant aux commerçant·es qu’ils/elles fréquentent, si elles/ils connaissent l’existence et le fonctionnement de la monnaie locale et si elles/ils seraient intéressé·es d’y adhérer. Chaque adhérent·e peut aussi prendre part aux décisions prises collectivement et horizontalement sur la gestion et l’orientation de la Gonette, sans forcément devenir membre actif·ve. Enfin, tant pour fonctionner et continuer à se développer, que pour alimenter son caractère démocratique, l’association la Gonette a besoin de bénévoles qui lui dédient du temps.
Caractériser les utilisations des adhérentes
Au sein de ces diverses façons d’utiliser la gonette, il faut distinguer une pluralité de degrés d’engagements : si certains individus modifient radicalement leurs modes de vie pour des motifs idéologiques, d’autres consomment de temps en temps des produits biologiques ou locaux. Ainsi, afin d’obtenir un panorama général trois critères peuvent caractériser les différentes utilisations de la gonette par les personnes interviewées : la régularité de l’utilisation de la gonette comme moyen de paiement ; la propension de l’adhérent·e à parler de la gonette autour de lui/d’elle ; et son degré de participation aux événements Gonette51 (Annexe 3). En étudiant les profils des personnes interrogées à la lumière de ces trois critères dans un tableau, nous pouvons remarquer que la plupart des adhérent·es n’ayant pas participé à des événements organisés par la Gonette sont également celles et ceux qui n’utilisent pas la gonette de manière régulière. Il y a donc une forte corrélation entre l’utilisation régulière de la gonette et le fait de participer à des événements de l’association, ou d’être bénévole, donc impliqué·e dans l’association.
De plus, la grande majorité des adhérent·es ont parlé de la gonette autour d’elles/eux, cependant les adhérent·es ne l’ayant pas fait sont également celles et ceux qui n’ont pas participé à des événements de l’association. Dorian, a utilisé la gonette une seule fois, lors d’une soirée organisée au bar le 405 par la gonette. Il n’a pas parlé de la gonette à d’autres personnes, car pour lui l’utilisation de la gonette s’est circonscrite à cette soirée-là : « Non… Je ne sais pas, j’aurai pu en parler. Ça n’a jamais été par crainte d’être rejeté ni rien, c’est juste que le sujet n’a pas été abordé et puis je n’y ai pas pensé tu vois, c’est vraiment juste un oubli. Mais je pense que… j’ai plusieurs personnes en tête qui pourraient être intéressées en plus ! ». De plus, il était peu familier du fonctionnement de la gonette. Il ne savait par exemple pas, que les commerces dans lesquels la gonette pouvait être utilisée étaient engagés, dans des démarches éthiques, sociales ou environnementales. L’autre personne interrogée n’ayant pas parlé de la gonette autour d’elle, expliquait en avoir « Une vision parcellaire et [être] bien incapable de répondre à une question un peu pointue sur le fonctionnement, l’usage… » et en concluait « Autant j’avais été convaincu autant je ne peux pas convaincre des personnes en plus… (…) Expliquer les tenants et les aboutissants… N’étant pas économiste moi-même, c’est compliqué »52. Ainsi le fait de ne pas parler de la gonette autour de soi bien qu’étant adhérent·e s’explique par un manque de connaissance sur le fonctionnement de la monnaie locale, entrainant parfois un manque de légitimité pour promouvoir la monnaie locale. De manière générale, les personnes utilisant la gonette en parlent au moins à leur entourage, voire à leurs commerçant·es de proximité.
PARTIE INTRODUCTIVE |