L’ère de la Protection Maternelle et Infantile
Mise en place de la PMI a. Combattre la mortalité infantile Au lendemain de la seconde guerre mondiale, il faut reconstruire le pays. Des taux de mortalité infantile allant jusqu’à 220‰ ont été relevés dans certains secteurs et il devient alors vital pour la France de retrouver au plus vite les taux d’avant guerre. Pour coordonner ses actions et afin d’atteindre des objectifs chiffrés dans les meilleurs délais, la France se dote d’un ensemble législatif cohérent. Ainsi, après l’ordonnance instituant la sécurité sociale le 4 octobre et celle mettant en place le Service d’hygiène scolaire et universitaire le 18 octobre, c’est au tour de la Protection Maternelle et Infantile d’être instituée en tant que telle par l’ordonnance du 2 novembre 1945.Dans le fond, le but d’une telle mesure est de « sauvegarder l’existence des enfants qui viennent au monde » 20 . Dans la forme, l’objectif est de retrouver dès 1948 les taux de mortalité infantile que la France avait atteint en 1939. Dans cette optique, il s’agit d’organiser « la protection généralisée de toute une population : femmes enceintes, jeunes mères venant d’accoucher, enfant jusqu’au sixième anniversaire. Les mesures prévues s’adressent à tous, sans exception. » (Norvez, 1990, 80). Ainsi comme la loi de 1942, l’ordonnance de 1945 se base sur la catégorie des enfants de moins six ans et à l’inverse des textes qui l’ont précédé définit la population à laquelle elle s’adresse par ce seul et unique critère. Il n’est plus question de sélection familiale ou sociale, ni d’enfants placés, assistés ou maltraités, ni encore de mères de famille nombreuse, de mères sans travail ou indemnisées à un titre ou à un autre. En se limitant au nombre minimum de critères de sélection, à savoir un critère pour les femmes (la grossesse) et un critère pour les enfants (l’âge), la PMI s’adresse à l’ensemble de la population materno-infantile, à toutes les femmes enceintes, jeunes mères et enfants de moins de six ans, sans exception. En mettant fin aux pratiques de sélection par catégorie de femmes et d’enfants concernés par les mesures d’aide, de prévention et de protection, l’objectif de la mesure est aussi clair qu’ambitieux. Il s’agit d’assurer la survie de l’intégralité des enfants qui naissent en France et c’est donc aussi à toutes les femmes enceintes qu’il devient nécessaire de prêter attention. Même si, en temps de crise comme en temps normaux, la mortalité connaît une répartition géographique et sociale inégale, c’est partout qu’il faut la combattre, et c’est donc partout qu’il faut agir, dans toutes les classes sociales, dans tous les milieux et sur l’ensemble du territoire. Symbole de cette vision de la population materno-infantile comme un ensemble uni sans critère distinctif interne, la vaccination se trouve au premier rang des mesures à appliquer. En effet, à travers la vaccination s’exprime « la fondamentale équivalence biologique qui fait de la masse, dominants et dominés réunis, un cheptel dénombrable soumis à la contagion commune » (Moulin, 1996 : 29). Les vaccinations obligatoires inscrites dans le cadre de cette politique de PMI rappellent alors l’égalité physique de toutes les femmes et tous les enfants face à la maladie.
