Les acteurs clés de la vaccination tolérogénique

Les cellules dendritiques (DC) : tolérance, auto-immunité et caractérisation

Les cellules dendritiques initiatrices de la tolérance immune

Les cellules dendritiques constituent une famille hétérogène de cellules présentatrices d’antigènes (APC) avec un rôle clé dans l’activation de réponses cellulaires et humorales. Ces « chefs d’orchestre » de la réponse immunitaire ont un rôle majeur de sentinelle pour prendre en charge les antigènes issus aussi bien du soi, que d’organismes pathogènes ou de processus tumoraux. Le rôle majeur de ces cellules est donc de présenter l’ensemble des antigènes après internalisation, grâce à des phénomènes de migration au sein des organes lymphoïdes primaires, secondaires et même tertiaires. Ces structures, dédiées à la maturation et à la régulation du système immunitaire, permettent le dialogue nécessaire entre initiateurs et effecteurs de l’immunité. En contexte inflammatoire, de cause infectieuse ou tumorale, les DC sont responsables de l’initiation des réponses cellulaires et humorales adaptatives. A l’inverse, dans un microenvironnement particulier, dont la définition varie grandement en fonction de l’organe dans lequel elles se trouvent, les DC initient des phénomènes de tolérance.
Cette action tolérogène est d’ailleurs fondamentale pour garantir l’homéostasie de l’individu, comme l’atteste le développement d’auto-immunité parfois létale lors de la déplétion de ces cellules (Ohnmacht et al., 2009).
Le rôle des DC dans la tolérance s’opère principalement à deux niveaux et se caractérise par un dialogue privilégié avec les LyT (Figure 1). Le premier niveau d’interaction est illustré par la délétion, au sein du thymus, des clones lymphocytaires présentant une affinité forte pour des antigènes du soi. Cette tolérance centrale s’opère par des mécanismes d’apoptose en empêchant pour la majeure partie de ces clones lymphocytaires de pouvoir par la suite évoluer en périphérie et initier des réponses délétères. D’autre part, ces DC sont également essentielles dans la génération de Treg, cellules qui reconnaissent, elles aussi, des antigènes du soi mais qui exercent à l’inverse une modulation des réponses immunitaires en périphérie. Ces mécanismes ne peuvent néanmoins pas permettre de se dispenser d’une tolérance périphérique. Ce deuxième niveau de tolérance est caractérisé en premier lieu par des phénomènes d’’apoptose induite après une activation (Chen et al., 2006). Deuxièmement, des phénomènes d’anergie caractérisés par l’absence de réactivité des LyT sont retrouvés (Mahnke et al., 2002). Ce mécanisme serait déclenché par la régulation de l’expression de l’un ou de l’autre des deux signaux essentiels pour permettre l’activation des LyT. Le premier signal est fourni par la liaison entre le récepteur cellulaire T (TCR) avec le complexe majeur d’histocompatibilité (CMH) présentant un peptide. Le deuxième est issu de la fixation de molécules de costimulation présentes sur les DC et les LyT. Le dernier mécanisme, également décrit en périphérie, est celui de l’induction de LyT présentant des fonctions suppressives et classiquement dénommés Treg (Sakaguchi et al., 2008). Au sein de cette catégorie de cellules, on retrouve les Treg exprimant le Foxp3+, les Treg sécrétant de fortes quantités d’IL-10 dénommés Th1 ou encore les LyT dits Th3 et caractérisés par une forte production de « transforming growth factor b » (TGF-b).

Cellules dendritiques et pathologies auto-immunes

De nombreux arguments sont aujourd’hui disponibles pour effectuer le lien entre DC et auto-immunité. En effet, si leur rôle dans la tolérance est clairement démontré (Audiger et al., 2017), il est relativement simple d’émettre l’hypothèse que ces cellules sont également impliquées dans les processus d’auto-immunité. D’ailleurs, la présence de DC au niveau des sites tissulaires caractérisés par une inflammation dans les pathologies auto-immunes (e.g polyarthrite rhumatoïde (PR) et sclérose en plaques (SEP)) renforce l’idée de ce rôle primordial et continu dans la physiopathologie (Nuyts et al., 2013; Yu and Langridge, 2017).

