Les enjeux
En termes macro-économiques, les achats de livres des bibliothèques représentent une part modeste du chiffre d’affaires des éditeurs, qui peut être estimée à 2,5 %. Elle est cependant beaucoup plus importante pour certains secteurs éditoriaux, qu’il s’agisse de l’édition de sciences humaines, de l’édition scientifique, de la littérature de création, notamment pour la jeunesse, des livres de poésie, des livres en gros caractères, ainsi que d’une façon générale, pour les petites structures éditoriales. Ils représentent en revanche une part beaucoup plus élevée du chiffre d’affaires des librairies, qui s’élevait en moyenne à 13 % selon l’étude publiée en 2007 sur la situation économique de la librairie indépendante, et à près de 30 % pour les librairies spécialisées (jeunesse, BD, art, etc.), pour qui ils constituent souvent le complément indispensable pour assurer l’équilibre économique de leur activité de vente en magasin. La question de l’accès de la librairie au marché des bibliothèques s’est posée en termes aigus au milieu des années 1990 quand s’est engagée, sous la pression de certains grossistes ou fournisseurs spécialisés n’ayant pas les mêmes frais de structure que les librairies (loyer en centre-ville, personnel), une spirale de hausse sur les rabais, qui ont fini par atteindre couramment 27 % à 28 % sur les marchés les plus importants, niveau difficilement soutenable par la plupart des librairies, sauf à mettre en danger la viabilité globale de leur entreprise.
Pour y mettre terme et préserver sur le marché des bibliothèques la même diversité des réseaux de diffusion que sur le marché des ventes aux particuliers, le législateur a encadré le régime dérogatoire que la loi du 10 août 1981 avait à l’époque accordé aux collectivités publiques pour les achats de livres de leurs bibliothèques afin de rattraper le retard de développement des réseaux de lecture publique. La loi du 18 juin 2003 relative à la rémunération du prêt en bibliothèque a ainsi modifié la loi de 1981 en plafonnant à 9 % du prix public le rabais sur les ventes de livres non scolaires aux collectivités. Par ailleurs, il a décidé qu’un prélèvement de 6 % du prix public des ouvrages vendus aux bibliothèques de prêt accueillant du public serait prélevé sur le différentiel de marge ainsi dégagé et affecté à la rémunération des auteurs et des éditeurs pour le prêt de leurs ouvrages en bibliothèque. La mise en oeuvre de la loi au 1e août 2003 a cependant été suivie, quelques mois plus tard, par une réforme du Code des marchés publics qui a sensiblement modifié l’organisation de l’achat public, en particulier l’acquisition des livres par les bibliothèques, en introduisant notamment la notion de « marché au premier euro » et en limitant considérablement les « marchés sans formalités préalables » institués par la précédente réforme du Code (2001) et très utilisés par les bibliothèques. Cette réforme, comme les deux qui lui ont succédé en 2006 et en 2008, ont, certes, intensifié la concurrence, mais sans réel bénéfice pour les collectivités du fait de l’encadrement des prix. En revanche, elles ont désorienté les acteurs de l’achat public de livres et sont venues contrecarrer la politique d’aménagement culturel du territoire développée par de nombreuses collectivités.
Un panorama complet et inédit du marché de la fourniture de livres aux bibliothèques. (exploitation des données Sofia)
Une exploitation spécifique des données de la Sofia, société agréé par le ministère de la culture et de la communication pour la perception et la répartition du droit de prêt, fournit, en s’appuyant sur des informations couvrant un champ plus vaste que les enquêtes nationales existantes, un panorama détaillé de l’organisation du marché d’achat de livres des différents réseaux de bibliothèques. − La répartition du marché par type de bibliothèques : les BM représentent 52 % des achats, les BU 21 %, les BDP 15 %, les CDI des collèges et des lycées 5 % et les autres bibliothèques (bibl. de comité d’entreprise, associatives, bibl. de recherche, …) 7 % (données 2007 *). − La répartition du marché par type de fournisseurs : les librairies représentent plus des deux tiers des achats des bibliothèques (68 % en 2007), les grossistes et fournisseurs spécialisés 21 %, les fournisseurs spécialisés de livres étrangers 4 % et les autres fournisseurs (éditeurs, GSS, clubs, fournisseurs de livres équipés pour le prêt) 7%. − Les 68 % de l’ensemble Librairie se répartissent entre les librairies générales (32 %), les « très grandes librairies ** » (15 %), les librairies spécialisées (13 %, dont 6 % pour les librairies jeunesse), les librairies de chaînes (7 %) et les librairies papeteries presse (2 %).
* Pour des raisons tenant au calendrier d’entrée en vigueur de la loi du 18 juin 2003 et au mode de collecte du droit de prêt par la Sofia, les données étudiées portent sur la période 2005-2007, avec de premières indications de tendance sur 2008. * *Librairies réalisant un CA livre annuel (détail + collectivités) de 12 M ou plus. €
− Le poids des types de fournisseurs par types de bibliothèques : les librairies sont majoritaires dans tous les types de bibliothèques, mais la répartition entre les types de fournisseurs est très variée selon le type de bibliothèques. Les types de bibliothèques ayant le plus recours aux librairies sont les BDP 79 %, les Bibliothèques pour tous 74 %, les BCE 69 %, ainsi que les BU pour les achats de livres français (74%) . − La concentration des fournisseurs : le nombre de fournisseurs (plus de 1600 en données cumulées) se réduit sensiblement entre 2005 et 2007 (-14 %), particulièrement dans certains types de librairies. Les 3 premiers fournisseurs représentent 27 % du marché, les 100 premiers 72 %. − La proximité des fournisseurs par rapport aux bibliothèques : 59 % du montant des achats des bibliothèques s’effectuent à l’intérieur du département, 76 % dans la région. Ce degré de proximité est stable sur la période 2005-2007. Le poids des ventes locales est particulièrement élevé pour les librairies (79 % dans le département, 89 % dans la région). La distance moyenne d’une bibliothèque à ses fournisseurs était de 91 km en 2007.
Une augmentation de la part des librairies sur le marché des bibliothèques entre 2005 et 2007, mais des évolutions contrastées selon le type de librairies. (exploitation des données Sofia)
La part de marché cumulée des librairies augmente entre 2005 et 2007 (de 67 % à 71 %, +3,8 %), mais tous les types de librairies ne progressent pas de la même manière. (% part de marché hors fournisseurs livres étrangers)
On constate ainsi sur cette période : − une poussée des « très grandes librairies » (+3 points de part de marché entre 2005 et 2007), − une progression des librairies spécialisées (+1 point, dont +0,5 pour les librairies jeunesse), − une progression, puis un léger repli des librairies générales (+1 point), − un recul des librairies de chaînes (-0,5) et des librairies papeteries presse (-0,5), En contrepoint, on observe un recul des grossistes et fournisseurs spécialisés (-3 points) et des « autres fournisseurs » (-1 point).
Les données encore partielles collectée par Sofia pour 2008 permettent d’estimer que la plupart de ces tendances semblent s’être poursuivies en 2008, notamment la poussée des très grandes librairies et la progression des librairies spécialisées. Il semble en revanche que les librairies générales aient connu un recul sensible, de l’ordre de 2 points de part de marché.