Une série de nouvelles mesures
Afin d’assurer cette surveillance et d’atteindre rapidement les objectifs fixés, en plus de l’extension à toute la population, l’ordonnance de 1945 maintient l’ensemble des mesures déjà existantes et les renforce par une série de mesures complémentaires. Au final, le texte prévoit : – Le maintien de l’examen prénuptial instauré par la loi de 1942 avec le même objectif, à savoir responsabiliser les individus face à leur état de santé et aux conséquences éventuelles de celui-ci pour eux-mêmes comme pour la collectivité. Les résultats de l’examen demeurent connus du seul individu examiné et du médecin examinateur. – Les femmes enceintes doivent se présenter à trois examens pendant leur grossesse et à un examen dans le mois qui suit l’accouchement. Afin d’inciter les mères à se conformer à ces examens, le versement de l’ensemble des allocations qu’elles sont susceptibles de percevoir en dépend. – Une surveillance sanitaire de l’enfant est prévue, de la naissance jusqu’à l’âge de l’obligation scolaire, en insistant particulièrement sur les deux premières années. Bien que le nombre et la fréquence des examens auxquels doit se soumettre l’enfant ne soient pas spécifiés par le texte, le carnet de santé, qui est remis au parent lors de la déclaration de grossesse, doit servir d’outil de suivi du développement de l’enfant. En outre, comme pour les examens prénataux, des mesures incitatives sont prévues, cette fois par le biais de primes d’assiduité versées en espèces ou en nature. Dans sa préservation des acquis des législations précédentes, l’ordonnance prévoit que des visites à domicile seront effectuées par des assistantes sociales. Pour ces visites, une plus grande attention sera portée aux enfants placés hors du domicile parental, à ceux dont les parents sont allocataires de l’État, d’une collectivité locale ou des caisses de Sécurité sociale et à ceux dont les parents ont été condamnés pour mendicité ou pour ivresse. Si les visites sont désormais susceptibles de concerner tous les enfants, toutes les catégories que visaient les précédentes législations (enfants placés, assistés, maltraités) sont sujets d’une plus grande attention 21 . Lors de leurs visites, les assistantes sociales doivent s’assurer que les enfants reçoivent les soins dont ils ont besoin et que « les allocations versées en leur faveur sont bien utilisées à leur profit » 22 . En parallèle du contrôle de l’usage qui est fait des allocations, est aussi conféré à ces visiteuses un rôle d’assistance et d’éducation auprès des mères et des nourrices. En effet, les assistantes sociales doivent à la fois éduquer les parents sur un plan technique, en les conseillant sur les méthodes de puériculture à suivre mais elles doivent aussi, si nécessaire, les orienter vers les services médicaux et sociaux adéquats. Si on perçoit ici le rôle essentiel des assistantes sociales vis-à-vis des progrès attendus en matière de santé du jeune enfant, il faut encore ajouter à leurs fonctions, celle de médiatrice. En effet, les assistantes sociales doivent rendre compte tous les mois de leurs actions et de leurs observations sur les familles auprès du directeur départemental de la santé. Ainsi était pensée la médiation entre les différents services médicaux, sociaux et les familles. Allant de pair avec cette politique de protection de l’ensemble des enfants à naître et de leur mère, la loi du 22 août 1946 fixant le régime des prestations familiales est un clair encouragement à la natalité. Le texte étend en effet de manière considérable la portée des allocations familiales et crée l’allocation de natalité. Cette dernière est versée à toutes les femmes enceintes dès la déclaration de leur grossesse. Elle vise ainsi à les aider à couvrir les frais occasionnés par la grossesse et manifeste une solidarité nationale avec les familles. Quant aux allocations familiales, elles ne sont plus liées à des questions de filiation biologique ou de nationalité et ne dépendent plus de la profession exercée par les parents. Toutes les femmes qui travaillent, résident en France et ont à leur charge un ou plusieurs enfants résidant également en France ont droit aux allocations familiales. La seule condition exigée pour les mères en vue de bénéficier de ces allocations, est de se soumettre à l’ensemble des examens pré et post-nataux prévus par l’ordonnance du 2 novembre 1945.