Caractérisation des cellules dendritiques tolérogènes (tolDC)

La définition de DC tolérogènes a donc nécessité de nombreuses recherches et à l’heure actuelle aucun consensus n’est réellement établi pour les définir, d’autant plus que de nombreux agents ou techniques sont disponibles pour les générer. Néanmoins, les DC immatures ou iDC sont fréquemment décrites comme des tolDC par excellence (Steinman et al., 2003). Cette définition ne peut se suffire à elle-même, d’une part car des iDC sont observées dans l’ensemble des DC qu’elles soient d’origine myéloïde ou plasmacytoïdes, et d’autre part car les iDC sont définies par leur état de maturation alors que des tolDC immatures et matures sont présentes chez l’Homme.
Un des premiers mécanismes avancés pour expliquer la capacité des iDC à induire la tolérance est de présenter de manière traditionnelle un antigène en l’absence d’un fort niveau d’expression des molécules de costimulation telles que le CD80 et le CD86. Cette particularité engendre au sein du LyT le premier signal d’activation issu du TCR et du CD3, mais l’absence de signal de costimulation classiquement délivré par le CD28 empêche l’activation complète de la cellule. De ce fait, le LyT se retrouve classiquement en état anergique ; état défini par la réfraction aux stimulations antigéniques ultérieures mais réversible par l’interleukine-2 (IL-2). Cependant ce mécanisme ne semble pas suffisant à lui tout seul car des DC maintenues en culture et mises en présence de TNFa ou d’interféron-g (IFN-g) présentent d’importants niveaux d’expression des molécules CD80 et CD86 tout en permettant l’induction préférentielle de Treg (Wang et al., 2006).
D’autre part, la capacité des tolDC d’induire la tolérance au niveau des organes lymphoïdes secondaires requiert l’expression de certains récepteurs aux chimiokines comme le CCR7. Ce récepteur permettant de lier les chimiokines CCL19 et CCL21 est classiquement exprimé après maturation des DC. Ce phénomène de migration et d’induction de tolérance périphérique est d’ailleurs mis fréquemment en lumière dans des études de tolérance orale aux allergènes où l’absence de CCR7 déclenche la prolifération importante de cellules spécifiques de l’allergène avec des manifestations allergiques localisées et systémiques (Jang et al., 2006; Worbs et al., 2006).
D’autres équipes décrivent les tolDC comme un état intermédiaire entre les iDC et les DC matures (mDC), leur permettant d’exprimer des niveaux modérés de CD80 et CD86 tout en étant capables de migrer à souhait au niveau des organes lymphoïdes secondaires après avoir pris en charge les antigènes et d’initier les réponses tolérogènes au sein de ces structures (Flórez-Grau et al., 2018)(Figure 2). Ce statut intermédiaire de maturation est notamment retrouvé dans le cadre d’induction de tolDC par l’usage de divers agents pharmacologiques. Ces cellules présentent là encore une expression intermédiaire des molécules de costimulation ainsi que des marqueurs de maturation CD83 et CD40. Elles sont en revanche caractérisées par une forte production et sécrétion d’interleukine-10 (IL-10), une des cytokines tolérogènes avec un rôle majeur sur de nombreux effecteurs. Par ailleurs, ces cellules produisent de fortes quantités de TGF-b (Maldonado and Andrian, 2010), la molécule majoritairement identifiée dans la génération au niveau périphérique de Treg exprimant le facteur « forkhead box protein décrits. On observe que l’activité transcriptionnelle est très fortement dépendante de l’agent utilisé pour induire ces tolDC et qu’elle ne permet de pas de définir un ensemble homogène de tolDC partageant des caractéristiques majeures avec un seul sous-groupe de DC (García-González et al., 2017; Sim et al., 2016) .

