LES ACTEURS LOCALISÉS ET EN MOUVEMENT VILLES, TERRITOIRES, RÉSEAUX ET MOBILITÉ
La ville constitue le sujet central de ce chapitre. Cependant, la ville, même étudiée dans son contexte d’un système de villes, c’est-à-dire dans sa relation avec les autres villes avec lesquelles elle associe son destin, est intimement liée avec les territoires qui font également partie de son passé et de son devenir, quelles que soient les dispositions et les postures qu’elle adopte à leur égard. Un rapprochement focal sur le système matérialisé qu’est le système de villes révèlerait un autre système que conforment ensemble villes et territoires, unis par des réseaux et parcourus de mobilités qui assurent leur dynamique. La ville est un être géographique à fort potentiel. Son rôle est multiple mais tourne essentiellement autour de la notion d’interface. C’est d’abord un lieu de concentration de population et de ressources en tous genres, et un centre de pouvoir. La ville établit, à partir de ce potentiel, des relations avec son hinterland selon des modalités propres à chaque couple ville-campagne. C’est ensuite un élément d’un système complexe : ville parmi les villes, elle fait partie d’un système relationnel dans lequel elle occupe un rang et des fonctions déterminées. C’est enfin par la ville que pénètre la globalisation dans le local et les réponses locales à la globalisation passent également par les villes. La ville constitue donc le lieu privilégié de rencontre entre le global et le local. Mais évoquer la notion d’interface revient à parler de contact et plus avant, de limites ou de frontières. Or la ville, a priori rassurante pour le géographe car observable à l’œil nu, ne se laisse pas facilement connaître car sa dynamique génère de l’incertitude dans son organisation, dans ses relations, dans ses marges et dans son destin. C’est sans doute pourquoi la ville a suscité tant d’intér ts qui se sont traduits par un ensemble de connaissances et d’interrogations qui constituent la théorie urbaine. À moins de n’ tre intéressé que par certains détails de l’urbain ou de se noyer dans une mer de détails, le recours à la théorie urbaine s’avère indispensable pour qui souhaite connaître la ville au-delà de l’atmosphère qu’elle dégage. Après avoir décliné l’originalité des villes des pays andins et la spécificité de leur organisation, nous allons les confronter aux théories récentes ou anciennes, en particulier celles se rapportant à leur production, à leur développement et à leur organisation. Le système urbain bolivien sera étudié dans son ensemble mais aussi dans les sous-systèmes qui le composent. En particulier, on exposera le cas des réseaux urbains de l’orient bolivien à la lumière de la relation entre urbanisation et développement territorial.
La ville andine à l’épreuve des théories urbaines
Les limites des modèles classiques de types hiérarchiques tels que formulés par Walter Christaller et conceptualisés par August Lösch ont été largement commentées par les géographes et les économistes spatiaux (Camagni, 1992, Derycke P.-H., 1994). Les auteurs évoquent essentiellement l’extraordinaire essor des transports et télécommunication et la spécialisation des villes. Pourtant, Roberto Camagni considère que le modèle classique demeure « un paradigme régulateur de l’organisation spatiale des activités agricoles, administratives/bureaucratiques et tertiaires traditionnelles » (Camagni, 1992 : 39 . Qu’en est-il des villes des pays des Andes centrales ? La double origine endogène et exogène des réseaux urbains andins, le modèle économique sans industrialisation, et les énormes disparités introduites par les transports et télécommunication font que ces modèles apparaissent encore moins utiles. Les modèles d’attractivité ou gravitaires sont difficiles à mettre en œuvre pour des raisons similaires et par manque de données significatives. Ces limites expliquent sans doute que peu d’auteurs se soient intéressés à élargir les champs d’application des modèles dans le contexte des pays périphériques. Dans le cadre de cette thèse, les modèles classiques de la théorie urbaine restent la référence pour l’analyse des réseaux urbains, mais dans un contexte où les champs de force, les stratégies et les acteurs sont multiples (à la fois territorialisés pour certains et déterritorialisés pour d’autres , une approche systémique peut fournir le cadre conceptuel et méthodologique qui peut aider à mieux comprendre le système urbain particulier de la Bolivie. Ainsi, les villes andines du sommet de la hiérarchie doivent-elles se déterminer en fonction de deux types de stratégies non exclusives : stratégies territoriales et/ou stratégie réticulaire ; polariser son espace et/ou s’insérer dans le réseau monde ; tre le centre d’une périphérie et/ou le relais périphérique d’un centre. En effet, dans le système-monde, l’espace apparaît parfois comme un coût en termes d’équipement ou de transfert de solidarité , que certaines villes-centres de la périphérie mondiale souhaiteraient ne pas assumer, d’o une tendance à la dépolarisation de pans de territoires jugés non rentables ou non compétitifs ou même considérés comme des fardeaux. Les centres de niveaux inférieurs (régional et local) se comportent de manière plus classique avec des liens de polarisation du milieu et parfois des liens de coopération entre eux.