L’ENTITE DANS LE SYSTEME COMPTABLE
« Grouper les choses (dans le sens le plus général) constitue l’élément le plus profond, le plus indispensable, de notre perception et de notre conception du réel. Bien qu’il soit évident que jamais deux choses ne seront exactement identiques, c’est parce qu’on ordonne le monde en groupes d’éléments ayant en commun une propriété importante (groupes qui se recoupent d’une façon complexe et se superposent) qu’on donne une structure à ce qui ne serait autrement qu’un chaos, une fantasmagorie. » Du point de vue des investisseurs actionnaires du groupe, et donc soucieux de rendre rationnelles leurs décisions d’investissement dans le holding, les frontières de l’entité économique peuvent englober les activités et ressources combinées des quatre sociétés.
Une information correspondant à un niveau inférieur, donc plus précis, ne répondra pas forcément à leur besoin ; en tant qu’investisseurs dans le groupe, ce sont essentiellement les informations relevant des comptes consolidés qui leur permettront d’éclairer leur stratégie financière. Le directeur de F1, quant à lui, a très vraisemblablement une zone d’intérêt économique très différente puisque limitée à la filiale qu’il dirige ; il focalisera alors son attention sur les informations concernant cette entité. On peut penser qu’une partie de sa rémunération ou sa valeur sur le marché des cadres-dirigeants dépend plus ou moins étroitement des résultats dégagés par cette filiale. On peut donc dénombrer d’ores et déjà cinq entités distinctes : F1, F2, F3, la société- holding H, constituant ainsi un premier niveau d’entités et le groupe consolidé s’apparentant à un deuxième niveau d’entité. D’autres entités peuvent être relevées à un niveau inférieur. Prenons l’exemple du contrôleur de gestion de la filiale F2 : sa fonction l’oblige dans la plupart des cas à découper l’entreprise en sections ou centres d’analyse qui constituent autant d’entités dans lesquelles pourront être ventilées les informations enregistrées par la comptabilité du niveau supérieur.
LE CONCEPT D’ENTITE ET LES COMPTES SOCIAUX
Le principe de l’entité permet de séparer l’entreprise de son ou ses propriétaires : n’étant plus considérée comme un objet de propriété confondu avec les autres biens de son créateur, elle est alors assimilée à une organisation autonome disposant de son propre nom (la dénomination sociale), de son domicile (le siège social), de son activité (l’objet social) et pour les sociétés, d’un patrimoine indépendant de celui des apporteurs de capitaux. Le principe de l’entité donne ainsi à l’entreprise sa personnalité comptable et ce, même en l’absence d’une personnalité juridique (cas des entreprises individuelles). Ce principe toutefois, ne doit pas être confondu avec le concept d’entité ; ce dernier, de portée beaucoup plus vaste, va bien au-delà d’une simple émancipation comptable de l’entreprise puisqu’il permet, comme nous le verrons dans le titre suivant, de circonscrire le champ de sa représentation, définissant plus largement ses limites spatiales, temporelles et substantielles. Cette première section permettra d’aborder la dimension historique et théorique du concept (§ 1), pour examiner ensuite sa perspective réglementaire (§ 2).
L’entité à travers les âges
Les croisades (XIIe et XIIIe siècles) constituent l’événement historique qui redonna à l’occident le souffle économique qu’il avait perdu depuis la décadence de l’Empire romain. Le monde méditerranéen en pleine effervescence commerciale, retrouve une activité qui s’étend alors à toute l’Europe occidentale. L’Italie du Nord et la Flandre furent du XIIe au XVe siècles les régions économiques les plus prospères, du fait qu’elles se trouvaient à l’aboutissement des lignes commerciales maritimes ; on ne s’étonnera donc pas que ces deux régions bénéficièrent d’un développement de la technique comptable plus rapide qu’ailleurs. Ces précisions historiques sont importantes car les études menées par les différents historiens de la comptabilité ont montré que l’évolution de la technique des comptes est indissociable de celle du système économique. A ce propos, il est important de noter que l’accroissement considérable du crédit qui accompagna l’expansion commerciale due aux croisades est, en grande partie, à l’origine du développement de la comptabilité en Europe. Afin de connaître leur situation exacte vis à vis des tiers, les négociants furent progressivement obligés d’inscrire leurs créances et leurs dettes sur des registres. Nécessité faisant loi, on assista peu à peu à la formation d’une comptabilité à partie simple comportant de plus en plus de livres.
Les premières comptabilités n’enregistrent que des opérations de crédit et ce ne sont par conséquent, que des comptes de personnes que les systèmes comptables produisent. Il ne s’agit donc pas encore d’entité à proprement parler, mais de comptes hétérogènes, sans liaison. Le champ de la représentation comptable se résume alors, dans une première phase, à un ensemble de comptes disparates (appelés mémoriaux), représentant des dettes ou créances envers des personnes avec lesquelles le commerçant entretient des relations économiques. Nous ne devons pas oublier que les comptables de l’époque avaient comme principal objectif de prévenir les défaillances possibles des débiteurs et surtout, de consigner par écrits leurs obligations financières et juridiques. Dans ces « mémoriaux », les comptes se suivent sans aucune classification ; on débite ou on crédite la personne chaque fois qu’une transaction est effectuée de façon à connaître leur position à tout moment. Les opérations terminées, le compte du correspondant était alors rayé, de telle sorte qu’en feuilletant le registre, on trouvait immédiatement les comptes non clôturés19.