Les cellules dendritiques tolérogènes in situ

De la même manière qu’il est difficile de définir le phénotype de la cellule dendritique tolérogène par excellence, il est extrêmement compliqué d’identifier les tolDC opérant in situ que ce soit au niveau systémique comme tissulaire. Il est important de rappeler que ces cellules sont très hétérogènes et se localisent dans de multiples sites. D’autre part, en fonction des signaux micro-environnementaux, elles sont capables grâce à leur plasticité phénotypique d’initier tout autant des réponses immunitaires fortes que d’induire une tolérance durable.

LIRE AUSSI :  Système nerveux entérique et maladie de Parkinson

Les cellules dendritiques circulantes

Les cellules dendritiques circulantes sont classiquement catégorisées chez l’homme et la souris en fonction de leur provenance. On décrit d’un côté les cellules myéloïdes avec au sein de cette classe, les cellules renommées cDC1 et cDC2 chez la souris, et d’autres part les DC plasmacytoïdes.

Cellules dendritiques myéloïdes

Chez la souris, les cDC1 correspondent aux DC conventionnelles exprimant le CD8 mais très peu le CD11b et représentent environ 20% des DC dans la rate. Très peu de données sont disponibles chez l’Homme sur un potentiel rôle tolérogène de ces cellules au niveau systémique. Néanmoins, une étude souligne un possible rôle dans la génération de Treg (Chu et al., 2012) en utilisant des DC générées in vitro et présentant ce phénotype. Les cDC2 chez la souris correspondent aux 80% de cellules restant dans la rate et qui n’expriment pas le CD8. De manière globale, ces cellules sont caractérisées par le phénotype suivant CD11c+ CMH-II+ CD45RloCD8alpha- et CD11b+ (Shortman and Heath, 2010). En termes de tolérance et de la même manière que les cDC1, peu de données sont disponibles sur les cDC2 au niveau systémique. Cependant, elle pourraient participer à la délétion des clones autoréactifs CD4+ (Proietto et al., 2008).

Cellules dendritiques plasmacytoïdes

Les cellules dendritiques plasmacytoïdes (pDC) ont été caractérisées pour la première fois en 1999 chez la souris et sont définies par le phénotype CD11cdim CD45RAhi CD45Rhi, CD317+, MHCIIlow, CD172+ et CD11b-. Un des rôles importants des pDC est celui de la tolérance. En effet, ces cellules présentent peu de capacités à induire l’activation cellulaire T même après activation et cette absence d’effet est en partie médiée par une faible présentation antigénique. De plus, ces cellules seraient capables d’induire la tolérance par l’intermédiaire de la production d’indoléamine 2,3 dioxygénase (IDO).
Cette enzyme catabolisant le tryptophane serait responsable de l’anergie lymphocytaire T et du recrutement de Treg. D’autres voies d’action pour initier la tolérance comme la sécrétion d’IL-10 et de TGF-b sont également débattues. De plus, une équipe a démontré une co-localisation tissulaire entre les LyT et les pDC au niveau ganglionnaire, alors qu’une autre propose un modèle de transfert de présentation antigénique entre les pDC et les DC résidentes au niveau de ces mêmes ganglions. Ces différences mécanistiques pourraient être entre autres expliquées par l’hétérogénéité de ces pDC au niveau tissulaire. D’autre part, en contexte tumoral des pDC exprimant de fort niveau d’IDO sont retrouvées, et leur présence est corrélée avec une évolution clinique défavorable (Sisirak et al., 2012). Les travaux qui permettent de conclure sur le rôle des pDC se sont concentrés sur les conséquences d’une délétion des pDC par utilisation d’anticorps spécifique anti CD317. Cette déplétion induit des exacerbations dans des modèles murins d’allergie et entraine une rupture de tolérance dans un modèle de greffe cardiaque (de Heer et al., 2004; Ochando et al., 2006), ce qui assure le rôle de ces DC dans la génération d’une tolérance périphérique.

