Les antivitamines k (AVK) sont des anti thrombotiques oraux, disponibles depuis plus de 50 ans. Ils sont utilisés pour la prévention et le traitement de la thrombose artérielle et veineuse. L’augmentation de leur utilisation s’explique par l’élargissement de leurs indications ainsi que le vieillissement de la population. La prescription fréquente des AVK s’accompagne d’une augmentation des accidents iatrogènes liés à ce type de traitement. Les accidents hémorragiques sont les complications les plus graves et les plus redoutées. Le but de ce travail est de ressortir les facteurs de risque chez les patients présentant des accidents hémorragiques sous AVK, d’évaluer les modalités de la prise en charge thérapeutique de cette complication iatrogène fréquente et potentiellement grave.
Physiologie de la coagulation
Les cascades d’hémostase ont pour objectif de limiter les déperditions sanguines, grâce au colmatage des brèches vasculaires par un caillot fibrino plaquettaire. Ils mettent en jeu les vaisseaux, les plaquettes sanguines et des protéines plasmatiques. Il est habituel de distinguer deux types de processus: l’hémostase primaire comprend la séquence d’événements qui permettent la formation d’un agrégat plaquettaire au niveau de la lésion vasculaire, alors que la coagulation plasmatique englobe les réactions enzymatiques qui conduisent à la transformation du fibrinogène soluble en fibrine insoluble. La distinction est en réalité virtuelle, car les deux phénomènes sont simultanés et interdépendants.
La conception classique du phénomène de la coagulation comportait 2 voies d’activation: voie intrinsèque et voie extrinsèque, alors que le déroulement de la coagulation in vivo ne respecte pas cette distinction. Cette conception duelle correspond en fait aux processus de la coagulation in vitro.
L’activation de la coagulation répond, in vivo, aux lésions vasculaires qui exposent le sous-endothélium au contact du sang, et aux plates tissulaires qui introduisent dans la circulation une substance procoagulante, appelée facteur tissulaire.
La coagulation est faite d’une série de réactions enzymatiques, qui font intervenir les plaquettes et les facteurs plasmatiques de coagulation . Ces réactions sont caractérisées par la transformation de proenzymes en enzymes, par protéolyse limitée. Elles ont pour particularité de comporter des interactions moléculaires, protéine-protéine et protéinesurface membranaire, qui ont pour conséquence d’amplifier le processus d’activation et de le localiser au niveau de la brèche vasculaire .
Les réactions enzymatiques qui aboutissent à la formation de fibrine sont modulées par des inhibiteurs physiologiques. L’équilibre qui existe entre les forces tend à faire coaguler le sang et les mécanismes qui limitent la coagulation aux seules plaies vasculaires, est fondamental, car il détermine le maintien de la fluidité du sang dans le système vasculaire [1]. Les protéines de la coagulation sont synthétisées dans les hépatocytes puis excrétées dans la circulation sanguine, à l’exception du facteur tissulaire produit par l’endothélium vasculaire.
Généralités sur les antivitamines K (AVK)
Historique
Les médicaments antivitamine K ont été découverts par hasard dans les années 1920 aux Etats-Unis, suite à la survenue d’hémorragies spontanées décimant des troupeaux de bétail ayant consommé du trèfle doux (Melilotus alba) avarié (5). Le responsable fut identifié en avril 1940 par Campbell et Link (6) : la 4 hydroxcoumarine, baptisée dicoumarol et administrée pour la première fois chez l’humain en 1941 (7). La warfarine, premier AVK de synthèse, vit le jour en 1948 lors de la mise au point d’un raticide provoquant des hémorragies intestinales aigues fatales chez ces animaux (8). D’une efficacité supérieure au dicoumarol, administrée avec succès chez l’homme à partir de 1955 (9), il faudra pourtant attendre les travaux de l’équipe de Stenflo sur le rôle de la vitamine K dans les mécanismes de coagulation (10), en 1974, pour que son mécanisme d’action soit élucidé. Aujourd’hui, il existe une dizaine de molécules regroupées au sein de deux familles . La molécule de référence reste la warfarine, à laquelle sont consacrées la plupart des études disponibles sur les AVK.
Indications thérapeutiques
L’anticoagulation orale par AVK constitue le traitement de référence des pathologies thrombotiques. Elle prévient la formation ou l’extension d’une thrombose ou d’une embolie. Selon l’AFSSAPS, les indications validées par des études cliniques ou un consensus professionnel sont les suivantes (11) : Indications thérapeutiques :
• Cardiopathies emboligènes : prévention des complications thrombo-emboliques en rapport avec certaines fibrillations auriculaires, certaines valvulopathies mitrales, les prothèses valvulaires.
• Maladie thromboembolique veineuse : traitement curatif (en relais de l’héparine) et prévention des récidives des thromboses veineuses profondes et de l’embolie pulmonaire, prévention (chirurgie de hanche).
• Infarctus du myocarde :
◆ prévention des complications thrombo-emboliques des infarctus compliqués (thrombus mural, dysfonction ventriculaire gauche sévère, dyskinésie emboligène…) en relais de l’héparine ;
◆ prévention de la récidive d’infarctus du myocarde, en cas d’intolérance à l’aspirine.
• Prévention des thromboses veineuses sur cathéter (à faible dose).
Dans la plupart de ces indications, les AVK sont prescrits pour un traitement au long cours (plus d’un an). Les traitements de courte durée (3 à 6 mois) concernent essentiellement la prévention et le traitement des thromboses veineuses et de l’embolie pulmonaire.
Propriétés pharmacologiques
Pharmacodynamie:
Les AVK ont une action anticoagulante indirecte via l’inhibition de la synthèse hépatique des facteurs de coagulation vitamine K dépendants (13).
La vitamine K est une vitamine liposoluble apportée par l’alimentation (vitamine K1) ou synthétisée par la flore intestinale (vitamine K2). Elle est absorbée grâce aux sels biliaires. Sous sa forme réduite, elle intervient dans la synthèse des formes actives de plusieurs facteurs de la coagulation : les facteurs II, VII, IX et X, ainsi que deux inhibiteurs de la coagulation, la protéine C et son cofacteur la protéine S (figure 1). La vitamine K réduite sert de cofacteur pour une carboxylase hépatique qui transforme ces précurseurs inactifs en facteurs biologiquement actifs par gamma carboxylation, les rendant ainsi capables de se fixer, en présence de calcium ionisé, sur les phospholipides servant de support aux réactions de coagulation.
Les AVK, de structure chimique proche de la vitamine K, entrent en compétition avec celle-ci au niveau du site de fixation de l’enzyme responsable de la synthèse de la vitamine K réduite, une oxyde réductase (13). Ils inhibent cette enzyme et bloquent ainsi le cycle de la vitamine K, empêchant la réaction de gamma-carboxylation. En présence d’AVK, les facteurs de coagulation vitamine K dépendants restent agammacarboxylés : ce sont les PIVKA (protéines induites par l’absence de vitamine K), dosables dans le plasma mais biologiquement inactifs.
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