L’EMERGENCE DU DROIT ELECTORAL DANS LES ETATS DE L’AFRIQUE SUBSAHARIENNE FRANCOPHONE
Précisions des termes du sujet
Pour une meilleure prise en charge du sujet, on ne pourrait ignorer l’important exercice de définition des termes constitutifs du centre d’intérêt. A l’effet de mieux éclairer le champ conceptuel de la recherche, une approche à la fois analytique et synthétique s’avère indispensable. Pour ce faire, après avoir décliné les sens des termes droit et élection, nous tâcherons de cerner l’expression « droit électoral » dans sa double conception processuelle et substantielle. On peut voir également N. TIANGAYE, « Crise de légitimité du pouvoir de l’Etat et conférences nationales en Afrique », RADIC, Octobre 1992, pp. 609-629.
La notion de droit électoral
Tout d’abord, il faut noter que le terme « droit » renvoie à une réalité double. Il désigne, au sens objectif, « un ensemble des règles régissant la vie en société et sanctionnées par la puissance publique » et, au sens subjectif, « une prérogative attribuée à un individu dans son intérêt lui permettant de jouir d’une chose, d’une valeur ou d’exiger d’autrui une prestation »1. Il consacre ainsi deux significations principales : des règles munies de sanctions qui régissent la vie des hommes vivant dans une société donnée ou des intérêts juridiquement protégés dont la personne peut exiger le respect en vertu des règles du droit objectif. Sous ce rapport, ce terme est employé dans son acception double, avec passage fréquent de l’une à l’autre : « Tantôt il désigne un corps de règles, les règles ou certaines règles de droit. Tantôt, il désigne la ou les disciplines dont ces règles font l’objet ; il est alors l’étude même ou science de ce corps de règles. »2. Ce double entendement pourrait valablement convenir à la définition du « droit électoral » en ce sens qu’il désigne un droit de vote juridiquement encadré par des règles de droit positif ; le vote étant «l’ acte par lequel un citoyen participe, en se prononçant dans un sens déterminé, au choix de ses représentants ou à la prise d’une décision »3 . Du latin eligere (choisir), l’élection renvoie, selon Serge Guinchard et Gabriel Montagnier, à un « mode de désignation d’une personne en vue de remplir une fonction qui suppose un choix entre plusieurs et s’oppose ainsi à la nomination ou à l’hérédité des fonctions » 4 ou, selon les termes d’Olivier Duhamel et Yves Mény, à un « mode de dévolution du pouvoir reposant sur un choix opéré par l’intermédiaire d’un vote ou suffrage » . Pour Jean-Yves Vincent et Michel de Villiers, le droit électoral est un « ensemble de règles qui définissent le pouvoir de suffrage et en aménagent l’exercice »6 , autrement dit la branche du droit qui permet de donner un contenu concret à l’affirmation de principe suivant laquelle la souveraineté nationale appartient au peuple . Dans une perspective épistémologique, Jean-Claude Masclet écrit : « Le droit électoral intègre autour d’un objet fortement original qui est l’élection les données issues d’autres branches du droit. Ce sont les nécessités inhérentes à son objet qui lui confèrent ses caractères spécifiques et qui commandent les solutions et techniques particulières qu’il a développées. »..
Il s’interroge ainsi sur l’étendue de l’autonomie avant de conclure à un particularisme. Suivant cette analyse, on ne peut parler d’autonomie que dans l’hypothèse où une discipline a développé des solutions propres à répondre aux problèmes qui se posent à elle, alors que ces problèmes ne se posent pas dans les autres branches du droit. L’apparition d’un corpus de règles spécifiques détermine l’objet particulier de la discipline. Pierre Avril et Jean Gicquel, quant à eux, considèrent que « l’élection est un mode de nomination des titulaires de certaines fonctions publiques. L’élection est un acte collectif, dans lequel les volontés des électeurs, orientées dans un même sens, s’additionnent en vue de produire un effet de droit (…). »9 . Fondamentalement, les caractères originaux du droit électoral s’expliquent et se justifient par sa fonction qui est de faire respecter le principe démocratique. Ainsi comprise, l’élection désigne le choix par les citoyens de certains d’entre eux pour la conduite des affaires publiques.La pratique constitutionnelle dégage différentes catégories d’élection suivant la nature politique du système de votation ou simplement les modalités spatiales et temporelles susceptibles d’éprouver la volonté populaire. Par conséquent, les gouvernants tirent leur légitimité d’une désignation par les gouvernés ; ils ne s’imposent ni par la force ni par la magie mais exercent leurs compétences du fait de l’investiture de leurs concitoyens.
Ce procédé permet aussi aux électeurs de choisir indirectement une orientation politique. En cela, il marque une nuance avec le concept voisin de votation qui exprime une modalité de délibération directe des citoyens (une consultation populaire) sur un problème déterminé. Dès lors, l’élection se distingue des procédés arbitraires de dévolution en désuétude, notamment l’héritage, la cooptation et le tirage au sort. L’élection, fréquemment utilisée pour associer les citoyens au pouvoir, est un exercice de restitution de la souveraineté au peuple qui la délègue à ses représentants. Léon Duguit estime que le régime représentatif prend son point de départ dans le système de la souveraineté nationale ; comme aussi inversement la notion de souveraineté nationale aboutit essentiellement au gouvernement représentatif. C’est ainsi qu’il écrit que « le corps des citoyens, appelé corps électoral, exprime directement la volonté souveraine de la nation »2 . En raison des dangers que présenterait le système du gouvernement direct, le peuple, en vertu de la théorie du mandat électif, sera donc admis simplement à choisir des représentants. Par conséquent, l’idée de représentation est liée à celle d’élection. C’est pourquoi, Raymond Carré de Malberg pense que « le peuple est, au moment de l’élection, figuré par le corps des électeurs : c’est en ce corps électoral que s’incarne le souverain. Par le fait de l’élection, chaque électeur confère à l’élu la fraction individuelle de souveraineté dont il est titulaire : il s’opère donc une transmission de la souveraineté qui, des électeurs, passe aux élus. ». Sous l’angle historique, Olivier Duhamel et Yves Mény précisent que la démocratie athénienne et la République romaine ont utilisé ce mode de choix des gouvernants. Plus tard, l’émergence progressive de la Chambre des communes à côté des Lords en Grande-Bretagne et la naissance du régime parlementaire entraînent le développement du procédé électif. Il connaît un succès irréversible avec la généralisation de l’idée démocratique à partir de la fin du XVIIIe siècle.