Les muqueuses, un site privilégié de la tolérance

Les cellules dendritiques des muqueuses représentent un intérêt certain dans la compréhension des maladies auto-immunes (MAI). En effet, ces cellules sont en première ligne pour prendre en charge des antigènes exogènes et initier les réponses immunitaires. De fait, ces cellules sont plus fréquemment décrites comme responsables d’une activation immunitaire qu’elle soit polarisée vers une immunité cellulaire (Th1) ou humorale (Th2). Néanmoins, des DC issues de muqueuses diverses (e.g. plaques de Peyer et lamina propria au niveau intestinal, épithélium pulmonaire) produisent de fortes quantités d’IL-10 tout en polarisant les réponses immunitaires vers un profil Th2 (Kelsall and Rescigno, 2004). L’hypothèse expliquant cette double fonction des DC mucosales serait de permettre une tolérance relative aux organismes commensaux situés au niveau des muqueuses en évitant toute immunité cellulaire. Les trois types de DC (cDC1, cDC2 et pDC) sont retrouvés au niveau de l’intestin. En premier lieu, les cDC2 induisent des Treg (Watchmaker et al., 2014), et la présence importante du CD5 à leur surface semble être corrélée avec le taux de Treg induits. Ces cDC2 expriment le CX3CR1 et induisent une tolérance locale grâce à l’absence d’expression de CCR7 et donc leur incapacité de migrer dans les ganglions mésentériques (Schulz et al., 2009). A l’inverse, les cDC1 participent de leur côté à l’induction de Treg via la mise en jeu de l’acide rétinoïque (Coombes et al., 2007). Ces DC expriment majoritairement le CD103+, migrent au niveau de ces ganglions et permettent l’induction de tolérance de manière plus systémique.
La muqueuse orale est un site d’induction de tolérance privilégiée notamment aux aliments. L’étude de ce tissu révèle la présence de 4 types de cellules impliquées dans la tolérance (Hovav, 2014; Mascarell et al., 2008). Premièrement, des cellules de Langerhans minoritaires sont observées et leurs mécanismes d’action seront détaillés dans la description des cellules dendritiques de la peau. On retrouve également des DC CD11b+ CD11c+, des macrophages CD11b+ CD11c- et des pDC induisant le recrutement des Treg par l’expression de l’IFN-g et de l’IL-10.

La tolérance initiée par la peau

Les DC de la peau sont d’une importance cruciale dans la tolérance immunitaire.
De manière similaire aux DC de la muqueuse, elles sont situées au sein d’un tissu particulièrement exposé aux antigènes extérieurs ainsi qu’aux stimuli inflammatoires.
D’autre part, la peau est le siège d’un renouvellement constant des kératinocytes et mélanocytes qui s’engagent dans un processus d’apoptose. Cette plasticité tissulaire est responsable d’une exposition forte aux composants cellulaires et membranaires de ces cellules et nécessite donc l’établissement d’une tolérance (Larregina and Falo, 2005) . Le rôle prépondérant de la peau est particulièrement illustré dans la physiopathologie de l’allergie alimentaire, car à la fois responsable des processus de sensibilisation (Johnston et al., 2014) et des processus de désensibilisation avec le traitement par immunothérapie épicutanée (Viaskin®, DBV Technologies) (Dioszeghy et al., 2018). Dans ce mécanisme, les cellules de Langerhans (LC) prennent une part très importante car elles sont situées au niveau de la couche la plus externe dénommée l’épiderme. Le processus par lequel ces cellules induisent une tolérance aux antigènes du soi demeure flou, néanmoins leur capacité de prise en charge des antigènes couplée à leur migration dans les ganglions lymphatiques en exprimant de faibles niveaux de molécules de costimulation semble primordial (Geissmann et al., 2002). D’autre part, les LC stimulent la production d’IL-10 et de TGF-b par la sécrétion d’ « a-melanocyte stimulating hormone » (Grabbe et al., 1996) et pourraient également agir par l’intermédiaire d’IDO. De nombreux travaux complètent cette description de la tolérance par la découverte de l’implication de la vitamine D3 et du besoin d’activation par les rayons ultraviolets pour induire le recrutement de Treg (Mora et al., 2008). Cet effet est retrouvé après culture in vitro (Unger et al., 2009) sur des LC qui présentent toujours un phénotype plus proche de DC immatures que matures.

Formation et coursTélécharger le document complet

Télécharger aussi :

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *