Dans ce travail, nous allons nous intéresser au statut de l’erreur dans le cadre scolaire en étudiant les représentations qu’en ont les enseignants et les élèves, qui sont les deux types d’acteurs concernés par l’apprentissage. Analyser les représentations des enseignants sur le sujet consiste à les questionner sur les éléments suivants : la définition qu’ils donnent de l’erreur, comment ils l’analysent et la traitent ainsi que le statut qu’ils lui accordent. En ce qui concerne les élèves, il s’agit d’étudier la définition qu’ils donnent de l’erreur, son statut et leur ressenti face à celle-ci. Dans un second temps, nous allons comparer ces deux points de vue afin de voir s’il existe un écart entre celui des enseignants et celui des élèves.
L’erreur : le quotidien des enseignants et des apprenants
En quoi est-ce pertinent et important d’en parler ? Quels sont les enjeux de cette problématique ? Tout d’abord, l’erreur fait partie intégrante de tout processus d’apprentissage et les enseignants y sont confrontés au quotidien. Nous pensons donc qu’il est important de prendre conscience de la manière dont elle est perçue, considérée et traitée afin d’aider chaque élève à progresser. En effet, le statut accordé à l’erreur influence grandement l’apprentissage des élèves et l’aide apportée par l’enseignant. Nous pensons aussi que les erreurs des élèves ne devraient pas être sous-estimées, car elles sont le signal d’un obstacle profondément ancré dans la pensée de l’apprenant et répondent à une logique particulière, qui est à faire évoluer (Astolfi, 2015).
Etat des lieux des connaissances concernant l’erreur scolaire
Depuis que les chercheurs se sont intéressés aux processus cognitifs en jeu dans l’apprentissage, l’erreur représente désormais une étape vers la réussite, une opportunité de progresser, et non une condamnation. En effet, en observant des enfants au quotidien, on remarque que c’est un passage obligé vers la réussite, car après un échec ils recommencent spontanément. Malheureusement, l’échec a encore trop souvent une connotation négative dans le monde de l’éducation. (Milgrom, 2010) .
Comme nous dit Astolfi (2015), si l’erreur a encore trop souvent un statut négatif, c’est notamment parce que certains perçoivent l’apprentissage comme un processus naturel, constitué de découvertes « calmes ». Selon cette représentation, l’apprentissage se fait comme une progression naturelle si le professeur choisit les bonnes activités et respecte le rythme de travail des élèves. Dans cette perspective, les erreurs sont alors perçues comme des ratés.
Après diverses recherches, Favre (2007) arrive lui aussi au constat que la majorité des enseignants attribuent une connotation négative à l’erreur en l’associant au terme de « faute ». Selon lui, pour trouver d’où cette pratique tire son origine, il faut revenir à la conception de l’erreur au Moyen Âge. En effet, à cette époque on considérait l’erreur comme une faute à éradiquer. Le but de l’éducation était de maintenir le système tel qu’il était et les inégalités sociales. Pour ce faire, la religion était énormément mise à contribution. La pensée reposait sur des dogmes et un enchaînement de syllogismes, ce qui empêchait toute distance critique. De plus, c’est à cette époque que les théologiensphilosophes ont conféré à l’erreur une valeur morale négative en l’associant au terme de « faute » à éradiquer et au Mal. Toutes recherches, démarches ou conceptions qui s’écartaient de la norme devaient alors être punies. Un exemple significatif est celui de Galilée qui fut excommunié pour avoir osé proposer un modèle révolutionnaire. Cette conception de l’erreur a donc entraîné la peur de se tromper chez les apprenants.
Intéressons-nous maintenant à diverses études menées en lien avec les représentations de l’erreur chez les enseignants et les élèves.
Tout d’abord, Favre a analysé les représentations de l’erreur chez les enseignants de tous les degrés, soit les enseignants du primaire, du secondaire, universitaires et les formateurs d’enseignants. Pour cela, il leur a tout d’abord demandé de verbaliser ce qu’ils éprouvent lorsqu’ils commettent une erreur. Il a ensuite classé leurs réponses dans les sous-catégories suivantes (Favre, 2007, p. 53) :
– « Mots qui traduisent une émotion ou un sentiment qui inhibe l’action »
• Lié à un sentiment désagréable
• Lié à l’image de soi
• Lié à un sentiment de culpabilité
• Lié à un sentiment de peur
– « Mots qui traduisent une tentative pour se rassurer ou se préserver »
• Lié à un sentiment désagréable
• Lié à l’image de soi
– « Mots qui traduisent une émotion ou un sentiment qui débouche sur l’action »
• En lien avec la compréhension de ce qui s’est passé
• Lié à la possibilité d’une nouvelle action
Les résultats de cette étude révèlent tout d’abord que seul le 10 % des réponses sont des mots qui traduisent une émotion ou un sentiment qui débouche sur l’action. Ce faible pourcentage reste identique dans les différents groupes d’enseignants (primaire, secondaire, universitaire et formateurs d’enseignants). Par contre, le pourcentage d’enseignants qui associent l’erreur au sentiment de culpabilité varie selon les publics. Chez les formateurs d’enseignants, il s’agit seulement du 10 %. Ceux-ci semblent plus essayer de se rassurer par une réaction de colère (40 %).
Favre (2010) a aussi effectué une autre étude, dont le but était de faire prendre conscience aux enseignants des réactions qu’ils adoptent lorsqu’ils font une erreur. Il leur a alors proposé un exercice qui favorise l’émergence des erreurs en raison de son niveau de difficulté et des consignes proposées qui poussent à mettre en évidence les erreurs. Ces expériences ont permis à cet auteur de confirmer l’hypothèse suivante : il est possible de mettre en place des stratégies pour se distancer des effets douloureux provoqués par la confrontation avec ses erreurs. Au fil des expériences, Favre a pu observer les différentes stratégies mises en place par les enseignants lorsqu’ils sont confrontés à leurs erreurs. Il a alors distingué les stratégies qui visent la réussite de l’exercice et celles qui visent à éviter les erreurs. Ce dernier type de stratégies se divise en trois sous-catégories :
– Les stratégies qui visent à diminuer le risque d’erreurs, comme oublier ou transformer les consignes, ou ne pas effectuer l’exercice.
– Les stratégies qui visent à éviter la confrontation avec les erreurs potentielles. Il s’agit de rajouter des données, se trouver des excuses, etc.
– Les stratégies qui visent à diminuer l’impact émotionnel désagréable provoqué par la confrontation avec ses erreurs : effacer son erreur, se comparer avec les autres, cacher sa feuille, ne plus s’impliquer dans l’exercice, etc.
1. Introduction |