Rapprochée de l’élection, la représentation tend à une double finalité. D’une part, elle exprime, à travers le représentant, la volonté du représenté. D’autre part, elle favorise, sur le plan juridique, l’émergence d’une communauté d’intérêts spécifiques, poursuivis en eux-mêmes, ou à travers eux, par une collectivité donnée, autonome par rapport à d’autres collectivités4 . B. Le caractère émergent du droit électoral Le processus d’affranchissement de la volonté souveraine des systèmes politiques surveillés est à l’origine, dans les Etats de l’Afrique subsaharienne francophone, de l’émergence d’un droit électoral, c’est-à-dire de la gestation d’un corpus de règles juridiques garantissant le droit de suffrage librement exprimé par les citoyens. Cette mutation actualise la réalité des rapports dialectiques entre la démocratie et les élections. Comme l’écrit justement Sigrid Born : « Démocratie signifie pouvoir pour un temps déterminé. Sans élections, pas de démocratie, et sans démocratie, pas d’élections. A intervalles réguliers, les citoyens doivent avoir le droit de décider s’ils entendent conserver leur gouvernement ou en changer. »5 . En l’occurrence, il s’agit de s’interroger sur des questions essentielles en rapport avec le processus d’émergence des facteurs d’un droit électoral dans le contexte des Etats de l’Afrique subsaharienne francophone. Pour y parvenir, l’accent sera mis la nature des sources du droit électoral, la démocratisation des principes et mécanismes électoraux, l’efficacité des institutions électorales et la réalité politique de l’implant démocratique. En effet, la dynamique de généralisation du processus de démocratisation sur le continent et les exigences de bonne gouvernance comme conditionnalité dans les domaines de la coopération multilatérale peuvent donner tout son sens à une réflexion sur un droit aussi politique que le droit électoral nécessaire pour cerner les fondements de la légitimité des institutions politiques. Qui plus est, les échéances électorales sont généralement constitutives en Afrique de situations conflictogènes de nature à fragiliser les institutions étatiques et à préjudicier la formation embryonnaire d’Etat-nations.
Dans cet ordre d’idées, le droit électoral indique les possibilités de contenir la contestation dans un système de règles de droit propre à légitimer l’exercice légal du pouvoir. En clair, un système électoral crédibilisé par des règles obligatoires et effectives érige un crédo juridique applicable à la conquête, à l’exercice et à la transmission du pouvoir par des voies et des moyens démocratiques. III. Problématique : Le renouveau démocratique, facteur d’émergence du droit électoral Dans le contexte actuel, le droit électoral joue un rôle catalyseur dans les rapports politiques. Même si le processus électoral n’est pas parvenu à pacifier radicalement les espaces politiques, le traditionnel antagonisme des forces politiques, né des entrailles de l’affirmation opportuniste de la légitimation de l’idéologie du partiEtat, s’estompe progressivement malgré la singularité du contexte historique. En effet, on note un changement dans la structure des situations conflictuelles, particulièrement en Afrique subsaharienne francophone, rendant ainsi obsolètes les mécanismes explicatifs initiaux. Si aux lendemains des indépendances, une volonté d’affirmation et de consolidation du pouvoir d’Etat a déclenché des conflits de souveraineté aux résonnances territoriales et idéologiques, il en va autrement à l’heure actuelle. L’engagement des forces politiques et sociales pour asseoir une démocratisation plus accrue du pouvoir suscite des conflits d’émancipation politique. Ces dernières aspirent à être les réceptacles de l’expression souveraine, et par conséquent ambitionnent également d’en être l’incarnation sublime. 49 A la faveur de consensus politiques consécutifs à la tenue de conférences nationales6, et à l’adoption d’un compromis politique ficelé par les forces démocratiques en vue d’une alternance pacifique au pouvoir, il est aménagé un système multipartiste faisant succéder la libre expression du suffrage universel au système tendanciel.
Longtemps conditionné par la pratique de parodies électorales donnant malheureusement au droit électoral plus de sonorité que de sens (plus sonnat quam valet, pour reprendre l’éloquence de Sénèque), le système de dévolution du pouvoir est aujourd’hui bonifié par le sursaut politique des années 90, dont le mérite essentiel est d’avoir permis l’émergence de systèmes démocratiques sur le fondement du droit électoral. Cette évidence est mise en exergue par le postulat de Pierre Cornillon : « Les élections périodiques et honnêtes, par lesquelles le peuple a la possibilité de choisir librement ses représentants, est la clé de voûte de la démocratie. » . Pour cette raison, les changements de régime politique par le biais d’élections multipartisanes s’expliquent, entre autres, par la nécessité de s’ajuster à un environnement de plus en plus défavorable aux dérives autoritaires. A partir de 1989, la conquête de l’Etat de droit se réalise sur la base d’une mise en accusation du monopartisme.
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