Les moyens d’une action
Pensée de manière systématique pour tous les enfants naissant sur le territoire et pour toutes les femmes enceintes, la PMI, telle que prévue par l’ordonnance du 2 novembre 1945, implique des frais de mise en place et de fonctionnement très importants, tout autant pour les collectivités locales que pour les familles « obligées » de s’y soumettre. Afin que la question financière ne soit pas un frein à la réalisation de ses objectifs, l’ordonnance prévoit de partager les frais occasionnés entre l’État, les départements et les communes, au titre de dépenses obligatoires. Pour ces mêmes raisons économiques et afin que toutes les familles, y compris, et peut-être surtout, les plus pauvres, puissent souscrire à ces obligations, les différents examens peuvent être pratiqués chez le médecin de famille, dans des consultations spécialisées ou dans des centres médicaux gratuits. Afin de rendre possible la surveillance médicale et sociale qu’elle institue, l’ordonnance prévoit un quadrillage de répartition des centres de Protection Maternelle et Infantile comprenant chacun des consultations prénatales (pour les femmes enceintes), post-natales (pour les nourrissons), de premier âge (pour le suivi des enfants jusqu’à deux ans) et de deuxième âge (pour le suivi des enfants jusqu’à six ans). Les critères de répartition de ces consultations sont les suivants : une consultation prénatale pour 20 000 habitants, une consultation post-natale pour 8 000 habitants. Autre disposition prévue par l’ordonnance de 1945, « tous les établissements qui concourent à la protection, à la garde ou au placement des enfants du premier et du second âge » 23 doivent se soumettre au contrôle des agents du ministère de la santé et obtenir une autorisation préfectorale pour exercer leur fonction. Cette mesure qui devrait permettre d’assurer des conditions d’accueil optimum pour les enfants vise alors les consultations de nourrissons, les chambres d’allaitement et de consultation « gouttes de lait », les bureaux de nourrices, les sages-femmes, les pouponnières, les crèches, les garderies et les jardins d’enfants ainsi que les maisons maternelles. Les écoles maternelles (qui accueillent des enfants âgés de deux à six ans) sont quant à elles régies par le service d’hygiène scolaire et universitaire. Rapidement, la question des moyens nécessaires à la mise en œuvre de ces mesures se pose, tant en termes d’infrastructures que de personnels. Si un certain nombre de départements sont déjà pourvus en infrastructures médicales et sociales, la majeure partie de ces centres de consultation doivent être construits de toutes pièces. Les directeurs départementaux sont chargés de veiller à leur mise en place, assistés d’un médecin responsable de la coordination des différents services intervenant dans la PMI. Comme, il n’existe pas encore de corps spécialisé en PMI, les examens des mères et des enfants sont organisés avec le concours des praticiens locaux. Seule possibilité pour mettre en œuvre les mesures adoptées, cette solution soulève des problèmes de spécialité en zones rurales, où ce sont des médecins généralistes qui assurent les consultations de gynécologie et d’obstétrique. Dans ces mêmes zones rurales, moins bien dotées que les villes en infrastructures sanitaires, il revient aux assistantes sociales d’opérer des visites au domicile des femmes enceintes et de rendre compte au médecin responsable du secteur de leurs observations. Pour les assistantes sociales comme pour les médecins, la question des limites de leurs compétences respectives ne tarde pas à s’imposer dans le débat sur les résultats obtenus par cette politique de PMI. Il devient alors nécessaire d’envisager le recrutement de médecins puériculteurs à temps plein et de repenser la formation des assistantes sociales amenées à intervenir au titre de la PMI. C’est dans la continuité directe de ce débat qu’en 1947 est créé le diplôme national de puéricultrice. Amenées à travailler en partenariat avec les assistantes sociales, ces nouvelles spécialistes de la petite enfance deviendront dans les années suivantes, au sein de ce binôme, les « chevilles ouvrières » 24 de la protection sanitaire de l’enfant. Même si un certain nombre de dysfonctionnements apparaissent, notamment en termes d’insuffisance d’infrastructures et de coordination des différentes institutions participant à la PMI, les résultats de cette politique ne tardent pas à se faire sentir. Certes, la situation générale du pays joue pour une part importante dans l’amélioration générale des conditions de vie de la population, et donc dans la baisse de la mortalité infantile. Pour autant, les bénéfices liés aux structures mises en place par l’ordonnance de 1945 et la loi de 1946 ne peuvent être niés. Ainsi, la mortalité infantile sera passée de 70,6‰ en 1947 à 45,2‰ en 1952 pour atteindre 26‰ en 196125 .